Notre Soeur La Mort : lettre de Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen

NOTRE SŒUR, LA MORT

Toussaint 2022

Lettre de Mgr Dominique Lebrun aux fidèles du diocèse de Rouen

Chers frères et sœurs,
Saint François d'Assise chante magnifiquement la Création : messire le soleil, notre sœur la lune, les étoiles, le vent, l'air, les nuages, l'eau précieuse et chaste, notre frère le feu, notre sœur et mère la terre...
Connaissez-vous ce Cantique des créatures ? Il nous fait chanter le refrain « Loué sois-tu Seigneur », et met notre coeur dans la joie de Dieu.
Et voilà que François poursuit son Cantique des créatures par deux louanges qui nous ramènent les pieds sur terre : Loué sois-tu, Seigneur, pour ceux qui pardonnent pour l'amour de toi ... loué sois-tu pour notre sœur la mort corporelle à laquelle aucun vivant ne peut échapper ...
La peur de la mort
Comme le chante saint François, « aucun vivant ne peut y échapper » : la mort nous effraie à juste titre. Elle ouvre sur l'inconnu et elle est enveloppée du mystère de la souffrance. Le chrétien n'est pas plus malin que les autres devant la mort.
Jésus a connu l'angoisse de la mort. Ses disciples se sont dispersés ou ont trahi à l'approche de la mort de leur maître, pendant sa passion. Jésus a plusieurs fois annoncé sa mort et son départ vers son Père. Ses apôtres n'ont pas entendu. Puis, ils sont morts, vainqueurs par le don de leur vie !
Où en sommes-nous, disciples de Jésus au XXIème siècle ? La résurrection de Jésus, la foi reçue des générations passées, la grâce des martyrs, le témoignage de nombreux saints ne font pas disparaître la grande question de la mort. Le Concile Vatican II le dit : « C'est en face de la mort que l'énigme de la condition humaine atteint son sommet ».
La compagne de nos vies
Pour chacun d'entre nous, la mort est mystérieuse bien que nous en fassions tous l'expérience par nos proches mais aussi parce que nous nous savons mortels. Saint François dit qu'elle est « notre soeur », inséparable de nos vies. Compagne de nos vies sur terre, elle en indique le terme qui est l'ultime « pâque », c'est à-dire le passage définitif de la mort à la vie.
Lorsque j'avais treize ans, mon Papa est décédé, brusquement même si sa mort a été précédée d'alertes. Maman, le jour même, me dit : « Tu sais, Papa a juste pris un peu d'avance sur nous ». Sa foi rejoignit ma révolte. Depuis lors, je sais où je vais : rejoindre Papa dans la maison de Dieu. Depuis, Jésus est mon chemin, celui qui mène chez notre Père des Cieux, où mon papa est déjà arrivé, j'espère.
Depuis notre baptême, nous sommes unis à la mort et la résurrection de Jésus. Chaque jour, nous vivons des petites « pâques ». La lumière, plus forte que les ténèbres, l'amour, plus fort que la haine, la joie, qui surpasse la tristesse, habitent nos journées depuis le lever jusqu'au coucher. Ainsi, unies à Jésus, nos vies portent le monde vers la résurrection. Nous le célébrons à chaque messe : après avoir offert nos vies en union avec Jésus, mort et ressuscité, présent sur l'autel, nous disons : « Nous annonçons ta mort, Seigneur Jésus, nous proclamons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la Gloire
La foi en la résurrection
Oui, nous le croyons : Jésus est ressuscité !
Comme le dit saint Paul, « Si Christ n'est pas ressuscité, votre foi est sans valeur » (1 Co 15, 17). Il ajoute : « Si nous avons mis notre espoir dans le Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes » (15, 19). Chrétiens, nous partageons la crainte et la souffrance de tous les humains ; chrétiens, nous vivons ce partage dans l'espérance de la vie éternelle. Seule, celle-ci répond au désir de tout homme : ne pas s'arrêter de vivre. Ce désir est à l'origine de notre juste révolte contre la mort ; parfois, hélas, elle se transforme en désir de mourir quand la souffrance est trop dure, et que la vie « n'est plus une vie », comme je l'entends.
En chaque personne humaine, Dieu a déposé un germe d'infini. Peut-il le laisser mourir ? Dieu nous aime trop pour nous nous laisser prisonniers de la mort. Non seulement Dieu n'a pas fait la mort mais il nous en libère. Jésus, Ressuscité, est devenu le premier-né d'une « multitude de frères » (Rm 8, 29).
La bonne mort
A chaque messe nous prions pour les défunts. Nous unissons leur « ultime pâque » à la Pâque de Jésus. Nous le faisons de manière plus intense pendant le mois de novembre ; certains d'entre vous ont la bonne habitude de confier au prêtre, en intention particulière, un ou plusieurs défunts.
Ainsi, ils manifestent leur foi en Jésus Ressuscité et en la vie éternelle : sa passion et sa mort ont ouvert le chemin de l'amour « pour la multitude ». Et, par leur offrande, ils contribuent à la vie du prêtre dont l'Eucharistie est le centre.
La résurrection est la réponse de « Notre Père » à l'amour de Jésus manifesté dans sa vie et sa passion.
Le Pape François invite à ce regard sur la Croix de Jésus :
« En contemplant l'union du Christ avec le Père, même au moment de la souffrance la plus grande sur la croix (cf. Mc 15, 34), le chrétien apprend à participer au regard même de Jésus. Par conséquent la mort est éclairée et peut être vécue comme l'ultime appel de la foi, l'ultime « Sors de la terre », l'ultime « Viens ! » prononcé par le Père, à qui nous nous remettons, dans la confiance qu’il nous rendra forts aussi dans le passage définitif » (Encyclique La lumière de la foi, 2013, n°56)
Depuis des siècles, l’Eglise invite à prier pour demander la grâce d’une bonne mort. J’invite les communautés du diocèse à prendre les prières du Missel romain correspondant à cette intention, l'un des deux prochains dimanches de novembre, ou en semaine. Ensemble, à l'offertoire, nous demanderons à Dieu « de quitter ce monde en toute paix et confiance » pour « avoir part à la résurrection de Jésus, le Christ, notre Seigneur ». Après la communion, « nous demandons humblement pour le jour de notre mort, le secours de ta tendresse...».
La bonne aide à « bien » mourir.
Notre société déboussolée s'interroge. Sans le regard de foi, la mort est plus que compliquée. Certains envisagent de demander « une aide active à mourir », ce qui obligerait une personne à « aider activement quelqu'un à mourir ». L'aide active à mourir est une expression qui voudrait sans doute rendre moins dures celles de suicide assisté ou d'euthanasie. Est-ce humain ? Est-ce chrétien ?
Avec raison, la société développe une aide active à « bien » mourir grâce à la médecine. Lutter contre la douleur et la souffrance, en particulier au moment de mourir, est juste.
Malheureusement, les soins palliatifs ne sont pas encore suffisamment connus et répandus. Pour autant, faut-il aller plus loin ? Prenons part au débat, écoutons et osons témoigner : la vie ne nous appartient pas, la mort non plus.
Avec les croyants des autres religions, nous ne voulons pas enfreindre la loi de Dieu : « Tu ne tueras pas ». En revanche, nous pouvons ou nous devons participer à l'aide à « bien » mourir. Les soins et la fraternité sont les deux grandes aides au « bien » mourir. 
Je rends grâce à Dieu pour les si nombreux frères et soeurs qui préparent, accompagnent et soulagent les personnes et les familles qui s'approchent de la mort ou connaissent le deuil.
Merci aux personnes qui visitent les grands malades, signe de la miséricorde du Père !
Merci aux prêtres qui donnent la grâce des sacrements pour que l'Esprit Saint habite le dernier souffle ! Oui, « nous ne pouvons pas nous lasser d'offrir la lumière de la foi afin d'accompagner les familles qui souffrent en ces moments » (Pape François, Encyclique La joie de l'amour, n. 253).
Directives anticipées
Frères et soeurs, notre véritable « directive anticipée », que la loi encourage à écrire, est l'Évangile ! Jésus nous promet d'aller préparer une place chez son Père (cf. Jn 14, 2). Elle nous est déjà acquise par sa mort et sa résurrection. N'imposons pas à Dieu le moment de notre mort, le moment où il attend que nous remettions notre vie à la manière de Jésus : « Père, en tes mains je remets mon Esprit » (LC 23, 46).
Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus est un bel exemple. Dans sa lettre à l'abbé Bellière (LT 244, 9 juin 1897), elle écrit : « Je ne meurs pas, j'entre dans la vie ». Animés par cette espérance, nous pouvons écrire ou confier à quelqu'un nos directives anticipées personnelles. Pour cela, informons-nous sur ce que signifie « la sédation profonde » et ses conséquences, ainsi que sur la véritable intention du soin. Soulager la souffrance, même si les médicaments peuvent avoir pour effet d'abréger les jours, est louable. En revanche, donner la mort pour soulager la souffrance ne correspond pas à notre vocation de disciples de Jésus. En ce mois de novembre, n'hésitez pas à méditer les grandes catéchèses de saint Paul sur la résurrection, par exemple : la lettre aux Romains (5, 12-21) ou le chapitre 15 de la 1ère lettre aux Corinthiens. Ils redonnent la direction et la joie de choisir la vie.
Je suis sûr que vous mesurerez l'enjeu pour chacun de nous et pour la société. C'est l'heure de donner un grand signe d'espérance à notre monde en tournant le dos à la mort volontaire.
« Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance », dit Jésus (Jn 10, 10). Soyons l'écho de Jésus !
Comme saint François ! Nous le chantons le soir de sa fête dans une belle adaptation de la Liturgie des heures :
Béni sois-tu, oui, béni pour notre sœur la mort ; car cette mort ouvre à la vie depuis que ton Fils Jésus l'a prise et piégée sur la croix, depuis qu'il est tombé en terre, qu'il rapporte plus de cent pour un et nous greffe à son corps.
Confions-nous à Marie : « ... priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort ».
Avec toute mon amitié et mon union dans la prière.

X DOMINIQUE LEBRUN Archevêque de Rouen.

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