Migrants : le pape fait exposer un gilet de sauvetage « crucifié » à l’entrée du Vatican
19 déc. 2019« Notre paresse est un péché ! » dénonce-t-il
Dans la cour du Belvédère, l’un des accès du palais apostolique du Vatican, le pape François a fait exposer un gilet de sauvetage « crucifié », en souvenir des migrants et des réfugiés. « Notre paresse est un péché ! » a-t-il mis en garde.
Lors d’une cérémonie en présence des 33 réfugiés arrivés récemment de l’île de Lesbos par des couloirs humanitaires, grâce à l’aumônier pontifical, le cardinal Konrad Krajewski – qui s’est rendu à Lesbos -, et la Communauté de Sant’Egidio, le pape a redit « l’engagement incontournable de l’Eglise à sauver les vies des migrants ».
Ce gilet de sauvetage “crucifié” sur cette croix, a-t-il expliqué, rappelle « que nous devons garder les yeux ouverts, garder le cœur ouvert », il souligne « l’engagement inéluctable de sauver chaque vie humaine, un devoir moral qui unit croyants et non-croyants ». Il a appartenu à un inconnu disparu en Méditerranée et il a été remis au pape par des secouristes.
Le pape François a dénoncé la mort « causée par l’injustice » : « c’est l’injustice qui oblige de nombreux migrants à laisser leurs terres. C’est l’injustice qui les oblige à traverser des déserts et à subir des abus et des tortures dans des camps de détention. C’est l’injustice qui les rejette et les fait mourir en mer. »
« Ce n’est pas en bloquant leurs embarcations que le problème se résout », a insisté le pape, exhortant à « s’engager sérieusement à vider les camps de détention en Libye », à « dénoncer et poursuivre les trafiquants » : « Il faut secourir et sauver, car nous sommes tous responsables de la vie de notre prochain, et le Seigneur nous en demandera compte au moment du jugement. »
Voici notre traduction du discours du pape François, prononcé en italien.
AK
Discours du pape François
C’est le deuxième gilet de sauvetage que je reçois en cadeau. Le premier m’a été offert par un groupe de secouristes. Il appartenait à une enfant qui s’est noyée dans la Méditerranée. Je l’ai donné aux deux sous-secrétaires des la Section Migrants et Réfugiés du Dicastère pour le service du développement humain intégral. Je leur ai dit : “Voilà votre mission !”. J’ai voulu signifier ainsi l’engagement incontournable de l’Eglise à sauver les vies des migrants, pour pouvoir les accueillir, les protéger, les promouvoir et les intégrer.
Ce deuxième gilet de sauvetage, remis par un autre groupe de secouristes il y a quelques jours, a appartenu à un migrant disparu en mer en juillet dernier. Personne ne sait qui il était ni d’où il venait. On sait seulement que son gilet a été retrouvé à la dérive dans le centre de la Méditerranée, le 3 juillet 2019, à des cordonnées géographiques précises. Nous sommes face à une autre mort causée par l’injustice. Déjà, parce que c’est l’injustice qui oblige de nombreux migrants à laisser leurs terres. C’est l’injustice qui les oblige à traverser des déserts et à subir des abus et des tortures dans des camps de détention. C’est l’injustice qui les rejette et les fait mourir en mer.
Le gilet “habille” une croix en résine colorée, qui veut exprimer l’expérience spirituelle que j’ai pu saisir dans les paroles des secouristes. En Jésus Christ la croix est source de salut, « folie pour ceux qui vont à leur perte – dit saint Paul – mais pour ceux qui vont vers leur salut, pour nous, il est puissance de Dieu » (1Cor 1,18). Dans la tradition chrétienne, la croix est symbole de souffrance et de sacrifice, et en même temps, de rédemption et de salut.
Cette croix est transparente: elle lance le défi de regarder avec une plus grande attention et de chercher toujours la vérité. La croix est luminescente: elle veut encourager notre foi dans la Résurrection, dans le triomphe du Christ sur la mort. Le migrant inconnu, mort avec l’espérance d’une nouvelle vie, participe aussi à cette victoire. Les secouristes m’ont raconté qu’ils apprennent l’humanité grâce aux personne qu’ils réussissent à sauver. Ils m’ont rapporté comment, dans chacune de leurs missions, ils redécouvrent la beauté d’être une unique grande famille humaine, unie dans la fraternité universelle.
J’ai décidé d’exposer ici ce gilet de sauvetage, “crucifié” sur cette croix, pour nous rappeler que nous devons garder les yeux ouverts, garder le cœur ouvert, pour rappeler à tous l’engagement inéluctable de sauver chaque vie humaine, un devoir moral qui unit croyants et non-croyants.
Comment pouvons-nous ignorer le cri désespéré de tant de frères et sœurs qui préfèrent affronter une tempête en mer plutôt que mourir lentement dans les camps de détention libyens, lieux de torture et d’esclavage ignobles ? Comment pouvons-nous rester indifférents face aux abus et aux violences dont ils sont les victimes innocentes, en les laissant à la merci de trafiquants sans scrupules ? Comment pouvons-nous “passer outre”, comme le prêtre et le lévite de la parabole du Bon Samaritain (cf. Lc 10,31-32), en nous rendant ainsi responsables de leur mort ? Notre paresse est un péché !
Je remercie le Seigneur pour tous ceux qui ont décidé de ne pas rester indifférents et qui se prodiguent à secourir le malheureux, sans se poser trop de questions sur le comment ou sur le pourquoi de ce pauvre à moitié mort qui s’est retrouvé sur leur chemin. Ce n’est pas en bloquant leurs embarcations que le problème se résout. Il faut s’engager sérieusement à vider les camps de détention en Libye, en évaluant et en mettant en oeuvre toutes les solutions possibles. Il faut dénoncer et poursuivre les trafiquants qui exploitent et maltraitent les migrants, sans peur de révéler des connivences et des complicités avec les institutions. Il faut mettre de côté les intérêts économiques pour que la personne soit au centre, toute personne, dont la vie et la dignité sont précieux aux yeux de Dieu. Il faut secourir et sauver, car nous sommes tous responsables de la vie de notre prochain, et le Seigneur nous en demandera compte au moment du jugement. Merci.
A présent, que chacun prie en silence en regardant ce gilet de sauvetage et en regardant la croix.
Que le Seigneur vous bénisse tous.
Traduction de Zenit, Anne Kurian