Homélie du dimanche 5 avril 2020, dimanche de la « Passion »
31 mars 2020Ce dimanche porte deux noms. Il rappelle et célèbre deux événements rapportés par les quatre évangiles : l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et sa Passion. Deux événements contrastés. L’un, joyeux, festif, triomphal, et l’autre, tragique. L’un, verdoyant avec ces rameaux que cueille et porte la foule, – rappel du triomphe de la vie en ce nouveau printemps dont la terre est gratifiée -. L’autre aux couleurs du drame et du deuil, qui rapporte comment la folie meurtrière de la même foule peut-être a jugé et condamné l’innocent, a fait condamner lâchement à mort le prince de la vie.
Un contraste saisissant entre l’entrée triomphale de Jésus dans Jérusalem et sa mort scandaleuse hors de la ville sainte, et cependant un même et unique regard de l’Evangéliste Matthieu sur la manière dont le Messie, l’envoyé, le Fils de Dieu se présente au milieu de son peuple, dans l’histoire humaine. Elle est touchante et dérisoire l’entrée de ce prophète galiléen dans la ville de David, accomplissant ce qu’avait annoncé avant lui Zacharie, un autre prophète :
« Dites à Jérusalem : Voici ton roi qui vient vers toi,
humble, monté sur une ânesse et un petit âne, le petit d’une bête de somme. »
Les disciples […] amenèrent l’ânesse et son petit,
disposèrent sur eux leurs manteaux, et Jésus s’assit dessus.
Dans la foule, la plupart étendirent leurs manteaux sur le chemin ;
d’autres coupaient des branches aux arbres et en jonchaient la route.
Les foules qui marchaient devant Jésus et celles qui suivaient criaient :
" Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !
Hosanna au plus haut des cieux ! »
Ce roi qui vient au nom du Seigneur délaisse le cheval, monture de guerrier et d’homme fort, et il choisit pour son entrée triomphale une ânesse et son petit, symboles de paix et de simplicité. Glorification jusqu’au bout de la petitesse dans le récit de l’évangéliste Matthieu. C’est un roi sans arme, ni armure, ni armée, doux et humble de cœur. Il s’offre à l’accueil ou au refus de la ville de Dieu, à l’accueil ou au refus du monde des hommes. Un roi qui ne règne pas par la violence, l’intimidation, l’apparat, l’arrogance et ne dispose d’aucun soldat. Monté sur une bête de somme, lui dont la mission est de porter sur ses épaules la brebis perdue, de se charger des péchés de la multitude des humains qu’il vient arracher à leurs pulsions de haine et de cupidité.
L’agitation gagne tout Jérusalem : on (sans doute les citadins sceptiques) se demandait : « Qui est cet homme ? » Et les foules (sans doute les pèlerins enthousiastes venus des provinces ou des nations pour la Pâque) répondaient : « C’est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée ». Des foules versatiles (peut-être de citadins et de pèlerins) qui changeront de ton au moment de la Passion, poussées par les chefs des prêtres et les anciens, et crieront « A mort ! » après avoir crié « Hosanna ! ».
Ce dimanche, au mime liturgique de la procession des rameaux succède le long récit de la Passion en St Matthieu. Son caractère vivant et concret est tel qu’il touche le cœur par lui-même et n’a guère besoin de commentaires. L’auteur adopte, pour raconter la Passion, le point de vue de la foi chrétienne, un point de vue qu’on pourrait qualifier de « dépassionné ». Un point de vue qui n’exclut pas des détails violents et outranciers, mais qui ne cherche ni à juger ni à condamner ceux qui sont responsables de la mort de Jésus, ceux qui l’ont abandonné, trahi, crucifié.
Gardons-nous donc en écoutant ce récit de nous mettre en position de jugement de ceux qui livrent Jésus, comme l’Eglise a pu le faire, et dont elle a fait repentance depuis Jean XXIII et le concile Vatican 2. Le récit de la Passion nous invite à une conversion sur le plan de notre foi et de notre vie. Que chacun se demande comment ce récit l’interpelle et le juge, comment il peut se reconnaître en chacun des protagonistes, en son comportement quotidien. Qu’il se demande à quelle conversion personnelle il est appelé face à ce procès fait à Jésus dans lequel il se trouve forcément impliqué lui aussi.
Que chacun de nous se demande surtout comment il aurait reconnu et reconnaît encore aujourd’hui en ce prophète galiléen l’envoyé, le Fils de Dieu. Cette « re-connaissance » est le fondement de notre propre foi, de notre propre représentation de Dieu, du Christ sauveur. Arrêté par la milice mobilisée par les chefs des prêtres et des anciens, torturé, injustement condamné à la peine de mort ce Jésus nous interroge tous et nous juge : « Quand j’étais arrêté, jugé injustement, condamné plus injustement encore, crucifié comme un malfaiteur, n’as-tu pas détourné ton visage, ne m’as-tu pas livré, renié, ou abandonné ? Ne m’as-tu pas craché au visage, couronné d’épine, crucifié en pensant rendre gloire à Dieu ou obéir à ton César ? As-tu reconnu en moi le Fils de Dieu ? Si tu es vraiment mon disciple, surtout ne dis pas : Je ne savais pas que c’était toi ! »
Les passants l’injuriaient en hochant la tête :
« Toi qui détruis le Temple et le rebâtis en trois jours,
sauve-toi toi-même, si tu es Fils de Dieu, et descends de la croix ! »
De même, les chefs des prêtres se moquaient de lui
avec les scribes et les anciens, en disant :
« Il en a sauvé d’autres, et il ne peut pas se sauver lui-même !
C’est le roi d’Israël : qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui !
Il a mis sa confiance en Dieu ; que Dieu le délivre maintenant, s’il l’aime !
Car il a dit : « Je suis Fils de Dieu ». »
Les bandits crucifiés avec lui l’insultaient de la même manière.
Passants, chefs des prêtres, scribes, anciens, bandits, juifs et romains, ou encore les disciples qui ont fui, trahi ou renié, il est trop facile de les considérer seulement comme des gens haineux, sadiques, ou lâches. Ce qu’ils ont peut-être en commun, c’est leur fausse image de Dieu. Cet homme Jésus ne leur a rien fait de mal mais il dérange de manière radicale leur image de la toute-puissance de Dieu.
L’image d’abord d’un Dieu grand mage et manipulateur ou d’un architecte géant qui regarde de bien loin et de très haut nos chemins d’hommes et de femmes sur cette terre et qui décide de tout, de manière arbitraire, on ne sait pas trop ni comment, ni pourquoi : « C’est le destin, la fatalité, c’était écrit, dit-on », ce qui justifie que l’on se soumette, et que l’on reste inerte et passif et irresponsable face aux événements. Cette représentation n’a rien à voir avec la Révélation d’un Dieu Créateur qui nous veut libres, responsables face aux événements de notre vie et de celle des autres. La manière dont le Fils de Dieu conduit son existence humaine, assume son procès, vit sa passion et sa mort, nous montre ce qu’est la volonté du Père. C’est librement, par amour du Père qu’il affronte ses adversaires, qu’il résiste face à la haine et l’injustice, qu’il donne sa vie. Personne ne la lui enlève, c’est lui qui en fait don.
Mais une autre image, tout aussi répandue, habite aussi les esprits, c’est l’image de la Toute-Puissance de Dieu. On a du mal à comprendre son silence et sa passivité devant les événements du monde et les drames qui nous touchent, les drames des morts douloureuses ou brutales, un Dieu dont on se demande à quel jeu il joue avec nous. Comment se fait-il que lui, le tout puissant, n’intervienne pas pour sauver son Fils, pensent les passants, les scribes, les grands prêtres, les soldats et sans doute aussi les disciples ? Combien de réactions de ce type en nous et autour de nous ? Qui est-il ce Dieu qui n’intervient pas en faveur du juste et de l’innocent, qui garde le silence, nous laisse à nous-mêmes, à nos misères, à nos drames ! Il faut tout le retournement intérieur de la foi pour réaliser qu’il est avec son Fils crucifié. « Qui me voit a vu le Père » avait dit Jésus. Dieu n’est donc pas ce Père courroucé par les péchés des hommes dont la colère se calme enfin en voyant couler le sang de son Fils. Il est avec son Fils en croix. Dans la crucifixion et la mort de Jésus c’est une fausse image de lui qui meurt, et une image toute neuve qui surgit. Aux philosophes qui proclamaient : « Dieu est mort », a dit le Père Moingt, les chrétiens auraient dû répliquer : « Il y a 20 siècles que nous le savons ! » Comme saint Polycarpe avant sa mort l’avait crié à foule, nous sommes athées de votre Dieu.
Sur la croix, comme au jour de la tentation au désert, Jésus refuse de mettre Dieu à l’épreuve en le suppliant de venir à son secours pour le défendre ou lui éviter de mourir. Il croit que le Père l’accompagne et le soutient dans son épreuve. Cette manière de mourir que le Christ assume est une merveilleuse victoire, celle de l’amour, alors que la manière dont les responsables religieux l’assassinent lui, le juste innocent, est pour eux la pire et la plus honteuse des défaites, et signe la mort de leur fausse image de la toute-puissance de Dieu. L’image qu’ils portent en eux d’un dieu potentat, haineux et exterminateur, Jésus la cloue sur la croix. La toute-puissance de Dieu est toute puissance d’aimer jusqu’à mourir pour ses ennemis et ses bourreaux. Il ne se pose pas en rival des pouvoirs religieux et politiques qui jouent leur survie en faisant mourir ceux qui ne pensent pas comme eux. Il choisit ainsi de se comporter à l’opposé des puissants de ce monde. Sa toute-puissance à lui n’est pas celle de la magie, du pouvoir dominateur, mais celle de la totale humilité, du service et de l’amour jusqu’à mourir pour les humains, qu’ils soient ses amis ou ses ennemis. (Mc 10, 42)
C’est ce que Paul proclame dans sa lettre aux Philippiens : une des premières hymnes chrétiennes sans doute.
« Le Christ Jésus, lui qui était dans la condition de Dieu,
il n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu ;
mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur.
Devenu semblable aux hommes
et reconnu comme un homme à son comportement,
il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir,
et à mourir sur une croix.
C’est pourquoi Dieu l’a élevé au-dessus de tout ;
il lui a conféré le Nom qui surpasse tous les noms,
afin qu’au Nom de Jésus, aux cieux, sur terre et dans l’abîme,
tout être vivant tombe à genoux, et que toute langue proclame :
« Jésus Christ est le Seigneur », pour la gloire de Dieu le Père. »
Pour conclure, une louange au Christ dans la Liturgie Maronite
« Nous t’adorons, toi le Très-Haut.
Tu t’es abaissé, et tu nous as élevés,
tu t’es humilié, et tu nous as honorés,
tu t’es fait pauvre, et nous as enrichis.
Tu es né, et tu nous as fait naître,
tu as reçu le baptême, et tu nous as purifiés,
tu as jeûné dans le désert, et tu nous as rassasiés,
tu as combattu contre le mal, et tu nous as donné la force.
Tu es monté sur un âne, et tu nous as pris dans ton cortège,
tu t’es présenté au tribunal, et tu nous as offerts,
tu as été conduit prisonnier chez le grand prêtre, et tu nous as libérés,
tu as été soumis à l’interrogatoire, et tu nous as fait siéger en juges,
tu as gardé le silence, et tu nous as instruits.
Tu as été souffleté comme un esclave, et tu nous as affranchis.
Tu as été dépouillé de tes vêtements, et tu nous as revêtus.
Tu as été attaché à une colonne, et tu as détaché nos liens,
tu as été crucifié, et tu nous as sauvés.
Tu as goûté le vinaigre, et tu nous as abreuvés de douceur,
tu as été couronné d’épines, et tu as fait de nous des rois,
tu es mort, et tu nous as fait vivre.
tu as été mis au tombeau, et tu nous as réveillés.
Tu es ressuscité dans la gloire, et tu nous as donné la joie,
tu t’es revêtu de gloire, et tu nous as remplis d’admiration.
Tu t’es élevé au ciel, et tu nous y as emportés,
tu y sièges dans la gloire, et tu nous as élevés,
tu nous envoyas l’Esprit Paraclet, et tu nous as sanctifiés.
Sois béni, toi qui viens, tout rayonnant de bonté ! »
Michel SCOUARNEC
Prêtre du Diocèse de Quimper et Léon