Homélie pour la Célébration en souvenir des victimes de l’esclavage colonial à la Basilique de Saint Denis.
29 mai 2015Faire mémoire et demeurer vigilant !
Référence des textes : Genèse 1, 1-28 - Genèse 37, 1-4 ; 11-28 – Marc 4, 30-32.
Trois signes nous ont été proposés au début de notre célébration : l’eau, la canne à sucre, le fer.
Regardons l’eau, symbole de la mer sur laquelle naviguaient les bateaux négriers. La mer qui devenait, pour des milliers d’esclaves, symbole de séparation avec une terre, une famille, des amis. La mer qui devint également symbole de mort pour tous ceux qui ne survécurent pas à ces terribles traversées. La mer, symbole de séparation, symbole de mort.
Deux siècles plus tard la mer est devenue signe d’espérance pour tous ceux qui cherchent à fuir la guerre, la violence, la misère. Trop souvent, hélas, cette espérance s’achève dans un naufrage qui fait aujourd’hui de la mer Méditerranée un vaste cimetière. Comment ne pas nous habituer à de tels faits ? Le devoir de vigilance rejoint le devoir de mémoire.
Regardons la canne à sucre symbole du travail forcé aux Antilles et en d’autres lieux. L’homme est réduit à un instrument de production, entendez par là qu’il peut-être acheté et vendu au même titre que n’importe quel bien.
Dans son exhortation apostolique « la joie de l’Evangile » le pape François écrit : « Aujourd’hui on considère l’être humain en lui-même comme un bien de consommation qu’on peut utiliser et ensuite jeter. Nous avons mis en route la culture du déchet qui est même promue…. Les exclus ne sont pas des exploités mais des déchets, des restes » (§ 53).
Aujourd’hui, comment ne pas nous habituer à toutes les situations de misère et d’exclusion où la dignité de l’homme, créé à l’image de Dieu, est bafouée ? Comment ne pas nous habituer à ces bidonvilles qui abritent la population Rom ? Le devoir de vigilance rejoint le devoir de mémoire.
Regardons le fer, les chaînes symboles de la souffrance et du manque de liberté. Manque de liberté physique, certes mais aussi désir de mettre fin à la liberté de penser, de réfléchir, d’émettre des idées, de rêver à l’avenir. Désormais l’esclave doit obéir et être soumis.
Aujourd’hui encore des enfants sont enrôlés de force pour faire la guerre, des jeunes filles sont enlevées, vendues, exploitées sexuellement, des peuples connaissent le joug de la tyrannie politique ou religieuse : que de souffrances, que de libertés bafouées et méprisées ! Comment allons-nous promouvoir une éducation porteuse des droits de l’homme, certes, mais aussi des devoirs de l’homme envers son prochain ? Le devoir de vigilance rejoint le devoir de mémoire.
L’eau, la canne à sucre, le fer. Le devoir de vigilance rejoint le devoir de mémoire. Qu’allons-nous faire pour éviter aux générations qui nous suivront de faire mémoire de ceux et celles qui aujourd’hui crient vers nous ? Nous croyons que l’homme créé à l’image de Dieu a la capacité d’agir, de réagir et de lutter contre les injustices. Dès lors nous ne pouvons nous dédouaner en prétendant que nous ne pouvons rien faire. La question qui devrait toujours nous habiter est bien celle-ci : « Que puis-je faire ? Que pouvons-nous faire ?». Et la parabole de la graine de moutarde nous rappelait qu’aux yeux de Dieu rien n’est inutile, que chaque geste d’humanité, aussi petit soit-il, est important à ses yeux et peut déjà transformer le monde.
Pour que le devoir de vigilance rejoigne le devoir de mémoire souvenons-nous ce matin que la graine de moutarde, la plus petite de toutes les semences, donne naissance à la plus grande des plantes potagères. Que cette parabole nourrisse notre espérance. Amen !
+ Pascal Delannoy
Evêque de Saint-Denis en France.
Samedi 23 Mai 2015