« Désobéir » de Jacques Noyer, Evêque Emérite d’Amiens
10 sept. 2012
« J’entends que l’obéissance au Père de Jésus est le contraire d’une soumission aveugle au droit canon.»
« Monsieur le curé, nous voudrions vous voir. Nous allons nous marier mais je suis divorcé... » On m’a dit récemment qu’un prêtre en entendant ces mots a refermé la porte du presbytère en disant: « Excusez-moi mais je ne peux rien pour vous! » Que voilà un fonctionnaire sérieux ! Est-ce cela l’obéissance? Beaucoup d’autres sans doute auraient fait entrer ce couple et l’auraient écouté. Certains, avec beaucoup de gentillesse, auraient fini par la même conclusion : je ne peux rien pour vous. D’autres auraient cherché à répondre au plus près à la demande de ces gens travaillés par le désir de situer leur amour et leur projet de vie sous le regard de leur Dieu ou du moins sous le regard de leur famille et de leurs amis chrétiens. Bien des pasteurs estimeront de leur devoir de regarder ces gens avec le regard du Christ. Ils n’imaginent pas que celui qui a conversé avec la Samaritaine refuse de porter attention à leur requête. Dans ce dialogue, le pasteur s’engage avec ses convictions, mais dans le souci d’accueillir la soif profonde de ses interlocuteurs. Il n’a pas de réponse toute faite. Avec plus ou moins d’audace, il va proposer le chemin qu’il pense le meilleur pour ce cas singulier qu’il a devant lui. Il pourra estimer que l’application pure et simple des règlements blessera l’attente maladroite qu’il trouve devant lui. Il sait qu’au-delà de Jérusalem et de Garizim, il y a un Dieu d’amour qu’on adore en esprit et en vérité. Personne ne peut refuser de franchir la ligne jaune quand c’est pour éviter d’écraser quelqu’un.
Cette transgression n’est pas désobéissance.
Elle est responsabilité.
La situation ecclésiale qui se développe autour de « l’appel à la désobéissance » des prêtres autrichiens devient intenable. Cette provocation est bien risquée. Cherche-t- on une réaction intolérante capable d’engendrer des déchirures dramatiques dans nos Églises? L’inertie du Vatican, relayée par une hiérarchie apeurée, aura-t-elle, une fois de plus, raison d’un mouvement d’humeur de quelques-uns en le laissant pourrir sur place?
Un « appel à l’obéissance » aux audaces de l’évangile serait, à mon sens, mieux venu.
L'Église ne peut s'endormir dans ses certitudes et ses habitudes. Elle n’a pas le droit de sacraliser un moment de l’histoire pour refuser d’aimer le présent. Les prêtres n’ont pas le droit de faire taire les appels de leur âme de pasteur par une obéissance formelle à la loi. Les évêques ne peuvent justifier leur inertie par la peur d’une réaction de la Curie. Le Pape a suffisamment dit la grandeur du Concile pour que personne n’oublie ses responsabilités dans la mission du peuple de Dieu. Nous avons trop souffert d’une obéissance qui serait un simple renoncement à l’initiative et à l’invention. J’entends que l’obéissance au Père de Jésus est le contraire d’une soumission aveugle au droit canon.
J’aimerais entendre à tous les niveaux de l’Église le bruissement de l’Esprit Saint faisant toute chose nouvelle. J’aimerais qu’ordonner un prêtre ne soit pas le mettre aux ordres mais lui faire confiance. J’aimerais que confier un diocèse à un évêque soit lui demander son avis et ses propositions plutôt qu’exiger un serment de fidélité. J’aimerais pouvoir faire entendre jusqu’au sommet les cris de ce peuple qui vient chercher de l’eau fraîche et refuse l’eau stagnante des citernes vaticanes.
La Volonté du Père qui envoie son Fils et nous invite à l’aventure du Royaume n’est pas un règlement mais une création, un engendrement, un surgissement. Que Ta Volonté soit faite, disons-nous! mais ce n’est pas un abandon. En écho, nous entendons le Père nous redire qu’il n’a pas besoin d’esclaves soumis mais de fils libres à l’initiative de qui il confie la responsabilité de son projet d’amour. ■
Jacques Noyer, évêque émérite d’Amiens
Témoignage Chrétien n° 3505 du 6 septembre 2012