Jean-Marc Sauvé, président de la Commission indépendante sur les Abus sexuels dans l’Eglise, en septembre 2017. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

Jean-Marc Sauvé, président de la Commission indépendante sur les Abus sexuels dans l’Eglise, en septembre 2017. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

L’ancien vice-président du Conseil d’Etat rend ce mardi 5 octobre le très attendu rapport de la Commission indépendante sur les Abus sexuels dans l’Eglise qu’il préside depuis trois ans.
1. Picardie
Fils d’agriculteurs catholiques de la Somme, Jean-Marc Sauvé, deuxième d’une fratrie de cinq, n’a que 10 ans lorsqu’il quitte la ferme familiale de Templeux-le-Guérard, près de Saint-Quentin, pour rejoindre le pensionnat catholique de Cambrai, dans le Nord. « Je suis resté ce petit garçon en détresse, parce qu’il s’éloignait du cocon familial pour devenir à la ville pensionnaire, isolé dans un monde forcément inconnu et hostile », livrera-t-il près de soixante ans plus tard, en mai 2017, au président François Hollande qui lui remet les insignes de grand officier de la Légion d’honneur.
2. Professeur d’orgue
A sa rentrée de 4e au pensionnat catholique de Cambrai, en 1962, il s’aperçoit que son professeur d’orgue, un prêtre qu’il apprécie et vient parfois déjeuner chez ses parents, a disparu. Ce n’est qu’en 2018 qu’il comprend pourquoi. A peine nommé président de la Ciase, un ancien camarade lui fait part des agressions sexuelles subies à plusieurs reprises de la part de cet ecclésiastique. Bouleversé, Jean-Marc Sauvé glisse cette lettre dans le sac à dos de toile bleue qui ne le quitte jamais. Elle s’y trouve toujours.
3. ENA
Admis à l’ENA après Sciences-Po, Jean-Marc Sauvé a 22 ans quand il plaque tout pour répondre à l’appel de la foi et rejoindre le noviciat des jésuites à Lyon. Deux ans plus tard, il se rend compte qu’il n’est pas fait pour cela et décide finalement de servir l’Etat. « Ce fut un moment essentiel dans ma formation. Il m’a permis de mieux me connaître et de réfléchir posément à mon avenir. J’y ai aussi vécu des expériences variées et inattendues comme m’occuper d’autistes ou vivre deux mois avec des gens du voyage », confie-t-il à « l’Obs ». En 1974, donc, retour, à la case ENA. Il doit repasser le concours, qu’il est le seul, jusque-là, à avoir réussi deux fois.
4. De Gaulle
Invité à l’automne 1976 au mariage d’un de ses camarades de la promotion André-Malraux de l’ENA – dont il sortira major –, il y rencontre sa future épouse qui le prend, avec son maintien impeccable et son impressionnant 1,92 m, pour… un petit-fils du général de Gaulle, Yves, lui aussi de la promo Malraux. « Lors de notre première rencontre, je lui ai infligé sa première déception », se souvient-il en souriant.
5. Peine de mort
Membre du Parti socialiste au début des années 1980, Jean-Marc Sauvé rejoint le cabinet du garde des Sceaux Robert Badinter au moment d’un des textes les plus marquants du premier septennat de François Mitterrand : l’abolition de la peine de mort. « J’ai à l’âge de 10 ans une conscience des choses, de la loi pénale, des peines, et je considère déjà que la peine de mort est un acte de barbarie », dit-il, encore ébahi de s’être retrouvé à préparer le débat parlementaire, le projet de loi, et à rédiger une des moutures du discours. Un temps préfet de l’Aisne, il est ensuite nommé en 1995 au poste de secrétaire général du gouvernement. Il y restera plus de dix ans et servira quatre Premiers ministres de gauche comme de droite : Alain Juppé, Lionel Jospin, Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin.
6. Vincent Lambert
En septembre 2006, Jacques Chirac le nomme vice-président du Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative française. Laïcité, bioéthique, état d’urgence, fin de vie… Il doit trancher sur des sujets aussi brûlants qu’extrêmement délicats, notamment la situation de Vincent Lambert. « C’était une question de droit, mais aussi une question d’éthique fondamentale, livre-t-il. Je ne me suis jamais réfugié derrière la technique juridique pour contourner et ne pas voir les enjeux humains des questions auxquelles j’étais confronté. »
7. Justice
« J’ai toujours eu deux passions dans ma vie : la première, c’est la France ; la seconde, la justice », indique le haut fonctionnaire de 72 ans, père de trois enfants. « Il ne peut pas y avoir de plus grande sévérité dans ma bouche que lorsque je qualifie une situation d’injuste ou d’injustice, et de plus bel éloge que lorsque je dis qu’une chose est juste et conforme à la justice », confie aussi celui qui protestait déjà, en 6e, contre les punitions injustes infligées par les surveillants. « Il a fortement influencé l’évolution du Conseil d’Etat en direction d’un rapprochement avec la fonction de justice, notamment européenne », dit aussi de lui le magistrat Antoine Garapon, un proche.
8. Prémonition
Il a 69 ans et est à la retraite depuis quelques semaines quand, en septembre 2018, la commission mandatée par l’Eglise en Allemagne rend public son rapport accablant sur les agressions sexuelles sur mineurs commises par le clergé. « L’Eglise catholique française ne pourra pas y échapper, dit-il un matin à son épouse. Tu vas voir qu’on va me demander de faire le job. » Deux mois plus tard, il reçoit sa lettre de mission des évêques, religieux et religieuses de France puis monte sans tarder une équipe d’une vingtaine de professionnels (sociologues, psychologues, magistrat, théologiens, historiens, professeurs…) qui composent la Commission indépendante sur les Abus sexuels dans l’Eglise (Ciase).
9. Psy
Il a eu au cours de sa carrière l’occasion d’affronter des discussions « extrêmement tendues avec des ministres », de « véritables altercations avec des présidents de la République » et connu de difficiles cas de conscience. Mais rien, confie-t-il, n’a eu d’impact comparable sur son psychisme que les nombreuses auditions de victimes menées dans le cadre de sa mission à la tête de la Ciase : « Des vies entières ont été dévastées. Ces histoires sont un véritable mémorial de la douleur. » Pour la première fois de sa vie, il a bénéficié, comme tous les membres de la commission, d’un accompagnement psychologique.
10. Poussin
Féru d’art et d’Italie – il a présidé le conseil d’administration de la Villa Médicis, à Rome, de 1999 à 2008 –, Jean-Marc Sauvé est intarissable sur l’œuvre du peintre du XVIIe siècle Nicolas Poussin. Membre de la Société des Amis du Louvre, il ne se lasse pas d’y admirer, entre autres, le tableau « Moïse sauvé des eaux » devant lequel il peut passer trente bonnes minutes à « découvrir constamment de nouveaux traits, des détails toujours très signifiants ». Avant la crise sanitaire et son engagement auprès de la Ciase, il pouvait se rendre au Louvre jusqu’à deux fois par semaine.

Par Céline Rastello

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