Géopolitique du monde méditerranéen à la veille du « Sommet des deux rives »

La Méditerranée porte bien son nom, elle est au milieu des terres ou entre les terres. Quatre histoires successives l’ont façonnée selon Jacques Huntzinger. Son espace accueille aujourd’hui plus de 20 États, Elle est entourée par 3 continents et sur ses rives européenne, africaine et asiatique, on peut repérer 6 espaces différents, ce qui ne signifie pas pour autant que chacun d’eux soit homogène.

o        Le Maghreb auquel l’ONU ajoute le Sahara Occidental au Maroc à l’Algérie et à la Tunisie.

o        Le Machrek avec toujours selon l’ONU, le Soudan en plus de la Libye et de l’Égypte.

o        Les pays du Moyen Orient en conflits aigus.

o        La Turquie, État euro-asiatique. Faut-il rappeler que la question de son entrée dans l’Union Européenne est posée depuis 1963, entrée aujourd’hui inenvisageable. Certains disent qu’elle aurait pu être un pont intéressant entre l’Union Européenne et le Moyen-Orient tandis que d’autres assurent qu’elle est si différente à de nombreux titres qu’elle n’a pas sa place parmi les 28 ou 27.

o        L’espace sud-ouest européen avec son arrière-plan balkanique.

o        L’espace sud-est auquel on peut rattacher la France du fait de sa façade méditerranéenne, même si l’ONU la classe parmi les États de l’Europe occidentale.

De plus la rive sud de la mer voit arriver un nombre non négligeable de ressortissants de l’Afrique Sud-Saharienne, qu’ils quittent soit parce qu’ils sont en danger, soit parce que les dérèglements climatiques et la pauvreté permanente les poussent à vouloir se rendre en Europe après un passage souvent périlleux en Afrique Septentrionale. Ces mouvements migratoires ne sont pas sans effets sur la politique des États tant du Nord que du Sud de la Méditerranée.

– Un espace déchiré –

Chacun de ces espaces est loin d’être homogène. On connaît par exemple le différend qui oppose le Maroc et l’Algérie à propos du Sahara Occidental et qui altère durablement leurs relations.

La Libye et ses 3 grandes régions, le Fezzan au Sud, la Cyrénaïque à l’Est et la Tripolitaine à l’Ouest est un pays déchiré, on le constate tragiquement chaque jour. Quelle légèreté de la part de ceux qui sont intervenus militairement pour renverser Kadhafi, de ne pas avoir prévu « le coup d’après ». De ce pays plus que divisé partent un peu partout des quantités d’armes qui alimentent milices et trafiquants de toutes natures.

Et que dire du Liban écartelé entre des peuples aux religions différentes que l’Histoire a réuni sur ce territoire exigu ? La constitution d’un gouvernement rassemblant toutes les communautés ou au moins accepté par elles toutes est un véritable défi après chaque consultation électorale. Pays pluri-religieux, qui accueille en grand nombre depuis 1948 des vagues successives de réfugiés, où existe une presse libre et qui semble montrer que l’impossible est parfois possible. En ce moment, paix intérieure certes mais paix fragile.

En Égypte et au Soudan la situation est loin d’être sereine on le sait à l’intérieur des deux pays.

On reviendra un peu plus loin sur les déchirures du Moyen-Orient où s’affrontent grandes puissances internationales et puissances régionales. La Jordanie est pour le moment en paix mais l’arrivée de plus d’un million et demi de réfugiés syriens apparaît pour beaucoup comme non dépourvu de menace de déstabilisation.

La Turquie n’a pas réglé à l’intérieur la question Kurde, « un peuple sans État » et elle est impliquée ô combien dans le drame syrien.

Dans les Balkans enfin la paix est fragile notamment entre Serbie et Kosovo et que dire de Chypre membre de l’Union Européenne pour sa partie grecque mais qui reste en mal de réunification depuis des décennies.

Le monde méditerranéen est donc bien un monde éclaté dont il est difficile de dire ce qu’il sera demain tant les facteurs à prendre en considération sont nombreux. De plus, c’est un monde où se confrontent, où s’affrontent plus qu’elles ne se rencontrent des puissances aux alliances de circonstance parfois surprenantes.

– Le jeu des grandes puissances –

Un géant économique n’est pas durablement un nain politique. Son champ d’action logique est la terre entière avec des différences selon l’intérêt géopolitique, géostratégique et économique de l’espace dans lequel elle veut être présente. La Chine de Xi Jinping, pour le moment, est moins présente dans l’espace méditerranéen qu’elle ne l’est en Mer de Chine Méridionale et ses pays riverains ou encore en Afrique où on la voit de plus en plus active. Moins présente ne veut pas dire absente. Récemment elle a proposé à l’Italie des investissements portuaires à Gênes et à Trieste surtout, dont on imagine l’intérêt pour pénétrer dans les instables Balkans et au-delà en Europe Centrale.

En guise de réponse, lorsqu’il a reçu à Paris, Xi Jinping, après sa rencontre avec Matteo Salvini, Emmanuel Macron avait invité le président de la Commission Européenne et la Chancelière allemande à participer à l’entretien afin de lui signifier que l’Europe existait comme entité à prendre en considération dans cette lutte d’influence. Une mesure sage mais il n’est pas sûr qu’elle ait troublé l’inflexible Xi Jinping.

Elle s’intéresse aussi depuis peu au Portugal, peut-être parce qu’elle considère que ce pays peut  faciliter ses relations avec les anciennes colonies lusophones que sont le Brésil, l’Angola et le Mozambique. Un ami qui rentre de Maputo m’a confirmé que la présence chinoise certes récente, est bien visible au Mozambique.

Pour finir, n’est peut-être pas anecdotique sa présence à Tanger dont l’intérêt stratégique est évident.

Les routes de la soie ne sont donc pas absentes des espaces méditerranéens.

La Russie est très engagée au Moyen-Orient. Son soutien notamment aérien mais aussi diplomatique à Bachar a au moins deux raisons. D’une part, il s’agit pour elle, de conforter sa présence navale à Tartous, deuxième port syrien après Lattaquié. Sa présence est certes moins forte que du temps de l’URSS et de la guerre froide mais elle est réelle. Il en est de même pour l’aéroport stratégique de Hmeimim. D’autre part, en faisant alliance avec la Syrie mais aussi l’Iran, (on y reviendra) elle participe à la lutte d’influence qui l’oppose aux États-Unis très présents dans le monde arabe sunnite, Arabie Saoudite, Émirats, Égypte notamment.

Les États-Unis ont fortement accentué leur engagement au Moyen Orient. Leur principal souci est clairement de combattre l’influence croissante de l’Iran qu’ils considèrent comme un État extrêmement dangereux.

Cette volonté se traduit aussi par un soutien inconditionnel et de plus en plus affirmé à Israël. Déjà élevée sous la présidence Obama, il est de plus en plus actif depuis le début de la présidence de Donald Trump. Les Palestiniens apparaissent ainsi comme de plus en plus isolés et fragilisés. La Ligue Arabe s’est révélée presque silencieuse lors des initiatives américaines en faveur d’Israël très préjudiciables à la cause palestinienne. Tout se passe comme si sa volonté d’endiguer l’Iran justifiait son silence. Le jeu des puissances régionales accentue donc lui aussi,  l’affaiblissement palestinien.

La sécurité d’approvisionnement en pétrole arabe et celle des flux militaires et commerciaux sont évidemment des éléments essentiels à prendre en considération pour comprendre l’intérêt que les grandes puissances portent à la fois au Proche et au Moyen Orient.

– Le jeu des puissances régionales –

On ne peut bien sûr passer sous silence le jeu complexe et parfois désorientant des puissances régionales. L’Iran, le Hezbollah chiite libanais et la Syrie où règne un chef d’État alaouite (branche du chiisme) constituent un arc chiite qui s’oppose à un ensemble sunnite, l’Arabie Saoudite, les Émirats, le Qatar, l’Égypte. L’opposition n’est pas seulement religieuse, peut-être est-elle avant tout l’expression aujourd’hui très vive d’une vieille rivalité où s’affrontent Perses et Arabes pour dominer la région.

Hors de l’espace strictement méditerranéen le conflit se lit aussi tragiquement en Irak et au Yémen.

Le jeu de la Turquie est encore plus complexe. Comment analyser sa présence au sein de l’Otan et simultanément son rapprochement militaire récent mais bien réel avec la Russie ? Elle semble avant tout préoccupée par la question kurde, un peuple sans État, malgré les engagements pris par la communauté internationale aux lendemains de la première guerre mondiale. Il semble aussi que son attitude fluctuante puisse s’expliquer par sa crainte de voir arriver chez elle une nouvelle vague de réfugiés après les 3,5 à 4 millions qu’elle accueille déjà.

On le voit, la lutte contre l’État Islamique certes omniprésente, n’est qu’un élément de ce complexe puzzle moyen oriental.

Et la France, et l’Europe ? –

La présence française au Moyen Orient est très ancienne. Depuis longtemps la France se veut le défenseur protecteur des Chrétiens d’Orient. De plus les accords Sykes-Picot de mai 1916 lui conféraient ainsi qu’à l’Angleterre un rôle éminent dans cette région du monde. Aujourd’hui son influence est encore réelle mais elle est de plus en plus dépassée par celle des États-Unis malgré tous les efforts de la francophonie.

Quant à l’Europe, elle s’avère très peu présente dans la crise syrienne et dans la question palestinienne. Certes l’aide humanitaire de l’Union est réelle mais son poids diplomatique très faible. Pour être influente, l’Europe devrait avoir une politique étrangère commune. Tel n’est pas le cas.

– Conclusion –

En résumé, les espaces méditerranéens révèlent une géopolitique et une géostratégie complexes, mouvantes et dont il est bien difficile de prévoir les lendemains tant s’imbriquent, interfèrent et souvent s’opposent tellement d’intérêts.

René Valette

 

Lien à la Source

 

Retour à l'accueil