El Greco : Pierre et Paul

El Greco : Pierre et Paul

Le pontife et le missionnaire, deux figures inséparables

 

Un grave conflit les a opposés et pourtant nous fêtons les apôtres Pierre et Paul le même jour. Une même passion de l'Évangile les a animés mais ils se sont affrontés dans la manière de le mettre en pratique. Pierre et Paul sont désormais réunis, paisiblement, dans le calendrier et dans la liturgie. Je lis quelques lignes de la Préface de la messe de ce jour : « Père très saint […], tu nous donnes de fêter en ce jour les deux apôtres Pierre et Paul : celui qui fut le premier à confesser la foi, et celui qui l'a mise en lumière ; Pierre qui constitua l'Église en s'adressant d'abord aux fils d'Israël, et Paul qui fit connaître aux Nations l'Évangile du salut ; l'un et l'autre ont travaillé, chacun selon sa grâce, à rassembler l'unique famille du Christ. » Voilà comment, aujourd'hui, nous faisons mémoire des apôtres Pierre et Paul.

 

L'enseignement d'une célébration commune

La même passion de l'Évangile les a conduits jusqu'au témoignage suprême, le martyre. On ne connaît pas la date précise de leur mort, ni même l'année avec certitude, mais peu importe. La primitive Église a choisi de célébrer ensemble ces deux grands apôtres. Ce choix contient un enseignement important pour nous aujourd'hui.

Tout d'abord, la richesse du mystère du Christ conduit à une diversité de témoignages. Nous pensons déjà aux quatre Évangiles : quatre présentations des paroles et des actions de Jésus. Quatre points de vue différents sur la personne de Jésus-Christ. Chacun apporte quelque chose d'original et aucun ne prétend tout dire de la personne du Fils de Dieu. Il est celui qui échappe à une simple description. Au moment où l'on pense le saisir, saint Luc nous dit : « et lui, passant au milieu d'eux, allait son chemin » (Lc 4, 30). Les apôtres Pierre et Paul n'ont pas écrit d'Évangile mais ils l'ont vécu, traduit en actes et transmis avec une intensité exceptionnelle. Pierre, attentif à la constitution d'une Église fidèle au commandement du Christ, et Paul, missionnaire intrépide reculant toujours plus loin des frontières du christianisme. Leurs témoignages, ô combien différents l'un de l'autre, sont éclairants et stimulants pour nous. Même le plus grand des apôtres ne peut suffire à rendre témoignage au Christ.

Venons-en à une autre remarque sur la fête commune aux deux grands apôtres. Spontanément, nous sommes portés à placer saint Pierre au sommet de l'Église. Or, aujourd'hui, il partage les honneurs de notre célébration avec saint Paul. Un grand théologien de notre temps (le cardinal Hans Urs VON BALTHASAR) précise que seul le Christ peut occuper cette position de sommet. Le ministère de Pierre n'est pas celui d'un chef suprême qui aurait sous ses ordres des ministres de rang inférieur. Pierre a besoin de Paul et Paul a besoin de Pierre. Pierre a besoin de Paul pour que l'Évangile soit accueilli parmi les païens et ne reste pas à l'étroit dans certaines habitudes. Paul a besoin de Pierre pour être confirmé dans la foi et pour que ses communautés nouvelles ne conduisent pas à un émiettement de l'Église.

 

Une tension vitale pour être vraiment catholiques

Pierre et Paul ont exercé un ministère de fondation, chacun selon sa grâce particulière. Pierre, par son attention à l'unité et aux articulations du Corps du Christ et Paul, par son attention aux peuples les plus éloignés. L'un et l'autre sont indispensables pour que l'Église soit vraiment catholique, au sens étymologique du mot. Catholique veut dire « en direction du tout, en vue de la totalité, en accord avec l'ensemble ». Pierre veille à ce que chaque communauté soit en accord avec le fondement, qui est le Christ, et ainsi en accord avec les autres communautés. Paul rappelle constamment que l'Évangile est pour tous et doit rejoindre la totalité des peuples et des cultures. La fidélité à l'enseignement du Christ ne va pas sans l'adaptation, l'inculturation et le dialogue. Entre ces deux pôles, les tensions sont inévitables, mais elles sont vitales et fécondes lorsqu'elles sont vécues dans l'intelligence du cœur, c'est-à-dire dans l'amour.

L'unité dans l'Église ne ressemble jamais à un calme plat. Il s'agit plutôt d'un équilibre toujours recherché, souvent mouvementé, jamais définitivement possédé. L'équilibre se trouve non pas dans un calcul compliqué mais dans un simple élan, celui que Jésus est venu apporter, l'élan de la mission. « Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20, 21).

Au service de la communion avec Dieu et de la transfiguration du monde

La mission est comme un pont jeté entre Dieu et notre humanité. Pierre est précisément le premier d'entre nous, les humains, à reconnaître en cet homme Jésus, la plénitude de la divinité : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ! » Par sa profession de foi, il est le premier à reconnaître, dans le Christ, l'irruption du monde nouveau. Pierre est capable d'une profession de foi hors du commun parce que, en cet instant, il se laisse enseigner par le Père : « Heureux es-tu Simon, fils de Yonas, ce n'est pas la chair et le sang qui t'ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. » Pierre est encore fragile, la suite de l'histoire le montrera. Mais la grâce reçue en cet instant le marquera pour toujours : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. » Malgré ses défaillances et son reniement au temps de la Passion, la promesse du Christ le sauvera du naufrage : « la puissance de la mort ne l'emportera pas ». Pierre a fait l'expérience de la puissance de Dieu dans la faiblesse.

En son Fils Jésus, le Père a décidé de franchir les distances et de rejoindre l'homme jusque dans sa fragilité. En son Fils Jésus, Dieu a établi un pont avec l'humanité. Pierre est le premier à en faire l'expérience. Jésus, selon la lettre aux Hébreux est le vrai Grand Prêtre, le pontifex selon la traduction latine de la Vulgate. Jésus est donc le Pontife par excellence, celui qui a établi le pont entre Dieu et l'humanité puisqu'il est pleinement Dieu et pleinement homme. Pierre et ses successeurs exerceront la charge de « pontife ». Le pape est appelé « souverain pontife ». Cela veut dire qu'il est chargé de veiller à « l'union avec Dieu et à l'unité du genre humain », selon la belle formule de Vatican II. La figure du « pontife » ne va pas sans la figure missionnaire de Paul. La présence de l'apôtre Paul nous rappelle combien la mission constitue la nature profonde de l'Église. À chaque génération, il convient de reprendre la route tracée par celui qui s'est laissé saisir par le Christ pour témoigner de son amour toujours plus loin. Des prêtres sont ordonnés ces jours-ci un peu partout dans le monde. Rendons grâce pour le cadeau que Dieu nous fait à travers eux. Prions pour ces jeunes qui marchent sur les traces des apôtres Pierre et Paul, prêtres soucieux de la communication entre Dieu et l'humanité, prêtres témoins audacieux de l'amour qui vient transfigurer le monde.

Jacky Marsaux

Prêtre du Diocèse d’Amiens

Docteur en Théologie

 

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