Le pape se rendra en RDC et au Soudan du Sud à partir du 31 janvier. Photo : la foule acclame François à son arrivée sur la piste d'atterrissage de Kololo à Kampala, le 28 novembre 2015.  Giuseppe Cacace/AFP

Le pape se rendra en RDC et au Soudan du Sud à partir du 31 janvier. Photo : la foule acclame François à son arrivée sur la piste d'atterrissage de Kololo à Kampala, le 28 novembre 2015. Giuseppe Cacace/AFP

Le pape François se rend en RDC et au Soudan du Sud du 31 janvier au 5 février 2023. Même s’il n’y a fait que peu de voyages, il entretient avec le continent africain une relation très différente de celle de ses prédécesseurs.
Dans les couloirs du troisième étage du Palais apostolique, figurent deux immenses cartes géographiques. D’un côté, les Amériques, de l’autre l’Europe et l’Afrique. Le monde entier coupé en deux, peint aux alentours de 1580, sous Grégoire XIII, devant lequel passent chaque jour les diplomates de la Secrétairerie d’État.
Est-ce pour se souvenir qu’aucune partie du monde n’est étrangère à l’Église catholique ? C’est en tout cas cela que le pape François entend manifester en s’envolant, mardi 31 janvier et pour six jours, vers deux pays clés du continent africain : la République démocratique du Congo et le Soudan du Sud.
C’est la 21e fois que le continent africain accueillera un pape, depuis la visite historique de Paul VI en Ouganda, en juillet 1969. Les successeurs de Pierre n’ont jamais cessé leurs visites, et François ne fait pas exception, bien que sa relation avec l’Afrique ait commencé plus tardivement. Il s’y est rendu pour la première fois en 2015, lors de sa visite au Kenya, en Ouganda, et surtout dans une Centrafrique plongée dans la guerre civile. Un voyage qui a profondément marqué le pape qui entretient, depuis, une relation constante au continent, dans lequel il est retourné à deux reprises.
« L’Afrique, non seulement j’ai aimé, mais en plus j’ai adoré », a-t-il ainsi raconté en 2016 à un diplomate africain de passage. « Lorsqu’il m’a parlé de son voyage en Centrafrique, j’ai vu son visage s’éclairer, se souvient ce diplomate. J’ai senti un homme du Sud en face de moi. Comme une espèce de proximité entre deux extra-Européens, que je n’avais jamais ressentie avec d’autres papes. »
L’incarnation des périphéries
Sa sensibilité pour l’Afrique, c’est aussi ce que perçoit le père Agbonkhianmeghe Orobator. Responsable du suivi de tout le continent à la Curie généralice jésuite, à Rome, il rappelle que l’Afrique incarne, aux yeux de François, ces périphéries du monde sur lesquelles il ne cesse de vouloir attirer les regards depuis le début de son pontificat.
« C’est un continent marginalisé et devenu vulnérable car toujours plus exploité pour ses ressources, explique-t-il. Le pape est très conscient de cela, comme il est conscient des crises qui frappent le continent, telles le phénomène migratoire ou le changement climatique. » Pour ce jésuite nigérian, la visite du pape dans deux pays secoués par la guerre va également dans ce sens.
« Le pape n’y va pas comme un missionnaire qui y apporterait l’Évangile »
« Le pape ne connaît pas l’Afrique mais, pour lui, il s’agit du continent exploité. Et sa préoccupation consiste à faire en sorte que les pauvres ne soient pas exploités, explique le théologien burkinabé Paul Béré. Il place les pauvres au cœur du magistère de l’Église. Et cela, ça touche l’Afrique. »
En réalité, François est aussi le pape non européen qui peut inaugurer un nouveau rapport avec l’Afrique. « Le pape n’y va pas comme un missionnaire qui y apporterait l’Évangile, poursuit un bon observateur de la Curie. Donc, que va-t-il y annoncer ? En homme du Sud, comment va-t-il se situer ? » Ce religieux, qui connaît bien le continent africain, s’attend à voir le pape inviter à sortir d’une logique de confrontation entre Nord et Sud. « À partir de là, quel est le modèle de développement promu par l’Église ? Quelle alternative le christianisme propose-t-il à une logique de prédation ? Voilà les deux questions auxquelles François doit répondre. »
Faible puissance africaine à la Curie
Mais le rapport entre le pape argentin et le continent emblématique des périphéries qu’il affectionne est aussi marqué par une faiblesse : l’absence réelle d’Africains au sein de la Curie romaine, où tout le monde semble avoir oublié que l’Église eut à sa tête un premier pape africain, Victor Ier, dès le IIe siècle.
Depuis la démission forcée de Peter Turkson, à la tête du dicastère pour le développement humain intégral, en 2021, quelques mois après le départ à la retraite du cardinal Robert Sarah, ancien préfet de la Congrégation pour le culte divin, plus aucun Africain ne dirige un dicastère. Désormais, on ne compte qu’une vingtaine de ressortissants du continent à travailler dans l’administration du pape.
« Pourquoi sommes-nous aussi peu ?, interroge l’un d’eux. Ne me dites pas qu’il n’y a pas de gens capables en Afrique. » Cet ecclésiastique présent à Rome depuis des années raconte les remarques racistes qu’il a parfois dû essuyer de la part de certains prêtres italiens travaillant au Vatican : « Certains considèrent que j’ai échappé à la misère. C’est l’image que les gens ont de l’Afrique, au fond. Ici, tout le monde nous considère comme des mendiants. »
« Combien de morts faut-il en Afrique pour que le pape s’indigne ? »
Ce constat sombre fait dire au même prêtre que, malgré les déplacements du pape, « le continent n’est pas apprécié à sa juste valeur »« Combien de morts faut-il en Afrique pour que le pape s’indigne ? », s’interroge-t-il, perplexe face à la différence de traitement entre la guerre en Ukraine et les conflits touchant le continent. En Afrique, pourtant, le pape est toujours perçu comme un médiateur potentiel, comme en atteste une récente demande, arrivée à Sainte-Marthe, de la part d’un président africain, de soutenir son action pour mettre fin à la guerre dans un pays voisin.
Dans son cercle de très proches, François ne dispose d’ailleurs d’aucun conseiller venant d’Afrique, et il a noué peu de liens personnels avec ce continent, y compris lorsqu’il était archevêque de Buenos Aires. Certes, il téléphone régulièrement à une religieuse congolaise vivant à Rome, qu’il a d’ailleurs invitée avec lui dans l’avion papal pour l’accompagner en RD-Congo et au Soudan du Sud.
Mais, paradoxalement, la présence de l’Afrique auprès de François se joue en fait en dehors de Rome. Le pape s’appuie en effet sur le cardinal Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa, qu’il a nommé, en 2020, membre du Conseil de cardinaux créé au début du pontificat pour l’entourer dans ses prises de décision, et qui se réunit quatre fois par an au Vatican.
Le cardinal congolais fait partie des Africains promus par François, qui a considérablement renforcé la présence de hauts responsables de cette partie du monde. C’est également le pape argentin qui, en 2016, a revêtu de la pourpre cardinalice Dieudonné Nzapalainga, le jeune archevêque de Bangui, la capitale centrafricaine, rencontré un an plus tôt lors de sa visite dans le pays. Ce dernier incarne d’ailleurs pleinement cette jeune génération d’évêques promue par le pape, engagés sur le terrain plutôt que dans les batailles théologiques.
Car, en plaçant les plus marginaux au centre de l’attention, le pape entend, certes, attirer les regards sur l’Afrique, mais il envoie aussi un fort message à la hiérarchie catholique du continent. « Il vient bousculer une conception de l’Église portée par les évêques, figures incontestables calquées sur celle des chefs de tribu, développe Paul Béré. Par son attitude et par ses mots, le pape latino les invite à changer de modèle. »
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Les précédents voyages du pape en Afrique

À son retour de la République démocratique du Congo et du Soudan du Sud, dimanche 5 février, François se sera rendu cinq fois en visite en Afrique, sur les 40 voyages accomplis depuis le début de son pontificat, en 2013.
2015 : le Kenya, l’Ouganda et la Centrafrique. C’est à Bangui, la capitale centrafricaine, qu’il a inauguré l’Année de la miséricorde.
2018 : l’Égypte.
2019 : le Maroc. Puis, pour sa quatrième visite sur le continent, le Mozambique, Madagascar et sur l’île Maurice.

Loup Besmond de Senneville (à Rome)

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