Monseigneur Hervé Giraud a rencontré le père de la famille albanaise menacée d'expulsion, ce jeudi 19 décembre. © Marion Boisjot

Monseigneur Hervé Giraud a rencontré le père de la famille albanaise menacée d'expulsion, ce jeudi 19 décembre. © Marion Boisjot

L'archevêque de Sens et d'Auxerre, Monseigneur Hervé Giraud, a rencontré ce jeudi 19 décembre 2019 le père de famille albanais menacé d'expulsion avec sa femme et ses trois enfants. Si les associations de soutien aux migrants de l'Yonne parlent en son nom depuis les premières mobilisations, il a pu, cette fois, raconter son histoire. 

Monseigneur Hervé Giraud a rencontré à Auxerre, ce jeudi 19 décembre à l'évêché, Azim (*). Arrivés d'Albanie il y a 5 ans, lui, sa femme et leurs trois enfants sont aujourd'hui menacés d'expulsion. Le couple a été débouté du droit d'asile, après deux demandes de réexamen étudiées par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) et par la cour nationale du droit d'asile. Depuis l'intervention de la gendarmerie de Migennes au centre d'accueil Coallia, où elle résidait, la famille se cache tandis que les associations de soutien aux migrants se mobilisent.

"Je ne suis pas un criminel"

"J'ai été alerté par mon délégué épiscopal, chargé de la pastorale des migrants dans l'Yonne. Nous suivons d'autres dossiers en Puisaye ou dans le Tonnerrois, et j'aime prendre le temps d'écouter ces personnes individuellement, elles me disent des choses de l'humanité par leurs témoignages. Aucune situation ne tue en moi l'attention au prochain", affirme Monseigneur Hervé Giraud, qui avait préparé quelques friandises à offrir à Azim(*) pour Noël. 

Son histoire, Azim la raconte en français, autour d'un thé, aidé par l'archevêque lorsqu'un mot lui manque. "Je ne suis pas un criminel". Ce sont ses premiers mots. "Je ne me suis jamais caché dans ma vie, j'ai toujours respecté les règles, je n'ai jamais eu une seule amende dans mon pays".   

"Je suis impressionné par la solidarité, très touché par les citoyens."

Très vite, il tient à remercier les citoyens de "sa deuxième maison", la France, qu'ils tient en haute estime. "Je suis impressionné par la solidarité, très touché par les citoyens. Je ne pense pas qu'on s'engage autant dans d'autres pays, dans les associations, auprès des migrants. Je les remercie, comme je remercie le centre d'accueil, mes amis français ou non, les assistantes sociales, le conseil général, le district de football de l'Yonne et la Ligue de Bourgogne". 

"La préfecture ne reviendra pas sur les décisions juridiques" 

Pourquoi remercie-t-il le milieu du football ? Parce que malgré sa situation, Azim a créé son association et son club, le FC Aigles Auxerre. "Mon statut ne m'a pas empêché de le faire, ce que je trouve très démocratique. J'ai choisi l'aigle car c'est l'emblème de l'Albanie, mais l'aiglon est aussi celui de Napoléon Bonaparte", dit-il en souriant. "Dans ce club, j'ai toujours voulu transmettre un message de respect aux joueurs. J'ai plein de projets pour l'association, et je ne suis pas quelqu'un qui laisse tomber facilement".

Pourtant, la préfecture de l'Yonne campe sur ses positions. En parallèle de la rencontre secrète entre Azim et Monseigneur Hervé Giraud, une réunion, demandée par Réseau éducation sans frontières, s'est tenue entre les associations de soutien et Tristan Riquelme, directeur de cabinet du préfet.

"D'après l'étude du dossier, examiné par une autorité indépendante, la famille n'est pas menacée en Albanie."

"La position de l'État, c'est la stricte application du droit français. La demande d'asile a été rejetée ainsi que tous les recours déposés, examinés par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, par la cour nationale du droit d'asile ou par le tribunal administratif. La famille ne peut pas non plus bénéficier de la circulaire Valls, car elle ne remplit pas encore les conditions de durée de séjour sur le territoire. Elle ne les remplira qu'en mars 2020. Troisièmement, d'après les conclusions tirées de l'étude du dossier, examiné par une autorité indépendante, la famille n'est pas menacée. L'Albanie n'est pas un pays en guerre, on peut y vivre normalement. Certains français y vont en voyage d'affaires ou faire du tourisme. Prendre la décision de faire rester la famille serait une décision en défaveur de familles réellement menacées", détaille Tristan Riquelme. 

De nouvelles mobilisations en vue

Sur ce dernier point, Azim n'est pas d'accord. "En Albanie, j'étais président du parti de gauche, conseiller municipal, coordinateur d'élections. Dans ce pays, la corruption est une maladie et des groupes criminels empêchent la démocratie. Je pensais que mon parti pouvait changer les choses, mais rien n'a changé. Le parti m'a déçu, je n'étais pas d'accord avec la façon de faire, et cela m'a valu des menaces de mort. Aujourd'hui, si je rentre, ces personnes devenues importantes me menaceront toujours. Je comprends la préfecture. Ils font leur travail, doivent respecter la loi. Mais je ne peux pas accepter d'être expulsé, ni le comportement des gendarmes qui sont intervenus à mon domicile et ont intimidé ma femme. Maintenant, je me sens chez moi en France", affirme Azim.

Dans leur esprit, plus de reconduites à la frontière satisferont les électeurs, mais c'est seulement faire le lit de l'extrémisme.

Lors de la réunion, Erwan Ménard, de Réseau éducation sans frontières, a tenté de faire valoir les actions de mobilisation qui se sont tenues à Joigny et à Auxerre, pour soutenir la famille. "On sent que cela choque tout le monde, on commence à avoir des soutiens politiques. Aujourd'hui, c'est un coup de massue, mais cela nous donne envie de crier haut et fort contre cette inhumanité. De nouvelles mobilisations vont s'organiser".

Une mobilisation vue d'un bon oeil à l'évêché. "La préfecture est prise dans le cadre de la politique générale. La mobilisation est un bon moyen de faire entendre qu'il y a des cas d'exception. Dans leur esprit, plus de reconduites à la frontière satisferont les électeurs, mais c'est seulement faire le lit de l'extrémisme. Lorsqu'on rencontre la personne en face à face, on ne peut plus penser pareil", conclut le délégué épiscopal.

(*) Le prénom a été modifié. 

Lucile Preux
 

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