Guillebaud

La crise est là et nos peurs redoublent. Faut-il pour autant céder au pessimisme ? En toute lucidité, Jean-Claude Guillebaud s’y refuse et nous appelle à retrouver le goût de l’espérance.

C’est un joli livre que signe Jean-Claude Guillebaud, avec Une autre vie est possible. Un livre qui fait du bien dans un temps où le pessimisme est de rigueur et fonctionne à plein comme une « prophétie autoréalisatrice ». C’est un livre de reporter, et non pas seulement de journaliste.

Reporter, Jean-Claude Guillebaud le fut pendant de longues années, courant la planète, couvrant des conflits. Puis il a basculé dans un monde autre que celui des articles éphémères, du côté de l’édition. Vers l’écriture et la réflexion au long cours. Éditeur, il est néanmoins resté reporter, non seulement en offrant encore, ici et là, les services de sa plume, mais surtout en explorant le monde de la pensée – les sciences humaines, notamment – avec la même curiosité que celle qu’il avait eu pour rendre compte du « terrain » en exerçant son métier de journaliste.

enfant spirituel de Péguy

Une autre vie est possible est, au fond, la synthèse de ce qu’il a vu et compris. Si Jean-Claude Guillebaud avait un âge canonique, on pourrait dire que c’est un testament. Après avoir intensément scruté le monde, les sciences et les idées, il tente de discerner l’essentiel. On n’est pas surpris que celui qui signa un Comment je suis redevenu chrétien (Albin Michel, 2007) proclame que l’urgence absolue a pour nom l’espérance. Jean-Claude Guillebaud est un enfant spirituel de Péguy, chrétien intellectuel de gauche, même si cette « espèce » est parfois dite aujourd’hui en voie ’extinction.

Mais justement, il refuse de penser qu’il faut désormais se résoudre au pouvoir de Mammon, au pragmatisme cynique, au Carpe Diem, aux sagesses qui justifient tous les désengagements. Il s’insurge contre ceux qui susurrent que les idéaux et les valeurs qui ont soulevé le monde n’ont plus cours. Son livre est celui d’un moraliste français, dans la longue tradition ouverte par Montaigne.

Cherchant à caractériser notre époque, il en juge sévèrement les travers, au risque de passer pour un « mécontemporain », frôlant parfois la tentation de partager le monde entre les bons et les méchants, dénonçant à son tour ceux qui nous auraient induits en erreur – les économistes, les libéraux, les soixante-huitards repentis, les philosophes de la postmodernité… Mais il ne s’arrête pas là.

Discernant cinq grandes mutations dans lesquels nous sommes engagées – le décentrement du monde, la mondialisation, le pouvoir d’agir sur les mécanismes de la vie, la révolution numérique, la révolution écologique – il refuse de céder au pessimisme ambiant. Il ne croit pas que « tout est plié ». Il pense au contraire qu’il est temps de regarder le monde non pas avec des lunettes roses, mais sans lunettes noires. Il invite à considérer les progrès, les énergies et les hommes qui sont heureusement à l’œuvre.

l'espérance

Il est temps de sortir de l’acédie moderne. L’heure est à l’espérance. C’est elle, assure Jean-Claude Guillebaud, qui nous permettra de « transformer et sauver le monde ». C’est en le transformant qu’on le sauvera, insiste-t-il, en terminant sur des accents dignes de Barack Obama : « Je crois que nous en sommes capables. »

Dans cette insistance, l’auteur laisse transparaître qu’il n’a pas fait le deuil de l’utopie. On aurait envie de discuter avec lui sur la manière dont le christianisme s’inscrit en rupture avec l’idée d’un salut à construire selon les modèles sociopolitiques du temps – les disciples de Jésus rêvaient de la restauration du royaume d’Israël, et les catholiques de gauche d’un socialisme démocratique – pour inviter à accueillir le monde qui vient.

Un monde qui n’est jamais fini, qui est toujours dans le temps de son accomplissement, de sa naissance. Un monde qui se donne à nous autant que nous le faisons. Un monde à aimer autant qu’à transformer. Cette nuance fait qu’on résiste ici et là, non pas au plaidoyer pour l’espérance de Jean-Claude Guillebaud, mais à une petite musique, assez commune, qui désigne facilement les coupables de nos malheurs. C’est que le christianisme pousse l’espérance bien au-delà de l’indignation. Jusqu’à croire que le « coupable » peut se retourner… Cette confiance-là n’est-elle pas celle qui nous manque le plus ?

Une autre vie est possible, Jean-Claude Guillebaud, L’Iconoclaste, 234 p., 14 € 

Jean-François Bouthors

Témoignage Chrétien n° 3508 du 28 septembre 2012 

http://www.temoignagechretien.fr

 

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