L'évangile de dimanche 26 octobre 2014 : "l'ultime commandement"

L'amour de Dieu et l'amour du prochain : Matthieu 22,34-40

« Les pharisiens, apprenant que Jésus avait fermé la bouche aux sadducéens, se réunirent, et l'un d'entre eux, un docteur de la Loi, posa une question à Jésus pour le mettre à l'épreuve : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? » Jésus lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et voici le second, qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Tout ce qu'il y a dans l'Écriture — dans la Loi et les Prophètes — dépend de ces deux commandements. »


Amour ! Amour ! répètent les chrétiens au risque d'écoeurer ceux qui les entendent. J'en fais autant dans ces commentaires. Nous avons, il est vrai, de bons antécédents: Jésus lui-même, relayé dans les lettres de Paul et surtout de Jean (par exemple 1 Corinthiens 13 et 1 Jean 3), met l'amour au-dessus de tout. Au-delà d'une exhortation à aimer, ces textes ont une portée théologique: ils signalent un changement de régime, un passage de la logique de la Loi à celle de l'amour. Dans notre évangile, Jésus dit que toute l'Écriture, la Loi et les Prophètes, dépend des deux commandements de l'amour. Deux commandements qui n'en font qu'un, puisque le second est «semblable» au premier, ce qui signifie que l'amour pour Dieu se vit à travers l'amour pour le prochain. C'est pourquoi Jean écrit: «Si quelqu'un dit "j'aime Dieu" et a de la haine pour son frère, c'est un menteur : qui n'aime pas son frère qu'il voit ne saurait aimer Dieu qu'il ne voit pas. Et voici le commandement que nous tenons de lui: que celui qui aime Dieu aime aussi son frère» (1 Jean 4,20-21). Parler de l'amour en termes de commandement peut surprendre : l'amour peut-il se prescrire? Je pense que l'on veut nous dire que la loi intérieure de l'homme, celle qui le fait exister en vérité, est l'amour, ce qui élimine l'idée que l'homme a d'autant plus de valeur qu'il domine et possède davantage. L'humanité d'un homme se mesure à l'amour.

Le temps de la Loi

L'amour nous est commandé parce qu'il nous est d'abord donné. Il est en nous fruit de l'Esprit, comme Paul l'explique en Galates 5,22-26. L'Esprit est, en quelque sorte, l'amour mutuel du Père et du Fils, amour qui nous est communiqué, ce qui nous fait «participants à la nature divine». N'empêche que l'on peut se demander pourquoi nous sommes passés du régime de la Loi à celui de l'amour, pourquoi Dieu n'a pas commencé par l'amour et fait l'économie de la Loi. Il est vrai que l'Écriture présente ce passage comme historique: il s'agit d'un changement d'Alliance; d'abord l'Ancien Testament, puis le Nouveau. Pourquoi? Parce que la rencontre de l'autre, d'un autre humain, est d'abord face à face d'affrontement. L'autre est d'abord perçu comme un adversaire, mot qui signifie "tourné vers moi". Adversaire ou obstacle, c'est-à-dire obstruction du chemin que je comptais prendre: il est là, je dois m'arrêter et «faire attention à lui». L'histoire est pleine de ces affrontements. Pour surmonter l'hostilité, il faut un contrat, une convention qui délimite le territoire de chacun, fixe les droits et les devoirs: tel est le temps de la Loi. On le sait, le Décalogue parle des relations entre nous en termes négatifs: voici les limites à ne pas franchir pour que l'existence de l'autre soit respectée. Le temps de la Loi est le temps du respect et c'est bien pourquoi la Loi ne peut être effacée, même si elle est «accomplie» (Matthieu 5,17).

Quand l'amour surclasse la Loi

Ce temps de la Loi est donc conservé et surclassé dans le nouveau régime, celui de l'amour. En Colossiens 2,14, Paul explique que le Christ a cloué à la croix le manuscrit qui nous condamnait : la Loi qui parlait contre nous parce que nous nous étions montrés incapables de l'observer. Quand Jésus est crucifié, la Loi, le Droit, le respect, la justice le sont également. Seul survit et domine l'amour par lequel le Christ livre sa vie, et nous voici sous le nouveau régime, la Nouvelle Alliance. Pourquoi Jean parle-t-il à ce propos d'un commandement unique, à la fois ancien et nouveau (1 Jean 2,7-11) ? C'est que l'attention à l'autre, qui est du ressort de l'amour, était déjà présente, mais cachée, dans la Loi. C'est l'amour qui conduit le bal depuis le début, mais il ne pourra sortir de la gangue de la Loi que lorsque « les temps seront accomplis ». Mais le passage de la Loi à l'amour n'est pas seulement question de temps, déroulement de l'histoire. La Loi reste présente au cœur de l'amour comme élément de sa structure. En effet, il ne peut être question d'amour vrai sans une « dimension » de respect de l'autre, ce respect qu'instaurait la Loi. Ce que voulait la Loi est infiniment mieux obtenu par l'amour qui, dès lors, reste le seul commandement. Contre les fruits de l'Esprit, les conduites selon l'amour, il n'y a pas de loi (Galates 5,23). Saint Augustin écrivait: «Aime et fais ce que tu voudras», car ce que l'on veut est alors expression de l'amour.

Marcel Domergue, jésuite

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