Homélie du dimanche 12 novembre 2023

Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 25, 1-13. 
« En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples cette parabole : 
« Le royaume des Cieux sera comparable à dix jeunes filles invitées à des noces, qui prirent leur lampe pour sortir à la rencontre de l’époux.
Cinq d’entre elles étaient insouciantes, et cinq étaient prévoyantes :
les insouciantes avaient pris leur lampe sans emporter d’huile,
tandis que les prévoyantes avaient pris, avec leurs lampes, des flacons d’huile.
Comme l’époux tardait, elles s’assoupirent toutes et s’endormirent.
Au milieu de la nuit, il y eut un cri : “Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre.”
Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent et se mirent à préparer leur lampe.
Les insouciantes demandèrent aux prévoyantes : “Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent.”
Les prévoyantes leur répondirent : “Jamais cela ne suffira pour nous et pour vous, allez plutôt chez les marchands vous en acheter.”
Pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux arriva. Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et la porte fut fermée.
Plus tard, les autres jeunes filles arrivèrent à leur tour et dirent : “Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !”
Il leur répondit : “Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas.”
Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. »

Homélie
Chaque dimanche jusqu’au temps de l’Avent, nous lisons le chapitre 25 de Matthieu. Il a été notre évangéliste toute l’année et c’est lui qui donne le plus de place à la parabole du jugement dernier. Sans doute les communautés chrétiennes à qui il s’adresse sont sous le choc du saccage de Jérusalem par les Romains. Il écrit en effet dans les années 80, peu de temps après la chute de Jérusalem en 70. Les chrétiens issus du judaïsme sont donc en train de vivre réellement la fin d’un monde. Peut-être même croient-ils que c’est la fin du monde, puisqu’ils attendent le retour du Christ.
Mais le monde est toujours là, et nul ne connaît ni le jour ni l’heure de sa fin. Ce que nous savons c’est qu’il n’est pas sans fin. Les jours et les années ont une fin, les civilisations et les cultures aussi, et même la terre puisque les scientifiques nous disent que le soleil s’éteindra un jour. C’est dans ce provisoire que l’Esprit de Dieu construit l’éternité de l’amour. La parabole dit de ne pas perdre de vue le caractère provisoire de notre condition et nous invite à la sagesse, en nous mettant en garde contre une inconscience folle. On peut mettre côte à côte sagesse et folie, à travers les détails de la parabole.
Le sage sait prévoir : il tire des leçons de son passé ; il anticipe et envisage l’avenir avec ses risques et ses limites. Le fou a le nez sur le guidon. Pour lui il n’y a que le présent qui compte. Il est sans mémoire et sans perspective. Il est fataliste. Il dit : “c’est le destin.” La version moderne de ce fatalisme, c’est l’épuisement des ressources de la planète et le fossé entre pauvres et riches. On est conscients qu’on va dans le mur mais on dit souvent qu’on ne sait pas faire autrement.
Prévision, provision et prudence vont ensemble pour le sage. Il sait que la nuit peut être longue et emporte avec lui une provision d’huile. Pour le fou, inutile de s’encombrer et de faire des réserves. Inutile de penser aux générations à venir : “Après nous le déluge.” La Fontaine aurait dit qu’il s’est habitué à être cigale et qu’il se moque des fourmis. Il est dépendant et assisté. Il se dit que les autres auront fait des provisions pour lui. Il est même capable de se fâcher si les autres ne partagent pas avec lui. Il ne voit pas que lui-même ne partage souvent rien. Il est incapable de se prendre en main, comment penserait-il aux autres ?
Le sage a l’esprit et le cœur toujours en éveil, en attente et en patience. Veilleur, il ne veut pas se laisser surprendre par le mal qui rode en lui et autour de lui. Amoureux, il savoure, en gardant son cœur éveillé, la venue de la personne bien-aimée. Quelle que soit l’heure, il se tient prêt. Le fou, lui, s’assoupit et s’endort. Il n’a pas d’autre désir ni d’autre amour que de lui-même. La patience n’est pas son fort et son espérance est vide.
Chacun peut facilement trouver comment cette parabole est actuelle. Je veux juste souligner un appel qui nous concerne tous : si l’on peut comparer la foi à l’huile d’une lampe qui éclaire nos nuits, qui entretient notre espérance et notre amour de Dieu, ils nous faut aujourd’hui, plus qu’autrefois, compter davantage sur nous-mêmes. Il nous faut nous-mêmes faire réserve d’huile. Autrefois la foi de l’Eglise dispensait beaucoup de personnes d’entretenir leur foi personnelle. Aujourd’hui, sans l’huile de la réflexion, de la prière et de la lecture de la Parole, nous risquons d’être vite incapables de rendre compte de notre foi personnelle, nous risquons de rater beaucoup de passages de notre Dieu et beaucoup de signes du ressuscité.
Au fait, comment va la lampe de chacun ? Nous pourrions la remplir avec l’huile de la sincérité pour aller à la rencontre des autres et de Dieu. Nous oublions souvent l’huile de la patience et celle du temps qu’il faut pour écouter l’appel au secours de nos frères. Et l’huile de la confiance en l’action de Dieu dans notre monde beaucoup déchiré ? Même la fantaisie et l’imagination peuvent être une huile qui nous nous aide à oser créer des choses nouvelles. 
Notre désir et notre espérance sont l’huile avec laquelle nous pouvons faire devenir réalité en notre cœur le Royaume de Dieu qui nous est annoncé. Ecoutez la conclusion du poème intitulé Parti pris de Colette Nys-Masure : « Je ne maudirai pas les ténèbres, je tiendrai haut la lampe. »

Robert Tireau
Prêtre du Diocèse de Rennes
1949-2022

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