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Veux-tu le suivre ?

Nous sommes dans l’année de Luc, lequel, plus que Matthieu, Marc et Jean, nous fait voir en Jésus le chef de file de notre marche spirituelle vers la Pâque éternelle. Durant ce Carême 2013, de dimanche en dimanche, nous sommes invités à suivre le Christ sur un chemin de conversion, sous la conduite d’un Dieu patient, plein de miséricorde et toujours prêt à nous remettre en marche, lorsque nous tombons ou lorsque nous arrêtons d’avancer.

               Tout au long des lectures de ce dimanche, nous avons la conviction profonde que nous sommes sauvés. Le Sauveur, c’est Dieu lui-même. C’est lui qui nous donne, pour vivre libres, une terre avec ses fruits (1ère lecture), sa Parole (2ème lecture), une Parole qui se réalise à travers Jésus dans son humanité (évangile), qui s’actualise par nous, dans notre foi en la résurrection de Jésus, devenu Christ, Seigneur, Fils de Dieu, Sauveur. Nous sommes sauvés, mais nous avons à le croire, à l’espérer et à en faire mémoire dans nos célébrations. En ce Carême 2013, où l’on nous demande si on veut le suivre, que retenons-nous des textes bibliques qui nous sont proposés?

                   1. Humanité/Tentation. Si nous lisons bien les récits des tentations que nous retrouvons brièvement chez Marc, mais plus développés chez Matthieu et Luc, nous nous rendons vite compte, qu’étant homme et femme, la tentation fait partie intégrante de notre humanité : l’avoir ou le désir de posséder, le pouvoir ou le contrôle sur les autres, et le savoir ou le prestige de l’auto suffisance. Pour ceux qui se scandalisent à l’idée que Jésus a connu lui aussi la tentation, saint Augustin nous dit : « Dans notre voyage ici-bas, notre vie ne peut échapper à l’épreuve de la tentation, car notre progrès se réalise par notre épreuve; personne ne se connaît soi-même sans avoir été éprouvé, ne peut être couronné sans avoir vaincu, ne peut vaincre sans avoir combattu, et ne peut combattre s’il n’a pas rencontré l’ennemi et les tentations. Si c’est dans le Christ que nous sommes tentés, c’est en lui que nous dominons le diable. Tu remarques que le Christ a été tenté, et tu ne remarques pas qu’il a vaincu? Reconnais que c’est toi qui est tenté en lui; et alors reconnais que c’est toi qui es vainqueur en lui. Il pouvait écarter de lui le diable; mais, s’il n’avait pas été tenté, il ne t’aurait pas enseigné, à toi qui dois être soumis à la tentation, comment on remporte la victoire ».

                  Donc, notre humanité, comme celle de Jésus, est marquée par la tentation, à cause de sa fragilité, sa vulnérabilité, sa finitude. L’évangile de Luc s’adresse à des chrétiens issus de Pâques. Luc est l’évangéliste de la persévérance. À travers l’épreuve de Jésus, c’est nous qui sommes tentés et invités par là à l’endurance dans le combat spirituel : « C’est par votre persévérance que vous gagnerez la vie » (Lc 21,19). Comme nous ne sommes pas seulement des êtres matériels, mais aussi des êtres spirituels, comme chrétiens, comme filles et fils de Dieu, c’est habités de l’Esprit que nous sommes, nous aussi, conduits au désert pour affronter le Diable, c’est-à-dire l’Adversaire, qui nous tire vers le bas : la possession, le pouvoir, le prestige, qui sont le lot de tous les humains. Par ailleurs, avec le Christ, nous sommes poussés vers le haut; nous sommes devenus capables de nous libérer : 1) par la dépossession : « Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre » (Lc 4,4); 2) par l’humilité et le service : « Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et c’est lui seul que tu adoreras » (Lc 4,8); 3) par l’acceptation de notre humanité dans toute sa fragilité : « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu » (Lc 4,12).

                   Malheureusement, il nous arrive souvent de succomber aux tentations; c’est très humain. Et c’est pourquoi, ce récit de Luc nous rappelle qu’il nous est possible, avec Christ, de vaincre ces tentations qui font partie de notre réalité humaine, et ce, jusqu’à la toute fin de notre vie : « Ayant épuisé toutes les formes de tentation, le démon s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé » (Lc 4,13)… ce qui veut dire qu’il va revenir au moment de la passion et de la mort sur la croix. Notre humanité est ainsi faite. Mais attention! Il ne faut surtout pas personnaliser le diable ou le démon en être hideux et perfide comme les peintres de l’histoire ont voulu le représenter. L’Adversaire fait partie de nous : de nos soifs de posséder, de pouvoir et de savoir. Il est en nous…Il est nous…

                N.B. Remarquez que Luc inverse les deux dernières tentations, si on le compare à Matthieu. Pourquoi? Tout simplement, pour finir à Jérusalem, car pour Luc, tout commence à Jérusalem et tout finit à Jérusalem, et c’est là à Jérusalem que le diable va l’attendre au moment de son dernier repas, à travers Judas, et à son arrestation au jardin de Gethsémani.

              2. Divinité/Salut. Chez les chrétiens de tous les temps, il y a toujours ce dilemme entre l’humain et le divin. Tout au long du récit de la tentation, le diable s’adresse à l’être humain en sa qualité de fils ou de fille de Dieu : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain » (Lc 4,3); « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas » (Lc 4,9). Aussi, n’est-ce pas en sa qualité de peuple de Dieu, qu’Israël a été tenté d’abandonner Dieu lorsqu’il a traversé le désert, pendant 40 ans? En 1ère lecture aujourd’hui, l’auteur du livre du Deutéronome invite le peuple, par l’intermédiaire de Moïse, à faire mémoire, à se souvenir que c’est Dieu qui l’a libéré de l’esclavage d’Égypte (Dt 26,8), et qui lui a donné un pays ruisselant de lait et de miel (Dt 26,9).

                En 2ème lecture, saint Paul, dans sa lettre aux Romains, nous rappelle que le salut vient de Dieu, que sa Parole est dans notre bouche et dans notre cœur (Rm 10,8), et que, par l’intermédiaire de Jésus Christ, le nouveau Moïse, nous sommes sauvés et même divinisés : « Si tu affirmes de ta bouche que Jésus est Seigneur, si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, alors tu seras sauvé » (Rm 10,9). Et ce salut est offert à tous, sans exception et sans discrimination aucune : « Ainsi, entre les Juifs et les païens, il n’y a pas de différence : tous ont le même Seigneur, généreux envers tous ceux qui l’invoquent » (Rm 10,12).

               En ce Carême 2013, la question nous est encore posée : « Veux-tu le suivre? Jusqu’au désert (1er dimanche)? Jusqu’à la montagne (2ème dimanche)? Dans les drames et les accidents de parcours (3ème dimanche)? À travers la miséricorde et le pardon inconditionnel (4ème dimanche)? Dans la femme adultère qui est en chacun de nous (5ème dimanche)? Dans la Passion, la souffrance et la croix (Semaine Sainte)? » Le théologien français Patrick Jacquemont écrit : « Les chrétiens sont toujours des pèlerins qui marchent vers le Royaume. La tentation pour eux est de s’installer, de gérer le don de Dieu à leur compte, de le détourner pour le mal. Ils deviennent alors des marchands ou des méchants. Ces quarante jours du Carême sont alors nécessaires pour redevenir des pèlerins de Pâques. La terre promise est devenue le jardin de Marie de Magdala, au matin de la résurrection, l’auberge des pèlerins d’Emmaüs, au soir du pain rompu. Demain le voyage recommencera mais les chrétiens ne sont pas sans viatique sur la route, sans lumière sur le chemin. S’ils sont des voyageurs sans bagages, ils ne sont pas des vagabonds sans but ».

Raymond Gravel, prêtre

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