Lettre à tous les policiers de France du Directeur Général de la Police Nationale, Eric MORVAN

Voici de larges extraits d’une lettre courageuse et pleine d’humanité du Directeur Général de la Police Nationale, le Préfet Eric MORVAN, aux 150.000 policiers de France :

« Plusieurs de nos collègues ont mis fin à leurs jours. Certains penseront peut-être que ce dramatique enchaînement relève d'un facteur mimétique et que, plus on parle du suicide, plus on prend le risque d'en susciter, dans un contexte rendu plus difficile encore par la charge opérationnelle qui pèse sur vous depuis de trop nombreux mois. »…

« D'abord, pour partager votre émotion, votre solidarité à l'égard des familles cruellement endeuillées, votre incompréhension alors qu'aucun signe précurseur n'affleurait, vos questionnements douloureux lorsque, le drame survenu, l'on est torturé par les phrases que l'on n'a pas su interpréter, les silences que l'on pense rétrospectivement avoir négligés, le mal-être que l'on n'a pas mesuré. »

« Nous avons tous croisé un jour le suicide, dans nos familles, parmi nos proches ou dans notre vie professionnelle. C'est à chaque fois la même douleur, la même recherche de vérité, la même volonté de comprendre l'incompréhensible. Car ce qui pousse un homme, une femme, à se soustraire à la vie est le fruit toxique d'un inextricable faisceau de raisons, personnelles, professionnelles, affectives, psychologiques qui s'entremêlent dans la part d'ombre que chacun porte en lui. »

« La responsabilité de cet acte, aussi violent que puisse vous paraître mon propos, c'est d'abord celle de l'homme ou de la femme qui prend la décision de ce geste définitif. Ne lui enlevons pas cette part de dignité d'être humain. La nier, c'est nier l'humanité du disparu, avec ses fêlures, ses blessures. Sans doute n'aurait-il (elle) pas fait ce choix en d'autres circonstances, à un autre moment, dans un autre endroit. Peut- être qu'un sourire, qu'une parole échangée, qu'un café partagé quelques minutes avant le drame, auraient pu l'éviter. Peut-être. Peut-être pas. »

« Mais la responsabilité humaine que l'on doit reconnaître à celui ou à celle qui prend cette terrible décision ne nous exonère pas de la nôtre. Elle ne saurait nous détourner de l'attention que nous devons porter aux autres, même à celles ou ceux qui s'expriment peu, partagent peu. C'est un devoir collectif, celui des chefs d'abord, bien évidemment, mais pas seulement : c'est à chacun de nous de prendre sa part du collectif, de l'équipe, car sans équipe, la police n'existe pas. Sans cohésion nous sommes collectivement faibles. Sans solidarité, sans bienveillance, nous affaiblissons notre capacité à faire front contre l'adversité. Et c'est d'autant plus essentiel que le métier de policier est éprouvant, dangereux, exposé à la violence, à l'irrespect, au dénigrement, Ne nous laissons pas submerger par cette haine lâche et anonyme, répandue par une minorité qui ne doit pas nous faire douter de la noblesse de notre mission. Aucune mission de police n'est anodine. »

« La vie peut, parfois, l'espace d'un instant, paraître insupportable par l'effet accumulé de la fatigue, du stress, des insultes, des agressions, de l'incompréhension vis-à-vis du groupe, de la hiérarchie. Ce mal-être se conjugue souvent avec des difficultés personnelles, intimes, secrètes. L'on sait combien les deux sphères, personnelle et professionnelle, interagissent, combien les difficultés de l'une retentissent sur l'autre en les amplifiant. »

« Il faut en parler. Sans crainte d'être jugé. Il faut se confier, se persuader qu'avouer un mal-être n'est jamais une faiblesse, C'est au contraire un acte de courage, un témoignage de responsabilité. Quelle que soit la difficulté, une solution existe. On la trouvera, ensemble, même si elle est complexe, mais on la trouvera. Des personnels qualifiés seront sollicités pour aider à passer le mauvais cap et rétablir la situation, durablement' Vos chefs, de tous grades, ont un devoir de protection et c'est votre droit le plus absolu de les solliciter, y compris votre directeur général, et leur obligation de répondre, d'écouter, d'agir. »

« La vie n'est un long fleuve tranquille pour personne. N'imaginons pas, au risque de nous tromper lourdement, qu'elle est douce à certains et dure pour les autres. Chacun porte son sac, avec ses lumières et ses ombres. Et quand il devient trop lourd, demander de l'aide n'est jamais une erreur. Dans la police nationale, nous ne sommes pas seuls. Jamais. »

Père Denis CHAUTARD

Aumônier Catholique

Préfecture de Police de Paris

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