Homélie du dimanche 2 mars 2014
27 févr. 2014“Vous ne pouvez servir à la fois Dieu et l’Argent”. Le verbe servir (serviteur) s’appliquait à l’époque aux esclaves, et l’Argent, avec son A majuscule, était le dieu-Argent que les textes appellent quelquefois par son nom Mammon.“Nul ne peut servir Dieu et Mammon (le dieu-Argent)”. Cette phrase était en fait un proverbe du moment, que Jésus répète à ses disciples pour en faire une ligne de conduite. Et Mammon était le nom araméen de la richesse élevée à la dignité d’un dieu. Les prophètes se dresseront toujours contre toute divinité empruntée au panthéon mésopotamien ou cananéen car Israël n’aqu’un seul Dieu. Impossible de mettre au même rang le Dieu d’Israël et Mammon. Impossible d’accueillir Dieu si l’argent tient la première place dans ta vie.
Jésus emploie aussi le mot maître (quelqu’un ou quelque chose qui nous domine) :“Vous ne pouvez servir deux maîtres”. Si tu t’attaches à l’argent, tu méprises Dieu, car alors l’argent devient ton dieu. Il te faut choisir. Que tu aies de l’argent, rien de plus normal. Mais évite d’être possédé par ton argent. Te faire du souci pour ta vie, ta nourriture, tes vêtements, oui bien sûr, mais pas tant (ce tant revient quatre fois !). Il ne faut pas que l’argent soit l’essentiel de tes préoccupations. En bref : l’argent te sert ou tu sers l’argent ?
On dit souvent : “L’argent est roi, l’argent est fou.” En réalité l’homme croit se faire roi par l’argent et c’est sa vie qui devient folle :
- une vie dés-axée, qui a perdu son axe.
- une vie in-sensée, qui a perdu son sens.
- une vie dés-ordonnée, sans ordre ni loi. Ou plutôt si, celle de la jungle où le fort dévore le faible.
- une vie dés-orientée, déboussolée, et qui tourne le dos à l’horizon d’où vient la lumière.
L’argent n’est pas plus démon qu’il n’est dieu. Ce sont les hommes qui le détournent de son rôle d’outil d’échange. Ce sont les hommes qui se déshumanisent pour de l’argent. Ce n’est pas l’argent, ce sont les hommes qui blessent et qui écrasent.
Et puis il y a l’invitation à choisir la qualité de la vie, toujours d’actualité :“la vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement ?” Être avant d’Avoir. Les deux jolies comparaisons des oiseaux du ciel « qui ne font ni semailles ni moissons » et des lys champs “qui ne travaillent ni ne filent” ne sont pas éloge de la paresse. Jésus lui-même dénoncera le paresseux qui ne fait pas fructifier son talent (Mt 25, 26). Mais ces comparaisons s’attaquent à notre maladie du rendement qui empoisonne la vie. J’entends d’ici le cri du cœur : “Ah si tout le monde mettait ça en pratique, la face du monde changerait.” Je préfère une autre formulation : non pas “Ah si tout le monde !”, mais “dès que quelques uns y croient et s’y mettent, ça change tout.” Car la pointe de ces comparaisons c’est de croire à la bonté du Père céleste qui nourrit les oiseaux et qui habille l’herbe des champs. Et s’il le fait pour les oiseaux et les fleurs, combien plus le fera-t-il pour nous qui valons davantage ? C’est bien à ce moment-là en effet que tombe, dans le texte, le mot qui caractérise notre inquiétude maladive : hommes de peu de foi !
“Cherchez d’abord le Royaume de Dieu.” C’est sans doute le sommet de la méditation : la seule chose en effet à ne pas manquer, c’est le Royaume, c’est à dire Dieu lui-même ou le prix de la vie. Il faut souvent hélas traverser un grave danger pour reprendre cette conscience du prix de la vie.
“Cherchez le Royaume et sa justice”, une manière hébraïque de parler qu’on pourrait traduire : Vivez de telle sorte que Dieu juge bon de vous compter parmi les siens.
“Cherchez d’abord son Royaume et sa justice, et le reste vous sera donné par dessus le marché”. Je n’aime pas trop cette traduction par dessus le marché. Je préfère la traduction œcuménique qui dit : “le reste vous sera donné par surcroît,” parce que surcroissance veut dire que ça poussera dessus. Si on met le Royaume en premier, si on met Dieu en premier, le reste en sera nourri et grandira par surcroît, le reste poussera dessus. Le plus souvent, on fait notre travail et s’il reste du temps, il est pour Dieu. C’est l’inverse qu’il faut faire : on commence par Dieu pour donner le ton à sa vie. Tout comme au concert on donne le la avant de commencer… sinon !
Robert Tireau
Prêtre du Diocèse de Rennes