GeorgesGilson

 

Archevêque émérite de Sens-Auxerre et de la Mission de France, Mgr Georges Gilson a participé, en 1965, à la quatrième session du Concile Vatican II comme secrétaire particulier du cardinal Veuillot, avant de devenir, à sa mort, le collaborateur de Mgr Marty. Avec lui, nous revenons sur cet événement du Concile. Cet article a été rédigé pour la Lettre des Semaines Sociales de France, d’avril 2012.

 Père, le 50e anniversaire de l’ouverture du concile Vatican II est l’occasion ce nombreuses publications. Je pense au livre récent de Christine Pedotti «La bataille du Vatican» qui relate l’histoire du Concile. Comment l’avez-vous perçu ? 

J’y trouve la patte des historiens grand public qui savent intéresser et toucher le lecteur, plus que ne font les érudits, théologiens ou hommes d’archives. C’est un ouvrage de journaliste au talent littéraire certain. Mon regret est que l’auteur n’ait pas travaillé sur les archives mêmes. En s’en tenant à une forme de compilation des seuls documents publiés sous forme de carnets, journaux ou mémoires, livres et études – ce qui est déjà beaucoup – elle exclue de fait les sources moins accessibles, ce qui fausse, ici ou là, la perspective et la conduit par exemple à sous estimer l’influence des évêques Français. Par ailleurs, le mode d’écriture qui consiste à relire le concile à travers le regard de protagonistes privilégiés tels les cardinaux Suenens et Ottaviani, Congar et Tromp… comporte le risque de réduire l’événement à une sorte d’affrontement où ces hommes d’Eglise incarneraient les pro et les anti concile. Cela étant le livre possède cette qualité première de redonner au concile une proximité, une présence qu’il n’avait plus.

Vous évoquiez l’influence des évêques Français.

L’initiative du cardinal Liénart, lors de la première assemblée dans Saint-Pierre fut décisive. Au sens strict, il prit la parole au début du concile pour demander le report de l’élection des représentants aux différentes commissions chargées de travailler les textes. Il répondait à la volonté des évêques Français. J’ai également le souvenir d’une intervention de Mgr Marty, dans le débat sur la réforme liturgique, en octobre 1962 ; il soulignait que c’est la responsabilité missionnaire de l’Eglise dans le monde qui imposait de passer aux langues vernaculaires. L’Eglise est un peuple, une portion d’humanité. Ce qui allait devenir le choix du concile. Faut-il aussi rappeler que Mgr Garonne alors archevêque de Toulouse, était le rapporteur du grand texte sur l’Eglise voté lors de la troisième session. Autre illustration : la décision des pères conciliaires d’introduire dans ce texte, Lumen Gentium, au n°28 et surtout dans Presbyterorum Ordinis que le ministère du prêtre est d’abord prophétique donc missionnaire, était une forme de reconnaissance, de réhabilitation des prêtres ouvriers. C’était là le fruit du travail du futur cardinal Veuillot président de la commission épiscopale de la mission ouvrière et de Mgr Marty prélat de la Mission de France. Je pourrais multiplier les exemples.

A vos yeux quel est l’apport majeur du concile ?

Sans doute est-ce la constitution dogmatique Dei Verbum. Les évêques ont été capables de sortir de la crise Luthérienne, ce que l’on n’avait pas su faire quatre siècles plus tôt. En proclamant que l’Ecriture – chère aux protestants – et la Tradition – chère aux catholiques -  avaient pour source unique la Parole de Dieu, les pères du concile ont marqué une avancée décisive dans le dialogue œcuménique. Car la Parole de Dieu n’est pas une écriture, à la manière du Coran, mais une personne vivante : Jésus Christ. D’où la capacité de redonner aux catholiques le «goût des Ecritures saintes», de les lui restituer à travers la réforme liturgique. En dressant la table de la Parole. Le premier fruit du concile, il est là. Il est dogmatique plus que catéchétique.

Précisément, on a souvent dénié à Vatican II d’avoir été un concile dogmatique, préférant le qualifier de pastoral. 

Il faut s’entendre sur les mots. La volonté de Jean XXIII était que Vatican II ne soit pas un concile de condamnation de nouvelles hérésies, à l’instar des premiers conciles. D’où l’on a conclu, à tort, qu’il n’était pas dogmatique, c’est-à-dire porteur de la Vérité révélée. Le choix par exemple de dire que l’épiscopat est le sacrement apostolique alors que depuis des siècles, avec Saint-Thomas d’Aquin, on estimait qu’il n’était qu’un sacre juridictionnel, est dogmatique. La primauté apostolique du corps épiscopal à travers la collégialité, est un rappel dogmatique. De même la définition de l’Eglise comme sacrement, et non comme structure mystique et/ou organisationnelle. Ou lorsque, aboutissement d’un long travail personnel de Mgr Wojtyla, qui fut le responsable de ce grand et fondamental document, Gaudium et Spes proclame au n°22 : «Nous devons tenir que l’Esprit-Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal.» On ne reviendra pas sur ces choix. J’ai identifié ainsi, dans les documents conciliaires, une vingtaine de définitions dogmatiques qui restent les acquis imprescriptibles de Vatican II.

Une vingtaine sur des milliers de pages. Tout n’est donc pas gravé dans le marbre.

Non, bien évidemment. Une faiblesse du concile est d’ailleurs de préciser insuffisamment pour chacun de ses textes s’ils sont descriptifs, catéchétiques, parénétiques ou dogmatiques. Les textes conciliaires sont complexes, difficiles d’accès pour le grand public. Ils n’ont pas tous la même autorité. Quatre d’entre-eux (1) qui ont le titre de «constitution» engagent notre foi. Mais dans ces constitutions même, co-existent des éléments qui ne sont pas de même qualification. Le futur Jean-Paul II, rapporteur de la constitution Gaudium et Spes, soulignait qu’il y a deux parties dans le texte, la première de nature théologique, la seconde plus descriptive des conditions de vie, donc susceptible d’être rapidement dépassée du fait des évolutions rapides de nos sociétés. Nous en sommes là, 50 ans après.

De tout ceci je tire deux conclusions : la première est que nous n’avons pas encore écrit la Somme théologique des grands textes conciliaires, sans doute parce que nous n’avons, à ce jour, fait la théologie de ces grands textes conciliaires sans doute parce que nous n’avons, à ce jour, ni des nouveaux Thomas d’Aquin, ni des Augustin. La seconde est une invitation au travail de pensée spirituelle et d’enracinement doctrinal de tout le Peuple de Dieu. La démarche doit être inductive dans une dynamique tripartite entre les chrétiens et, parmi eux, les savants théologiens et les évêques apostoliques.  J’aime à reprendre l’image des jardins : nous, Français, sommes habitués à tracer des jardins à la manière de le Notre ; nous aimons le parc de Versailles et nous sommes déconcertés devant un jardin à l’anglaise : la profusion des arbres et l’apparente anarchie des fleurs nous inquiète. Soyons d’abord des admirateurs des pousses… Puis invitons Descartes !

Que reste-t-il du concile ?

Je pense que 50 ans après le concile a été «reçu» par le peuple chrétien. Il n’y a pas eu de divisions ou de ruptures graves. Rien de comparable avec l’arianisme, par exemple, au IVè siècle. Il a été vécu comme une parole semée. Aujourd’hui nous en goûtons les fruits. Souvent des fruits savoureux. Quelquefois des fruits amers dont les principaux, dans nos pays occidentaux, sont  : l’effondrement de la pratique dominicale, de la fréquentation des sacrements, de la catéchèse des enfants, des vocations religieuses féminines plus encore que sacerdotales. Sont-ce là les fruits amers du concile ? Je pense plutôt que la déchirure  est à chercher dans le choc sociétal. A l’automne 1968, le général de Gaulle confiait à Mgr Marty qui lui rendait visite, sa conviction que Vatican II restait l’événement le plus important du siècle : «On ne change pas la prière d’un milliard d’hommes sans qu’il se passe quelque chose sur la planète.» Puis, anticipant les crises de l’après-Mai 68 : «Vous aurez sans doute quelque barrage qui craquera, mais vous avez la source conciliaire». 

Il y a quinze ans, dans une «Lettre aux catholiques de France» les évêques ont pris définitivement acte de la fin de la chrétienté constantinienne – déjà entérinée au concile – comme sujétion de la société à l’Eglise et instrumentalisation de l’Eglise par le pouvoir étatique. Depuis lors nous assumons la laïcité ; c’est un fait nécessaire dans un monde pluriel. Sans en posséder réellement les clés. La question qui nous est posée aujourd’hui par les jeunes prêtres n’est pas une tentation de restauration. C’est le risque, dans une société sécularisée, de se satisfaire du «petit troupeau», de la sincérité de sa foi, de la richesse de son engagement et de son témoignage, sans s’interroger sur « et tous les autres… ?», ce qui hantait ceux de ma génération.

Vous avez foi en l’avenir ?

Pour l’avenir le concile reste un guide sûr. Nous, gens de la terre,  vivons une mutation exceptionnelle, peut-être un tsunami dont les effets perdurent. Nul ne sait ce qui en sortira. Et nous voici renvoyés, chrétiens du monde entier, pour accrocher notre terre au Ciel.  Jusqu’en l’éternité d’Amour. Notre seule conviction est que nous ne pouvons pas nous replier sur nous-même, aller au désert et y bâtir des forteresses pour nous protéger. Mais ne nous trompons pas : la crise actuelle n’est dans d’abord dans notre Eglise, elle ne procède pas davantage d’une querelle entre savants et spirituels. Elle est de nature anthropologique. Il faut à l’homme contemporain redécouvrir qu’il ne survivra que par la confiance : en lui, en la vie, en l’amour. Sur ce terrain, sans doute les chrétiens ont-ils, humblement, leur place à tenir. Par grâce, nous sommes des «croyants» ; la foi nous brûle.

Propos recueillis par René POUJOL

(1)Lumen Gentium, sur l’Eglise ; Dei Verbum, sur la révélation divine ; Sacrosanctum Concilium, sur la sainte liturgie ; Gaudium et Spes, sur l’Eglise dans le monde de ce temps.

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