Pharisien

Siracide 35, 12-14.16-18 ; Psaume 33 ; 2 Timothée 4, 6-8.16-18 ; Luc 18, 9-14

 

D’abord quelques échos de la 1ère lecture, le temps pour chacun de se laisser imprégner : “Le Seigneur ne défavorise pas le pauvre. -  Il écoute la prière de l’opprimé. – Il ne méprise pas la supplication de l’orphelin ni la plainte répétée de la veuve.” Et dans le psaume : “le Seigneur est proche du cœur brisé.” Souvenez-vous : l’histoire du jugement dernier (Matthieu 25) : “Ce que vous faites au plus petit d’entre les miens, c’est à moi.” ; et le Magnificat de Marie : “Il disperse les superbes, il renverse les puissants, il élève les humbles, il comble de biens les affamés, il renvoie les riches les mains vides.”

Non, je n’ai pas l’intention de faire un discours moralisant sur l’attention aux plus pauvres. Mais j’ai envie d’évoquer un courant théologique dans la ligne des théologies de la libération. Un courant qui dit, non pas : je suis chrétien, donc je dois être attentif aux pauvres, mais : mon souci des pauvres constitue mon être croyant. Mon rapport aux pauvres est le lieu même où s’enracine ma foi. Compliqué ? Un peu sans doute, mais ça peut se préciser petit à petit. Dans un livre intitulé La cause des pauvres, Alain Durand écrit : “Le rapport aux pauvres n’est pas un affluent qui viendrait grossir le fleuve de la vie chrétienne, il est au lieu même où le fleuve prend sa source.”

Je traduis à ma façon :

- non pas : j’ai la foi, donc je doit faire attention aux pauvres. Mon attention aux pauvres serait conséquence de ma foi. Quand on entend : “Ils sont chrétiens et ils ne sont pas meilleurs que les autres”, c’est bien de ça qu’on parle.

- mais : l’attention que je porte aux plus petits est le lieu-même où le Christ se donne à rencontrer à moi. Sans doute faut-il une attitude particulière pour vivre ça : non pas la suffisance qui donne et qui est fière de donner, mais l’attente d’une réelle rencontre, d’un réel échange. En bref, une attitude de pauvre.

“Heureux les pauvres” dit Jésus. “Heureux, disait quelqu’un, ceux chez qui il reste de la place. Le contraire des hôtels quand ils affichent complet.”

“Heureux ceux qui pleurent”. Le même traduisait : “Heureux ceux qui sont capables de pleurer, ceux qui n’ont pas le cœur complètement sec.”

Vous devinez que tout ça n’est pas sans lien avec la parabole du pharisien et du publicain. A propos, quelle image du pharisien avez-vous en tête ? Pendant toute mon enfance j’imaginais un pharisien bien mis, nippé comme on dit, majestueux d’orgueil, et mauvais. Et un publicain, c’était plutôt un pauvre bougre un peu dépenaillé, mais bon. Et puis j’ai appris qu’en réalité c’est plutôt l’inverse : un pharisien était un ascète plein de qualités et de vertus ; et un publicain était plutôt un parvenu enrichi souvent malhonnêtement. C’est leur attitude intérieure qui va tout changer. Il y a un retournement dont l’Evangile a le secret. Le publicain s’en alla justifié, devenu juste, retourné, un peu comme Zachée sans doute.

D’après le contenu de sa prière, le pharisien était un homme juste. Il pratiquait parfaitement la loi. Il était respecté parce que respectable. Mais si, aux yeux des hommes, la prière du pharisien était celle d’un juste, cette prière ne l’a pas rendu juste aux yeux de Jésus, parce qu’il se met à part des autres et met en avant ses mérites. Il agit sans doute avec justice, mais son action et sa prière manquent de justesse. Il est peut-être juste, mais il n’est pas ajusté. Sa prière paraît parfaite, mais elle est fermée : aucune ouverture par où la grâce pourrait pénétrer. En somme il ne s’est pas mis réellement en présence de son Dieu. A la limite, en a-t-il même besoin ? Pas sûr ! Ou plutôt, si ! Il a simplement besoin de quelqu’un à qui il puisse dire qu’il est le meilleur.

Pendant ce temps, le publicain va demander à Dieu de faire quelque chose pour lui. Il a besoin de Dieu pour sortir de sa misère. Il sait qu’il ne vit pas dans la justice. Aussi il demande à Dieu de l’ajuster à lui.

C’est un peu comme Saint Paul (2de lecture). Il se glorifie lui aussi d’abord : “Je me suis battu, j’ai tenu, je suis resté fidèle”;  puis petit à petit il change d’attitude : “Le Seigneur m’a assisté.”  Un retournement qui chante tout.

C’est, je crois, Kierkegaard, un grand penseur danois du 19ème siècle, qui a écrit cette parole lumineuse : “Le contraire du péché, ce n’est pas la vertu, mais la foi”.

Robert Tireau, Prêtre du Diocèse de Rennes

 

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