Durant ce mois de Mai, nous fêtons Marie, la première femme « moderne » !

Beaucoup - féministes en tête - ont vu dans la fiancée de Joseph l'archétype de la femme soumise. Un peu trop rapide... Derrière la construction théologique, qui ne se soucie pas de rationalité scientifique, se cache au contraire une conception de la féminité beaucoup plus élevée qu'il n'y paraît. Marie, première femme moderne? Et pourquoi pas? Une lecture attentive des Evangiles prouve qu'elle a fait entrer le sexe faible dans le cours de l'histoire de Dieu. Car Luc aurait pu présenter Marie comme une femme objet de la volonté divine, un instrument passif de la splendeur des cieux. Mais il n'en est rien. Marie est libre de décider si elle croit ou non que Dieu peut tout faire, y compris la rendre enceinte sans qu'elle ait connu d'homme. De fait, la jeune Galiléenne n'acquiesce pas aussitôt aux paroles de l'envoyé divin. Elle réclame des explications. Veut comprendre: «Comment cela se fera, puisque je ne connais point d'homme?» demande- t-elle (Luc, I, 34). Faut-il le rappeler? Chez les juifs de l'Antiquité, comme chez les Grecs ou les Romains, les femmes n'avaient guère voix au chapitre. Que l'une d'elles ose émettre une objection semble presque inconcevable.
«L'Esprit-Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre» (Luc, I, 35). Par son adhésion aux paroles de l'archange, Marie, pauvre parmi les pauvres, fait mentir le déterminisme social. Elle s'affranchit de la Loi judaïque et patriarcale. Surtout, elle rend possible l'Incarnation, devenant par là même le premier être de chair - elle, une femme! - à accueillir la révolution que va constituer le christianisme pour les siècles à venir. Lors des noces de Cana, c'est encore elle qui «fait poser au Christ son premier signe, celle qui le met en route», souligne l'écrivain mariologue Roger Bichelberger, auteur d'une Petite Vie de Marie (Desclée de Brouwer). Ce jour-là, Jésus et sa mère se trouvent parmi les convives. La boisson vient à manquer. «Ils n'ont pas de vin», dit Marie. «Qu'y a-t-il, de toi à moi, femme? lui répond Jésus, réticent. Mon heure n'est pas encore venue.» Aux serviteurs, le Christ demande pourtant d'apporter six jarres d'eau, qu'il change aussitôt en un vin goûteux. Miracle accompli.
«Marie est comme une graine apportée par hasard», disait délicatement la théologienne protestante France Quéré. Et c'est bien parce qu'elle est libre que la jeune Galiléenne peut prononcer, quelques mois après l'Annonciation, le poème du Magnificat devant sa cousine Elisabeth. Long psaume à la gloire des sans-grade, le cantique de Marie est vraisemblablement inspiré du cantique d'Anne, mère de Samuel, que l'on trouve dans l'Ancien Testament. Le Tout-Puissant «a renversé les potentats de leurs trônes et élevé les humbles, Il a comblé de biens les affamés et renvoyé les riches les mains vides», se réjouit Marie. Dans un temps où nul ne peut contester le pouvoir politique sans risquer de se retrouver les fers aux pieds, il faut avoir perdu la tête ou sentir bouillonner en soi une foi révolutionnaire pour oser exalter ainsi la revanche de la plèbe. On songe soudain à la chanson de Georges Brassens, inspiré d'un poème de Francis Jammes: «Par les quatre horizons qui crucifient le monde/ Par tous ceux dont la chair se déchire ou succombe/ Par ceux qui sont sans pieds, par ceux qui sont sans mains/ Par le malade qu'on opère et qui geint/ Et par le juste mis au rang des assassins/ Je vous salue, Marie».
En acceptant de porter l'enfant de Dieu, Marie épouse la cause des exclus et des opprimés, ce qui explique d'ailleurs son inextinguible aura auprès des gens de peu. A l'égoïsme des hommes elle oppose l'amour divin, comme le fera Jésus quelques années plus tard. Cette Vierge Marie-là a le visage bienveillant de Nuestra Señora de Triana, à Séville, patronne des pêcheurs, des Gitans et des homosexuels. Le regard magnétique de la Vierge métisse de Guadalupe, symbole identitaire pour tous les Indiens et les métis d'Amérique latine. Les théologiens de la libération ont bien vu l'usage qu'ils pouvaient faire d'une telle figure tutélaire: «Dans la plus grande partie de l'Asie et de l'Afrique, nous avons besoin d'une image de Marie qui soit à la hauteur des réalités d'un tiers-monde exploité et soumis à la néocolonisation», s'enflammait au début des années 1990 le prêtre sri-lankais Tissa Balasuriya dans Marie ou la libération humaine (Golias), que l'Eglise a excommunié, le jugeant trop irrévérencieux envers le dogme marial, avant de le gracier.

Claire Chartier

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