Les réfugiés apprennent le français dans une ancienne chapelle du couvent de Thal-Marmoutier, reconvertie en salle de classe. crédit : InfoMigrants

Les réfugiés apprennent le français dans une ancienne chapelle du couvent de Thal-Marmoutier, reconvertie en salle de classe. crédit : InfoMigrants

Depuis l’hiver 2017, le couvent franciscain de Thal-Marmoutier, en Alsace, ouvre une partie de ses bâtiments à des réfugiés originaires d’Afrique subsaharienne, qui arrivent par groupe de 50, trois fois par an. Encadrés et accompagnés par une association et par des agents du service public, ces réfugiés se préparent à leur intégration à la société française, sans subir les lourdeurs administratives dont souffrent souvent les nouveaux arrivants.

Les rires d’Asma, d’Abdallah, de Babikir et de Marwa résonnent en continu dans la salle de classe. Ce matin-là, les jeunes élèves étrangers, d’origine érythréenne et soudanaise, sont en plein apprentissage du vocabulaire. "On ne dit pas ‘cay-hié’ mais ‘cahier’", répète Claudine, la maîtresse, sans perdre patience. "Tu l’as appris ces derniers jours, Babikir. Tu le sais bien". À chaque erreur, les rires fusent presqu’instantanément. À côté du petit garçon, Marwa n’en mène pas large non plus. Elle ne sait pas très bien identifier les couleurs. "Rouse… ?", tente-t-elle en regardant l’image au tableau. "Presque, Marwa, mais il faut choisir. C’est ‘rose’ ou ‘rouge’".

Depuis la rentrée, Claudine, professeure de l’Éducation nationale, fait classe pour une petite dizaine d’enfants réfugiés dans le couvent de Thal-Marmoutier, un petit village alsacien dans le Bas-Rhin, à une heure de route de Strasbourg. L’objectif : aider ces petits étrangers à maîtriser les b.a-ba de la langue française en vue de leur scolarisation prochaine. A l’autre bout du couloir, dans une autre salle de classe, les parents de Babikir, Nourredine et des autres écoliers sont eux aussi en plein leçon de français. Il y a encore quatre mois, comme leurs enfants, ils n’en connaissaient pas un mot. Khadija, une mère de famille soudanaise, apprend donc au même rythme que sa progéniture. "Je parle un tout petit peu", dit-elle timidement en écrivant son prénom sur une feuille. "Je ne savais pas écrire avant".

En tout, ils sont 55 personnes, hommes, femmes et enfants, réfugiés statutaires, à relever ce défi linguistique. Et c’est bien de défi dont il s’agit quand on sait que les réfugiés de Thal-Marmoutier ne disposent que de quatre mois pour apprendre à tenir une conversation – des plus rudimentaires.

Quatre mois, c’est la durée de leur séjour ici. Dans le couvent de Thal-Marmoutier - dont une partie des locaux a été reconvertie en "sas d’accueil", selon l'expression des responsables de la structure -, les salariés et bénévoles de l’association France Horizon ont quatre mois pour armer les réfugiés à affronter leur nouvelle vie en France. "Un défi quand on sait que certains n’étaient jamais sortis de leur pays voire de leur village", explique Jean-Robert Wilt, le coordinateur de France Horizon sur le site.

Au terme de cette échéance, chaque réfugié – ou chaque famille - sera relogé en appartement de façon pérenne, quelque part en France. "En quelques semaines, ils doivent donc apprendre à être autonomes pour pouvoir se débrouiller dans leur vie de tous les jours", résume Jean-Robert Wilt. "C’est un apprentissage à marche forcée qui se déroule ici", sourit-il.

La promesse du président

Le SAS d’accueil alsacien est né à l’hiver 2017 à la suite de la déclaration du président Emmanuel Macron, d’ouvrir les portes de la France à 10 000 réfugiés d’ici fin 2019, dont 3 000 Africains subsahariens, évacués de Libye notamment.

"Nous avons été choisis par le gouvernement pour honorer cette promesse", explique Hubert Valade, le président de France Horizon qui rappelle que son association est spécialisée dans l’accueil des réfugiés depuis les années 1950. "Les personnes qui arrivent ici sont toutes inscrites au ‘programme de réinstallation du HCR pour les réfugiés africains’".

Les réfugiés de Thal-Marmoutier ont tous obtenu une protection internationale par l’Ofpra, qui dispose d’équipes au Niger et au Tchad. Ils ont été envoyés d’Afrique directement en Alsace, sans passer par la procédure classique du dépôt de dossier puis de l’entretien avec un agent de protection à Paris. Depuis le mois de décembre 2017, déjà 263 personnes sont passées par le couvent alsacien, à travers cinq groupes, appelés ici "rotations".

Une "chance", souligne Thomas Zimmermann, le directeur France Horizon. "Toutes les personnes qui arrivent ici bénéficient déjà du statut de réfugié, elles ne connaissent pas les lourdeurs administratives que subissent beaucoup de demandeurs d’asile, elles ne sont pas passées par les réseaux des passeurs, et n’ont pas risqué leur vie en Méditerranée", et elles ne connaissent pas la vie des campements informels de Paris ou de Calais. "Cette structure, c’est un peu la Rolls des centres d’accueil".

Force est de reconnaître que l’armée de salariés et de bénévoles aux petits soins pour ces réfugiés facilitent leur quotidien. Des agents de l’Ofii, du Pôle Emploi, de l’Éducation nationale viennent régulièrement à la rencontre des nouveaux arrivants pour faciliter leurs démarches et leur expliquer comment fonctionne le système de santé ou le marché de l’emploi.

"Ici, pendant quatre mois, on va les aider de façon concrète. C’est-à-dire qu’on les aide à ouvrir leurs droits aux minima sociaux, à remplir les documents administratifs pour la Caisse d’allocation familiale (CAF), pour le Revenu de solidarité active (RSA), on va leur apprendre à ouvrir un compte bancaire, les accompagner pour trouver un emploi, une formation, pour commencer ou reprendre des études… On est là pour toutes les étapes de leur adaptation", détaille Jean-Robert Wilt. "Le planning est serré, oui, ils ont entre 400h à 600h de cours. Ils ont des examens médicaux, des rendez-vous administratifs des cours d’éducation civique… Mais il faut que tout soit prêt pour leur départ vers leur nouvelle vie".

Sur place, la "Rolls" montre ses atouts : France Horizon a engagé une psychologue qui se déplace une fois par semaine à Thal Marmoutier pour assurer une permanence "et repérer les cas les plus fragiles". Des cuisiniers professionnels préparent chaque jour les repas. Une nurserie est mise à disposition de mères de famille qui peuvent y déposer leurs bébés le temps d’aller en classe. Des traducteurs en tigrina, somali, arabe, déambulent dans les couloirs pour aider tous ceux qui le souhaitent.

Les réfugiés de Thal-Marmoutier mesurent-ils cette "chance" ? "Non, pas toujours, mais comment le pourrait-il ?", souffle Jean-Robert Wilt. "Ils viennent directement du Niger et du Tchad. Ils ne connaissent rien de la

Beaucoup, en effet, fantasment Paris. "Thal Marmoutier, c’est bien mais c’est petit et il y a beaucoup de personnes âgées….", déplore en riant Robel, un Érythréen de 25 ans qui traîne les pieds pour aller en cours de français. "Je préférerais rencontrer des jeunes et des filles. Elles sont comment les filles à Paris ?"

Pour la plupart des jeunes d’une vingtaine d’années, le village alsacien est synonyme d’ennui. Peuplé de 1 000 âmes, Thal-Marmoutier ne dispose d’aucun café, d’aucun commerce, où les réfugiés pourraient échanger avec les habitants. Hormis une aire de jeux pour enfants et le terrain de volley installé dans le jardin privé des sœurs franciscaines, aucun lieu d’activité ou de divertissement n’est accessible à pied. "Le choc peut être grand pour eux, ils rêvent d’Europe et se retrouvent ici, ce n’est pas simple", reconnaît Jean-Robert Wilt.

Alors, tout est fait pour occuper les - rares - temps morts des 55 colocataires du moment. Des sorties sont organisées "pour aller voir les apiculteurs du coin" ou "pour aller jouer au foot", mais Dawit, un Érythréen de 26 ans préférerait "aller au cinéma" et Robel "aller à la piscine". Amanual, leur camarade, ne se départ pas d’une idée fixe, "aller dans des cafés pour rencontrer des filles".

Pour pimenter le quotidien, certains tentent l’école buissonnière, et s’en vont explorer le village, avant d’être rattrapés par l’équipe. À 13h30, ce jour-là, le retour en classe est compliqué. Pauline, la professeure, a commencé le cours avec une poignée d’élèves, des mères de famille. Il faudra attendre 14h, avant que la salle soit au complet. "Ils sont dissipés", sourit Laurent, un des salariés polyvalent de France Horizon. "Il faut être derrière eux. Ce sont des jeunes. Ils ne se rendent pas compte que la maîtrise du français est capitale. Ils pensent qu’on sera toujours là pour les aider".

Dans la maison au bout de la rue, à quelques mètres seulement du couvent, Pierre, un retraité d’une soixantaine d’année regrette de ne pas connaître davantage ce nouveau groupe. "Avec les 50 réfugiés de la première rotation, on avait beaucoup plus d’affinités. On se parlait, ils voulaient m’aider à jardiner", se rappelle-t-il. "Ce groupe-là ne vient pas à notre rencontre, c’est dommage".

Pierre n’a pas toujours tendu la main à ses nouveaux voisins. Il reconnaît sans langue de bois avoir été "très hostile" à l’ouverture de la structure d’accueil à l’hiver 2017. "On s’est imaginés qu’on allait avoir un Sangatte ou un Calais à nos portes. On était furieux. J’étais prêt à installer des grillages autour de mon jardin", se rappelle le retraité désormais surnommé "Papi carambar" par les enfants réfugiés à qui il distribue des friandises.

À 14h, dans les couloirs du couvent, justement, les plus petits qui ne sont pas partis à la sieste après le déjeuner courent partout entre le réfectoire, la nurserie et la salle de classe. L’un d’eux lance une balle contre un mur qui percute un petit tableau sculpté accroché là. L’œuvre religieuse - on y devine la Passion du Christ - vacille mais ne se décroche pas. Après avoir retenu son souffle, le petit responsable de ce tir malheureux, repart en riant.

Personne ne semble prêter attention aux reliquats catholiques encore présents ici et là. La salle de télé est toujours nommée "Béthléem", et la salle d’éducation civique "Nazareth". Tout le monde semble également se moquer qu’un immense Christ en Croix surplombe les tables de cours, dans la salle de classe du rez-de-chaussée qui servait autrefois de chapelle.

Le décor est d’autant plus cocasse que la quasi-totalité des 55 réfugiés est de confession musulmane. "Étudier dans une chapelle ? Ça ne me dérange pas. Je suis là pour apprendre le français, pas une nouvelle religion", sourit Abdelkarim, un jeune Somalien de 24 ans dont une partie de la famille a été massacrée par les islamistes Shebab. "C'est vrai qu'enseigner le principe de laïcité à des musulmans dans une chapelle, c'est drôle", renchérit une bénévole. La cohabitation avec sept religieuses franciscaines dévouées à Saint François d’Assise ne semble pas non plus perturber les nouveaux locataires des lieux, bien au contraire. "On ne les voit presque jamais… C’est dommage. Elles ont l’air gentilles. Elles sourient tout le temps", continue le jeune Somalien.

"C’est comme s’ils venaient d’une autre planète"

Abdelkarim et les autres commencent à prendre conscience de leur départ prochain. Ils arrivent au bout de leurs 16 semaines de prise en charge à Thal-Marmoutier. Dans un français encore hésitant, Abdelkarim explique être reconnaissant envers la structure, et n’a pas peur de "l’après". "Quand je serai installé, je crois que je me mettrai à l’espagnol", confie-t-il, sans s’inquiéter de sa ville d’adoption.

D’autres sont moins sereins. En cours de formation civique, cet après-midi là, de nombreux réfugiés montrent des signes d’angoisse à l’idée de quitter le couvent. "Pourquoi je peux pas choisir ma ville ?", demande l’un. "Je ne connaîtrai personne là-bas ?", demande un autre. "À chaque départ, c’est pareil", précise Saïd, le professeur. "Certains ne maîtrisent pas encore le français, alors ils appréhendent de se retrouver dans un appartement, isolés, loin de leurs amis, loin des associations".

Pour ne pas les lâcher en pleine nature, France Horizon continue donc le suivi des réfugiés pendant encore hii mois, via une équipe de travailleurs sociaux. Un suivi indispensable pour ce public fragile. Le "mécanisme accéléré d'intégration" n’est pas adapté à tous. "Quand certains arrivent de coins reculés en Afrique, qu’ils ne parlent pas un mot d’anglais, on s’inquiète. On se dit que les débuts en France vont être très durs", précise Jean-Robert qui se rappelle avoir été confronté à des personnes "qui n’avaient jamais vu un tram, qui ne savaient pas comment se déplacer en ville, qui n’avaient jamais utilisé un ordinateur..."

À ses côtés, Nicolas, ancien réfugié de RD Congo, aujourd’hui salarié de France Horizon, acquiesce. "Il faut qu’ils apprennent à atterrir. C’est comme s’ils venaient d’une autre planète..."

Et si certains ratent le premier atterrissage, ils peuvent en réussir un second, rappelle Thomas Zimmermann, le directeur de l’association, en insistant sur l’histoire de trois frères centrafricains revenus s’installer dans le village alsacien. Les trois jeunes hommes ont été relogés à Nantes, en Loire-Atlantique, à 800 km de là. Mais l'expérience de la grande ville a été un échec.

"L’aîné ne trouvait pas de travail là-bas, alors il est revenu ici avec ses jeunes frères", se souvient aussi Pierre, alias Papi Carambar. "Un jour, ils ont sonné à ma porte. On était heureux de les revoir. Je l’aime bien, ce petit. On s’est démenés pour l’aider à trouver un emploi", ajoute le retraité qui semble avoir pris la fratrie sous son aile. "On a aidé ses jeunes frères à entrer au lycée ici", ajoute sa femme, Denise.

Aujourd'hui, l’aîné est mécano, continue Pierre. Le deuxième est au lycée et le troisième "est premier de sa classe", ajoute-t-il fièrement. "Ce sont des Thalois, maintenant. Ils vivent et travaillent ici. Certains n’apprécient pas qu’ils soient là. Je le sais. Ce sont les premiers Noirs du coin", plaisante-t-il. "Mais ce sont des Thalois.

 

Charlotte Boitiaux

 

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