LA DEROGATION DU PERE NOËL

C’est la nuit. À l’aplomb du square Gardette, entre sol et nuages, juste sous le disque brillant de la lune, vient de s’arrêter un attelage. Rennes et robe rouge. Il n’y a pas à se tromper : le Père Noël !

Il est pensif, cet homme, lui, que tous les enfants attendent depuis presqu’un an ! Mais depuis un an, les choses ont bien changé…

Le Père Noël remet machinalement son masque qui a glissé. Puis, il relit encore une fois son attestation de déplacement dérogatoire qu’il avait calé dans sa ceinture. Il maugrée : « Mais comment vais-je faire avec ma hotte pleine ? J’ai beaucoup de cheminées à visiter. Avec tous ces problèmes de confinement, je n’ai pas beaucoup de temps avant Noël pour distribuer tous mes jouets. La nuit, je ne peux pas bouger. Je n’ai pas de dérogation, car je ne suis ni commerçant, ni soignant, ni handicapé. Peut-être pourrais-je présenter une mission d’intérêt général, mais il me faudrait un accord administratif et je ne me vois pas, avec mes huit coursiers et un traîneau énorme, atterrir sur le parking de la Préfecture de Police. Quoique… Bon ! Réfléchissons ! »

En se penchant un peu, il voit un canard endormi près de la petite mare du square. « Il a de la chance, pense le Père Noël, lui, au moins, il est libre ! Demain, il pourra s’envoler et faire tout ce qu’il veut ! » Et, d’un seul coup, le vieil homme exulte. « Mais c’est bien sûr ! Il faut que je fasse appel à ce qui vole ! Des oiseaux, des oiseaux !!! Il faut les appeler ! Ils n’ont pas besoin de dérogations, eux. Ils peuvent distribuer les cadeaux, eux. Bon, en ce moment, qu’y a t-il comme gent ailée ? Pas grand-chose. Ah si, les pigeons ! Et aussi des merles et des moineaux ! Ça ne me plaît pas tellement : des pigeons distribuant des cadeaux de Noël, ça ne fait pas sérieux ! Mais, de toute façon, je n’ai pas le choix. Et puis tout est tellement sens dessus-dessous que l’on n’est pas à une incongruité près. »

Et le Père Noël siffle. Et alors, et alors… Ça rapplique rapidement de tous les côtés, les pigeons, les merles, les moineaux, les gros, les petits, les blancs, les gris, les bleutés. Tout cela monte des bosquets du square de la Roquette, des taillis du jardin Colbert, des fourrés du Père-Lachaise, et même, des tout nouveaux arbres de la rue du Chemin Vert, ainsi que de Majorelle et Truillot. Le Père Noël en est tout ému. « Ah, quand même, se dit-il, la Mairie a bossé. Ils ont bien remis du végétal. »

Tout ce monde caquète, caracoule, siffle, trille, pépie, bourdonne, roucoule… Un bruit énorme. Le Père Noël fait taire toute cette escadrille, leur explique la situation, distribue le travail.

Les oiseaux s’avancent, prennent les cadeaux et les adresses, s’envolant chacun à leur tour. Parmi eux, un joli petit moineau que les pigeons, fort aimables, laissent passer. Il est vrai qu’il est bien mignon, ce damoiseau. Il s’enfonce dans la hotte qui est d’ailleurs presque vide, s’empare d’un fort joli cadeau et s’envole prestement.

Et tombe comme une pierre !

Le cadeau est trop lourd, beaucoup trop lourd ! Les petites ailes sont trop faibles. Il est seul ! Les autres sont partis à leur affaire. Le moineau chute de plus en plus, mais  ne veut pas lâcher son fardeau qu’il tient encore désespérément dans son bec. Il commence à paniquer ! Le sol se rapproche…

Soudain, il entend un bruissement. Il regarde, surpris, puis apeuré. Un énorme corbeau est tout près de lui. Le moineau tremble. Il se dit qu’il va mourir comme son ami Sam, déchiqueté la veille par un grand freux.

Et non ! Le gros bec du corbeau a pris la ficelle du colis. Ses pattes ont enserré délicatement le moineau. Le duo ainsi formé dépose le cadeau. Puis, le gros noir met le moineau à terre sans heurt et se perche à quelques pas. Tout s’est passé sous le regard ému du Père Noël.

« Que c’est étrange, murmure le vieil homme, de voir ce moineau et ce corbeau s’entraider. Le monde est devenu bien curieux. J’ai l’impression que son envers devient son endroit. Mais, pour moi, mon travail est fini et j’en remercie encore les oiseaux de Paris. »

Et là-dessus l’attelage s’envola.

En bas, entre mairie et église Saint-Ambroise, le moineau et le corbeau volent ensemble avec ravissement. Et le moineau murmure : « C’est vraiment Noël ! »

Michel ROURE, Policier à la retraite
Michel a travaillé durant 30 ans (1965-1995) dans divers services de la Police Nationale : Renseignements Généraux,  Brigade des Mineurs, Brigade Mondaine, Brigade des Stupéfiants, Brigade Criminelle, puis au Centre de Formation de la Police Nationale et pour finir au Bureau de Psychologie Appliquée.

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