Pourquoi la crèche déchaîne les passions ?

C'est désormais le marronnier de l'hiver. Chaque année, dès le début de l'Avent, une affaire de crèche défraie la chronique. L’an dernier, un usager de la SNCF s’en était pris aux santons installés par les cheminots à la gare de Villefranche-de-Rouergue. Aujourd'hui, la polémique a eu pour théâtre le hall du conseil général de Vendée, où une crèche est installée pour Noël depuis 1988. Mais pourquoi de tels débats ? Voici (au moins) cinq raisons.

1. Parce que c'est un symbole culturel

Pour Bruno Retailleau, le patron de la Vendée, « le symbole de la crèche dépasse le symbole religieux. La crèche fait partie d’un patrimoine commun qui nous rassemble, bien au-delà des convictions des uns et des autres. Les racines chrétiennes de la France ne sont pas un postulat de la foi. Elles sont un constat de la réalité. Réalité culturelle, tant nos artistes et nos artisans ont puisé leur inspiration dans l’univers de Noël. Réalité sociale également, avec cette fête du rassemblement par excellence où se tissent, dans l’unité des familles, l’unité nationale et la grande unité de la grande famille humaine. »

2. Parce que la crèche a la puissance iconique d'une longue tradition.

Selon le psychanalyste Jacques Arènes, interviewé par Jean Mercier dans le dernier numéro de La Vie, l’émotion du « Touche pas à ma crèche » s’explique par la puissance iconique de cette longue tradition : « Les militants laïques sont dérangés par cette image de la Sainte Famille qui sanctifie un modèle idéal. Ils en font de l’idéologie, alors que le Français moyen est touché par ce symbole à un niveau très profond, qui est le désir d’enfant.

Noël reste, même dans un monde déchristianisé, le symbole de la seule utopie qui reste, une fois que les utopies politiques et économiques ont disparu : celle d’avoir un enfant… Quand les gens racontent la naissance de leur enfant, ils parlent de quelque chose qui est sacré.

L’enfant est devenu “la” valeur par excellence, le refuge ultime de l’innocence, même si c’est un fantasme. Là où, jadis, le crime impardonnable était le parricide, maintenant c’est la pédophilie. Le petit Jésus sur sa paille signifie donc que l’enfant est celui qui apporte le salut dans un monde désenchanté, ce que disait la philosophe Hannah Arendt en affirmant que toute naissance est le renouvellement du monde. » Cela ne fait donc plus de doute : les laïcistes ont sous-estimé la capacité du petit Jésus à faire de la résistance dans le subconscient sociétal.

3. Parce que ce n'est pas un symbole culturel

« (...) Dans toute cette histoire, c’est le juge administratif qui a raison, estime François Miclo sur le site Tak. Il ne fait qu’appliquer la loi de Séparation. Mieux encore : il restitue le catholicisme dans ses droits. En expulsant les crèches des locaux administratifs où certains édiles croient bon les exposer, le juge administratif aura plus fait pour la foi en Jésus-Christ que tous ceux qui s’érigent en défenseurs intransigeants de l’identité chrétienne de la France. Cela mérite quelques mots d’explication.

Que nous dit une crèche ? Elle nous dit que Dieu s’est fait homme et qu’il est venu habiter parmi nous. Elle remplit, au sens où l’entend Jean-Luc Marion, une fonction icônique : elle renvoie celui qui la regarde et la vénère au mystère de l’Incarnation. Elle est une théologie, à elle seule. Si, maintenant, l’on prétend, comme le font certains, que la représentation de la Nativité n’est pas « cultuelle », mais « culturelle », alors l’icône n’est plus qu’une idole. Et voilà que les chantres des « racines chrétiennes de la France » se transforment soudain en ce qu’ils exècrent : des adorateurs du veau d’or…

Profanateurs et idolâtres, tels sont ceux qui prétendent que la crèche n’est qu’une tradition populaire et qu’elle fait partie du « décorum ». Profanateurs et idolâtres, tels sont ceux qui exposent des représentations de la Nativité dans des édifices publics, au titre que tout cela est« culturel ».»

Un avis que partage Jean-Louis Schlegel pour qui « La Libre Pensée (association qui a porté plainte aurpès du tribunal administratif, ndlr) vole au secours de la foi ». Il écrit sur le site Fait Religieux : « Là est précisément le paradoxe : la Libre pensée, qui a gardé la mémoire des anciens combats, rappelle à nos contemporains amnésiques, indifférents au sens religieux de la crèche, qu'il s'agit bien d'un « signe » ou d'un « emblème religieux », le signe en l'occurrence d'un point central de la foi chrétienne : dans la crèche est né un certain Jésus, que la foi chrétienne vénère comme le Fils de Dieu. »

3. Parce que la Libre Pensée a une vision très particulière du concept de laïcité

C'est ce que relate Jean-Pierre Denis, directeur de la rédaction de La Vie dans un billet sur le sujet : « La crèche installée par le conseil général de Vendée est-elle contraire aux règles de la laïcité ? Depuis plusieurs jours, la polémique n’a cessé d’enfler... Personne ne s’est donné la peine de savoir ce qu’est et ce que veut la Libre Pensée, à l’origine de l’affaire. Or ce n’est pas n’importe quelle association. Il suffit de lire ses statuts, en particulier l’article 2, pour voir qu’il s’agit d’une bande d’allumés voulant tout simplement éradiquer les religions, regardées « comme les pires obstacles à l’émancipation de la pensée. » »

La laïcité n’est pas l’étouffement de la religion. On se sent obligé de le rappeler, parce que parfois on a du mal à s’en souvenir, à force ! Elle n’est pas même l’interdiction de la religion dans l’espace public, la privatisation de la croyance. En aucun cas. Ce n’est ni l’esprit ni la lettre de la loi de 1905. Elle est un principe de liberté des consciences, garantie par la séparation entre l’Eglise et l’Etat, par la neutralité de l’Etat. »

4. Parce que la crèche est instrumentalisée de toute part

« Malheureux Robert Ménard ! Malheureuse association dite de la Libre Pensée, lance le blogueur Koz. Par vos actions polémiques, vous troublez inutilement la quiétude de ce monde. Robert Ménard, qui croit nécessaire d’aller, contre l’opposition d’une partie de la municipalité et de sa population, au milieu de manifestations de réprobation, inaugurer une crèche au coeur même de sa mairie. Association de la Libre Pensée, qui croit utile d’aller poursuivre un Conseil Général pour une crèche qui perdurait sans heurts depuis plus d’un quart de siècle. Malheureux, vous qui, d’un extrême à l’autre, livrez une bataille de la crèche ! Vous qui instrumentalisez la crèche et contraignez la population à soudainement prendre parti, et prendre parti sur la base de chacune de vos positions aussi stériles et fausses l’une que l’autre ! »

Et d'ajouter : « Les uns comme les autres, entendez ce cri qui monte du coeur de la France : nous brisez pas les noix et rendez-nous le Petit Jésus ! »

LAURENCE DESJOYAUX

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