Le Cri d'Alarme pascal de Kairos : Réflexion de Hind Khoury

Maintenant encore, en 2014, Jésus pleure sur Jérusalem, alors que prévalent l'anxiété et l'injustice.

Dans cette Ville, trois fois sainte pour les juifs, les chrétiens et les musulmans, il y a des occupants et des occupés, des agresseurs et des agressés, des oppresseurs et des opprimés. Malheureusement, l'injustice continue à être commise au nom de Dieu, là où l'alliance et les lois qui nous rattachent à notre foi sont facilement oubliées.

À l'approche de Pâques, nous essayons de comprendre les intentions de Dieu pour une humanité libérée par la mort et la résurrection de notre Seigneur. Nous devons encore et encore faire l'examen de nos engagements comme êtres humains, et comme gens de foi et de conscience. La leçon de Pâques ne nous interpelle-t-elle pas particulièrement? Sommes- nous déterminés à poursuivre les idéaux de communauté, de courage, de vérité, de non-violence, de sacrifice, de repentance, de pardon et de foi ? N'est-il pas de notre devoir de considérer comment s'appliquent ces idéaux universels dans nos contextes de vie, et de nous efforcer de " mettre en pratique la justice, l'amour, le pardon, et de marcher humblement avec Dieu ", comme le prophète Michée nous a appris à le faire ? Jérusalem n'est-elle pas digne de notre travail et de notre attention, pour que cette ville devienne le symbole d'une paix qui soit vraie et juste ?

Pourtant, dans notre ville, l'accès à nos terres nous est refusé pour y vivre et nous y nourrir. Chacun d'entre nous est préoccupé par notre survie même et par l'intégrité de notre communauté, comme par l'intégrité de notre identité et de notre culture. Notre mémoire même et notre avenir sont compromis. Toutes ces violations des lois humaines ou divines les plus élémentaires, on les justifie au nom d'une culture d'exclusion, d'un cadre juridique discriminatoire et raciste tracé opportunément par les autorités de la puissance occupante. L'une de ces lois, par exemple, a stipulé récemment que les chrétiens palestiniens ne sont pas des arabe, en vue de diviser, de dominer, et de bouleverser la cohésion de l'identité palestinienne.

Soixante-cinq ans après la NAQBA, et quarante-six ans après l'occupation israélienne de 1967, nous continuons à souffrir de l'exil de nos réfugiés d'une part, et de l'impasse où se trouve ce que l'on a appelé " le processus de paix " d'autre part. Notre ville est devenue une demeure insupportable : elle est un endroit où une langue étrangère nous est imposée, où nos terres sont expropriées dans le but d'y établir d'énormes colonies réservées aux juifs, où notre environnement historique est étouffé et fragmenté, et où les maisons sont démolies sous prétexte que le bâtiment enfreint les lois de l'occupant.

Dans notre ville, nous sommes seulement des résidents dont les droits de résidences sont révoqués, si l'on en part pour des études ou un travail à l'étranger. Nous souffrons d'une politique qui affaiblit l'économie locale, qui nous refuse des logements décents, et qui fait croître la pauvreté et le chômage particulièrement pour les jeunes et ceux qui sont diplômés. Nous subissons l'effet désastreux du Mur d'Apartheid construit en plein milieu, séparant les Palestiniens d'autres Palestiniens, et nous isolant des lieux de travail, des établissement scolaires, des hôpitaux, et des lieux de culte. Notre avenir et celui de nos enfants sont totalement en danger. Nous sommes tous supposés coupables, tant que la preuve de notre innocence n'a pas été établie par les forces de l'ordre, et il est considéré comme criminel de résister à une telle dureté, à la discrimination, à l'exil et au siège.

Dans notre ville, identité et culture sont déformées en vue d'affaiblir davantage le tissu social. Les programmes scolaires imposent le point de vue de l'occupant, nos écoles connaissent une perte d'effectifs non maîtrisée qui s'élève à 15 %, alors que les abus de stupéfiants envahissent la cité en détruisant les familles et en anéantissant l'avenir de beaucoup de nos enfants. Une langue étrangère nous est imposée, et notre ville souffre de l'isolement à l'égard de ses extensions naturelles dans les territoires occupés (ndt. la Cisjordanie) du fait de barrières artificielles et de murs en béton.

Toutes ces violations, et beaucoup d'autres aussi, on les justifie au nom d'un droit exclusif à la terre, au nom d'une compréhension arrogante de l'élection, et d'une conception incontrôlée de ce qui est juste. De ce fait, la signification religieuse de cette ville trois fois sainte est menacée. Cette culture d'exclusion défend un Dieu juif qui serait différent du Dieu chrétien ou musulman et qui menace de la sorte l'essence du monothéisme ainsi que des milliers d'années de révélation dans ce pays. Ce développement favorise l'usage abusif de la religion à des fins politiques, il contribue à attiser les conflits, les divergences et les violences, et il met en danger la paix régionale ou mondiale.

Par une surenchère croissante et en faisant obstacle à tous les efforts pour conclure un accord politique de paix équitable, le gouvernement israélien montre à l'évidence qu'aucune paix n'est possible à moins que nous, Palestiniens, ne reconnaissions Israël comme un État purement juif. Alors que cette exigence correspond à une perversion de l'histoire et à une altération des valeurs universelles de nos religions monothéistes, elle représente aussi une manipulation des faits de l'histoire et de la diversité naturelle d'une terre où la paix ne peut être atteinte qu'au prix d'une culture inclusive et de la coexistence.

Cette nouvelle exigence israélienne a pour but de compromettre la légitimité de la présence des Palestiniens dans leur pays. D'autres mesures comportent le refus du droit des Palestiniens à célébrer leur culte particulièrement à Jérusalem. Beaucoup de Palestiniens ont l'interdiction de se rendre à Jérusalem pour y prier, chose qui est particulièrement douloureuse pour nous, en tant que dépositaires dans ce pays de traditions religieuses millénaires. Dans les toutes dernières années, les autorités israéliennes ont imposé une nouvelle mesure qui bloque la Vielle-Ville de Jérusalem particulièrement pendant la sainte Semaine de Pâques sous prétexte de sécurité ; excuse que les Israéliens utilisent régulièrement pour justifier et durcir les règles de l'occupation. Lentement mais sûrement, alors que les chrétiens palestiniens sont fortement découragés d'être fidèles à leurs traditions séculaires, nos lieux saints risquent de devenir bientôt des musées au profit des touristes et de l'économie israélienne.

Alors que nous allons célébrer Pâques, nous nous demandons : l'Alliance de Dieu n'est-elle pas valable pour tous ses enfants ? Notre tâche ne serait-elle pas de construire une paix réelle à Jérusalem, symbole de la paix éternelle ? Cette ville, plus que toute autre, ne devrait-elle pas proclamer le Dieu un et unique, ainsi que l'amour qui mène les croyants à devenir lumière pour les nations, et sel de la terre ?

Le monde a produit assez de condamnations, assez de regrets, et il a vu défiler trop de résolutions condamnant tant d'injustices. Pourtant, l'impunité l'emporte, jusque-là rien n'a été fait concrètement pour contenir l'avidité humaine et la puissance marchande de l'occupation. Ça suffit maintenant ! Maintenant c'est l'heure de l'action et de la droiture ; c'est l'heure du droit contre le pouvoir ; c'est l'heure de construire et de guérir ; c'est l'heure pour la justice, l'honnêteté et la miséricorde ; c'est l'heure du rachat pour la dignité humaine, et l'heure de nourrir la vertu et l'espérance.

Lors de cette nouvelle fête de Pâques, prions et œuvrons pour la paix qui vient de Jérusalem. Si on y parvient, elle peut nous aider à sauver le vrai sens de la paix qui a été jusque là malmenée pour servir des intérêts matériels, ou un pouvoir militaire et économique. Ce devrait être notre gage pour un nouvel ordre moral qui nous rende vraiment humains.

Hind Khoury

Hind Khoury est une chrétienne palestinienne, mère de trois grands enfants, épouse d'un architecte local. Elle a travaillé pendant plus de vingt ans au développement économique des Territoires palestiniens occupés. En 2005, elle a été nommée Ministre pour les Affaires de Jérusalem par l'Autorité palestinienne, et ensuite Ambassadeur de la Palestine en France.

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