Cene   

Proverbes 9, 1-6 ; Psaume 33 ; Ephésiens 5, 15-20 ; Jean 6, 51-58

Saint Paul (2de lecture) : “Ne vivez pas comme des fous !”

Et l’Évangile : “Comment cet homme peut-il nous donner sa chair à manger ?” Jésus lui-même soupçonné de folie. Folie et Sagesse autour de l’Eucharistie, autour du pain vivant

Folies… depuis les profanations (comme si ça dérangeait, cette présence), jusqu’aux abus dans l’autre sens : quand on fait de ce pain un objet sacré, à ne pas toucher et à ne pas manger sauf en de très rares circonstances. J’ai toujours été étonné que “Prenez et mangez en tous” ait pu être traduit si longtemps : “Ne touchez pas et adorez.”

“Si vous ne mangez pas ma chair, vous n’aurez pas la vie” : des mots qui nous rappellent la phrase “Le Verbe s’est fait chair”, faisant un lien étroit entre Incarnation et Eucharistie. En fait ce sont les amoureux qui sont les moins choqués par ce langage puisqu’ils l’emploient eux-aussi à leur manière quand ils disent à leur amie : “Tu es belle à croquer.” Même si le mystère demeure entier pour les amoureux comme pour l’Eucharistie ! En réalité, il s’agit de se nourrir de Dieu, c’est à dire de vivre. Aujourd’hui, tout de suite, et aussi éternellement. Comme si une certaine qualité de vie était impérissable.

Jésus parle de manger et de boire. Il a devant lui des hommes et des femmes dont beaucoup connaissent la faim et la soif. Il propose une nourriture qui fait sursauter : c’est sa chair. C’est l’évangile de Jean qui emploie le mot chair ; les autres évangiles parlent de corps. Ces mots ne sont pas opposés à esprit ou âme comme chez les Grecs. Pour les compatriotes de Jésus, ils évoquent l’homme concret, total, celui que l’on peut toucher, qui marche, qui parle, qui souffre et qui aime, debout et fragile. C’est au début de cet évangile de Jean qu’on lit la petite phrase éblouissante : “Le Verbe s’est fait chair.” Dieu-chair, la Parole qui fit naître l’univers se dresse aussi en Jésus. En clair, Jésus propose une étrange union avec Dieu à ceux qui ont faim. Non pas un Dieu lointain auquel on aurait accès par des enseignements secrets ou des rites compliqués, mais Dieu comme un peu de pain et de vin.

Dans la communauté où naît l’évangile de Jean, dans les années 90, on célèbre l’eucharistie, et on s’unit à Jésus par toute la vie de chaque jour. Ce n’est pas un Jésus qui s’éloigne dans le passé. C’est celui qui aime les enfants, celui qui se moque des orgueilleux, c’est l’inventeur d’une vie neuve. Lui, le pain rompu, il ne s’est pas retiré après un passage rapide pour laisser des souvenirs. Celles et ceux qui veulent communier avec lui, le recevoir en vérité, rencontrent un Jésus qui s’offre comme un bon pain. “Et ils marchent derrière lui, écrit Gérard Bessière, ils partagent les ferveurs, les luttes, les indignations de celui qui veut changer le monde et qui le secoue. A travers les affamés, les persécutés, les passionnés de toutes les justices et de la terre de Dieu, il offre toujours la chair du prisonnier malmené, le sang du crucifié percé par la lance romaine, la Parole à jamais perturbatrice et créatrice. Partager le pain, échanger le sang, gestes primordiaux qui lient les êtres à la vie, à la mort.”

Laissons-nous donc inviter à comprendre Jésus Christ pain de vie en contemplant ceux qui donnent leur vie par amour. Car alors on peut venir ensuite accueillir le Christ que ces personnes-là nous ont déjà montré, on peut venir l’accueillir lui-même en mangeant le pain qui donne vie. Cet accueil se fait assez naturellement quand on célèbre des fêtes où quelqu’un de précis est impliqué fortement. C’est vrai quand on célèbre un baptême, ou la première Eucharistie de quelqu’un, ou sa confirmation, ou un mariage ou encore plus des obsèques. Car alors, si des signes sont posés, si des objets sont apportés, si du pain est partagé dans une Eucharistie, tout cela est incarné, c’est à dire fortement lié à la personne qui nous est chère et à tout ce qu’elle a pu nous partager par amour dans sa vie et qui nous a tellement émus. En fait, c’est elle, à travers le meilleur de sa vie, qui nous met déjà en chemin humainement concret vers la réalité du Corps du Christ. On peut dire qu’elle donne déjà un peu de corps au Corps du Christ que l’on va recevoir en communion. C’est alors que nous faisons concrètement l’expérience chrétienne : croire que tout ce qui est partagé par amour dans une vie, Dieu le ressuscite.

Robert Tireau

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