MICHEL COOL : « Il faut inventer de nouvelles manières de parler de l’Evangile »
28 févr. 2024Le journaliste français Michel Cool fait partie de ces spécialistes appelés "vaticanistes". Intéressé par le fonctionnement de l’Eglise et les rouages du Vatican, il met ses connaissances à la portée de tous.
A l’occasion de la publication de son premier roman, Michel Cool évoque son métier et ses convictions
Après avoir collaboré au magazine La Vie, au Pèlerin et a L’Express, le journaliste exerce également la fonction d’éditeur.
C’est à lui que revient l’idée de la publication de l’essai du cardinal Jozef De Kesel, Foi & religion dans une société moderne. "C’est une belle histoire ! Comme tout éditeur, je suis à l’affût. Un jour, je suis tombé sur une homélie de Pâques du cardinal De Kesel, que je trouvais admirable. Il y insistait sur le fait que Dieu est dans le monde.
Nous avons eu, ensuite, une belle rencontre… Je suis très touché par la qualité humaine de ces personnes qui ont de lourdes responsabilités et qui n’en demeurent pas moins des gens humbles, de proximité", nous confie-t-il. A côté de ces publications dites sérieuses, le vaticaniste a pris gout à la fiction… Au point qu’un nouveau roman est en projet !
Comment êtes-vous devenu journaliste vaticaniste ?
Par des circonstances tout à fait particulières. Jeune journaliste de 24 ans, j’ai été recruté par l’hebdomadaire La Vie dans les années 1980. Quand j’y suis entré, un journaliste prenait une année sabbatique pour créer un nouveau journal.
On m’a proposé de le remplacer, autant que je le pouvais, en information religieuse. Sur le coup, je me suis dit : "Bigre, comment vais-je faire ? Je suis chrétien, mais je n’ai pas une culture religieuse aussi considérable." J’ai appris sur le tas et c’était passionnant ! J’ai eu des formateurs, un rédacteur en chef qui m’a fait rencontrer des penseurs, des théologiens, des ecclésiologies. C’était l’époque ou le pape s’appelait Jean-Paul II. Moi qui n’avais jamais quitté mon pays, ma région, je lui dois mon baptême de l’air, puisque je suis parti en reportage au Brésil pendant 15 jours.
Je dois beaucoup au journalisme, cette capacité d’émerveillement et d’enthousiasme, parce que j’ai vraiment été gâté par ma vie professionnelle.
Le souci didactique de transmission du code religieux vous semble-t-il important ?
Oui, d’autant plus qu’on a affaire aujourd’hui à un monde occidental qui a perdu l’alphabet religieux, et plus précisément catholique. Nous sommes dans des sociétés sécularisées, inchrétiennes, comme disait Charles Péguy, qui ont perdu les notions chrétiennes même les plus élémentaires. L’institution ecclésiale catholique n’est pas très connue. Du coup, beaucoup d’informations erronées, fallacieuses, de caricatures circulent. Le rôle du journaliste est d’être pédagogue et d’être un agent culturel, de permettre à ses compatriotes de mieux connaitre les rouages d’une institution.
Combien de personnes travaillent-elles au Vatican ?
Environ 3.000, alors que le nombre de fonctionnaires à la mairie de Paris est de 50.000 ! C’est une institution universelle.
Je trouve parfois qu’on est sévère avec l’administration du Vatican, sans dire qu’elle est parfaite. Le Vatican a connu récemment une crise Economique et sociale ; le pape Francois a dû licencier.
L’administration du Vatican connait les vicissitudes de la vie économique, que nous connaissons dans nos sociétés civiles. Sans aucun doute, il y a des vices dans le fonctionnement, mais il y a aussi des vertus de la part de ceux qui y collaborent ! Il faut faire la part des choses. La curie romaine mérite d’avoir un examen critique comme toute autre administration.
Peut-on faire carrière en Eglise, comme dans une entreprise ?
Oui, il y a des gens qui ont fait carrière dans la curie et ont eu des carrières exemplaires. Je pense à deux papes, Pie XI et Paul VI. On peut faire une carrière et, en même temps, être un homme digne, respectable, avoir assumé ses fonctions avec les qualités requises.
Mais, il n’y a pas besoin d’aller a Rome pour voir des carriéristes ! Il y en a aussi dans les diocèses ! Cela fait partie de la nature humaine. Je suis plus sensible à celui qui vit bien sa fonction, quelle qu’elle soit, dans l’humilité, le don de soi par l’effacement. On les trouve dans les vies civile et religieuse. Les adeptes de cette humilité font du bon travail, parce qu’ils ne réclament pas plus que leur dû !
Max Bergerre est un journaliste qui vous a influencé…
Quand je suis arrivé a Rome, très impressionné par cette salle de presse, avec tous ces journalistes internationaux dont certains avaient vécu le Concile, Max Bergerre m’a bien accueilli dans cet aréopage. Il y a 40 ans, il a été un de ceux qui ont pris du temps pour me raconter des histoires et des anecdotes du Concile et m’ont mis le pied à l’étrier du vaticanisme. C’était un homme d’une élégance raffinée. La manière de se présenter aux autres est aussi une manière de les respecter !
Exercer une fonction papale, serait-ce fatigant ?
Oui. Je pense que c’est le pire métier de la terre. C’est sans doute le plus sublime, avec l’histoire écrasante que vous avez sur vos épaules. Non seulement l’histoire, mais le présent de l’Eglise.
Tous ces croyants pour qui vous êtes un repère, une boussole. C’est écrasant, parce que, en même temps, vous ne vous appartenez plus du tout. Vous devenez l’homme qu’on écoute, qu’on regarde, qu’on implore même parfois…
C’est pire qu’un Premier ministre, un président de la République ou un roi.
Être pape, c’est avoir conscience, du matin au soir, de porter sur ses épaules le monde entier, parce que vous êtes aussi une instance "morale", spirituelle dont l’influence est considérable. Le pape est un éveilleur de conscience. Ce pape Francois, on peut lui reconnaitre la qualité d’avoir su parler aux catholiques et a ceux qui ne sont pas catholiques.
« Laudato Si » a été un bestseller extraordinaire. C’est bien la preuve qu’il a su rejoindre des tas de gens, en évoquant une préoccupation partagée par une immensité. Être une conscience est une responsabilité énorme. L’assumer est, à la fois, une épreuve et un bonheur. Le pape Francois montre, par sa manière d’être, une joie d’être pape. Cela aide à transmettre le message de l’Eglise.
Certains de ses prédécesseurs ont eu plus de peine a témoigner de cela.
On voit que François aime les gens…
Les mauvaises langues diront : "C’est un Argentin. Il a été marqué par le populisme péroniste", c’est-à-dire cette sacralisation du peuple, qui a toujours raison. Cela fait partie du débat autour du style de gouvernement du pape Francois. Je crois qu’il y a eu, chez lui, une conversion aux petites gens. C’est quelqu’un qui a eu une carrière phénoménale, puisqu’il a été responsable des jésuites d’Argentine très jeune. C’était au moment de la dictature et cela ne s’est pas très bien passé. Il en a subi des conséquences dans sa vie, puisqu’il a été écarté de la responsabilité des jésuites et s’est retrouvé à être confesseur dans une région reculée. Il a vécu la un temps d’humiliation qu’il a peut-être transforme en école d’humilité.
Cela pèse dans la psychologie du pape Francois. Cette attention aux petits, aux pauvres, aux reprouves, aux oublies est liée a une expérience charnelle et personnelle qu’il a vécue. On ne le dit pas assez. On ne peut pas expliquer ce goût de l’autre brime et ignore sans revisiter cette part sombre de sa vie.
On évoque habituellement le fait que le pape a connu une forme d’immigration.
D’une certaine manière, il en a récolté les fruits. Ses parents étaient des migrants, lui est pleinement argentin. Il est très fier de l’être. C’est un citadin, qui a été archevêque de Buenos Aires. Il a dit qu’il avait très envie d’y retourner. On peut le comprendre. Le terme de sa vie approche et l’appel des racines est important.
C’est, d’ailleurs, très émouvant. Ce sera un grand voyage, si le bon Dieu lui permet de le faire. Un poète disait : "Devenir quelqu’un, c’est laisser croitre les racines de son sourire". D’une certaine manière, le pape Francois cultive cela ; il évoque souvent sa grand-mère, sa vie de famille en Argentine… Sans nostalgie, il entretient et cultive des racines qui lui ont permis de devenir qui il est.
Retrouvez-vous dans le Synode sur la synodalité l’enthousiasme de vos débuts ?
Ce synode est une forme de prolongation du Concile Vatican II, par d’autres moyens. Il est évident que le synode, statutairement, n’a pas la même autorité qu’un Concile. Donc, tous ceux qui attendent des résultats, des nouveautés, des innovations… risquent d’être sur leur faim, parce que ce n’est pas la vocation d’un synode de prendre des décisions formelles précises. C’est plutôt un processus qui est engagé, permettant enfin aux catholiques d’échanger entre eux leurs divergences, leurs convergences, de chercher des solutions ensemble et de sortir des guerres de tranchées. C’est l’obsession du pape Francois : faire en sorte que l’Eglise sorte de ces clivages qui perdurent, en particulier depuis Vatican II. Il y a deux obéissances : obéir au réel et au Saint-Esprit. C’est peut-être la même obéissance, puisque le Saint-Esprit s’exprime dans la vie du monde ! Il s’agit de discerner les voies qui permettent à l’Eglise d’être plus heureuse, de retrouver cette liberté évangélique que j’appelle la liberté de l’enfance, pour mettre toute son énergie dans l’annonce de Jésus-Christ, dans la société d’aujourd’hui et dans le monde qui en a bien besoin. Nous traversons une période historique un peu sombre, les nuages s’accumulent… Le témoignage chrétien de l’Eglise doit retentir, et surtout être audible et crédible. Il faut donc inventer de nouvelles manières de parler de l’Evangile et de donner envie a d’autres de le connaitre. Le synode est un processus de sortie de nos débats internes pour retrouver l’envie et le dynamisme d’aller aux périphéries, comme dit le pape Francois.
Et maintenant, de la fiction !
Comment en êtes-vous arrivé à écrire un roman qui met en scène un pape ?
J’ai mis du temps pour y arriver, parce que j’ai hésité longtemps a écrire un roman. Pour moi, le roman, c’est Balzac, Victor Hugo, de grands noms… C’est un style de littérature qui m’impressionne.
Pendant très longtemps, j’ai reculé devant l’obstacle, comme un cheval qui a peur de ne pas le franchir. Grace a une éditrice chevronnée et tenace, qui s’est impatientée pendant un an et demi, j’ai succombé à sa demande et je ne le regrette pas. J’ai découvert un plaisir incroyable et la joie de l’écriture, la puissance de l’imaginaire et la liberté que je n’ai pas quand j’écris des essais. Cela fait peut-être plus appel à la hiérarchie de la pensée, a la structuration. L’imaginaire vous fait sauter les obstacles, les barrières et vous êtes emporté par une inspiration, des personnages, qui prennent de temps en temps leurs propres libertés et vous emmènent dans des directions que vous n’aviez pas prévues. Un roman est comme une cour de récréation, finalement.
On s’y distrait, mais on y apprend des choses de la vie.
Pourquoi se lancer dans une oeuvre de fiction, alors que la vérité est votre Graal ?
Cela correspond a un moment de ma vie ou je viens de prendre ma retraite, même si c’est une retraite active ! Quand on est journaliste, on l’est jusqu’’à la tombe. C’est une passion de rapport au monde. Le fait de me retrouver à la campagne, dans ma terre de jeunesse, en Picardie, dans une maison entourée de la nature, cela ouvre de nouveaux espaces et de nouvelles clairières. Cela a contribué à me lancer sans trop de peur dans l’écriture du roman.
J’ai sans doute été inspire par cette verte vallée ou j’habite et le réconfort de la nature qui m’entoure, après avoir vécu dans la banlieue parisienne.
Votre personnage, le pape Jean-Baptiste, se montre favorable à une laïcité positive. De quoi s’agit-il?
Considérer que la laïcité est peut-être une chance pour l’Eglise, plutôt qu’une entrave. Je ne parle pas du laïcisme, mais de la séparation des pouvoirs. C’est contribuer sans se renier, de manière active et positive, a cette société pluraliste dans laquelle nous vivons. Parfois, j’ai l’impression que les catholiques sont encore sur la défensive, qu’ils veulent défendre leur citadelle.
C’est voué à l’échec et cela va nous marginaliser encore plus dans une société qui tend à privatiser le fait religieux. Il ne faut pas avoir peur de la laïcité, être un facilitateur de propositions et de solutions qui n’intéressent pas uniquement la communauté catholique, mais toute la société. Nous n’avons pas à parler seulement entre nous, mais nous avons aussi des choses à lui proposer. Jésus ne parle pas qu’à ses douze. Il parle à des tas de gens, qui sont très loin de lui et même contre lui ! Il invente des manières de dire et de faire qui permettent de toucher l’attention et le coeur des autres. C’est le meilleur exemple que nous pouvons avoir. A nous d’inventer des manières de rejoindre les préoccupations de nos contemporains.
Et l’Eglise retrouvera son audience, sa crédibilité et son attractivité.
✐ Propos recueillis par
Angélique TASIAUX
Michel Cool, L’échappée belle du pape. Quasar, 2023, 168 pages.
Une recension de ce titre a été publiée dans le numéro 37 de l’année 2023.