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La violence, qui semble inhérente à l’humain, est-elle une fatalité ? Pour Jean Vanier, fondateur de l’Arche, en sortir est un chemin spirituel, à emprunter pas à pas. A la suite de Jésus.

L’Arche va fêter ses 50 ans. Au début, vous avez été confronté à la violence…

Au départ, j’ai visité un établissement pour des personnes avec un handicap mental qui était terrible. Elles étaient 80 personnes dans un établissement censé en accueillir 40 ! Tout était fait pour soulager les parents, pas pour reconnaître la valeur de leurs enfants avec un handicap...

On a accueilli à l’Arche des personnes venues de cet établissement et des hôpitaux psychiatriques ; certaines s’exprimaient par des cris, manifestaient de la violence. Il fallait quatre personnes pour tenir l'un d'entre eux… Aujourd’hui, c’est différent, il peut y avoir des cris, des frictions, mais on n’est plus en face des mêmes problèmes.

Il reste des violences qu’on ne comprend pas très bien. Je pense à un homme autiste de la communauté qui se tape la tête. Est-ce de la violence ? N’est-ce pas plutôt une habitude inscrite, une addiction ?

Comment sortir de la violence, comment la transformer ? Vous parlez souvent de l’épisode où vous avez découvert une grande violence en vous, en vivant avec une personne lourdement handicapée…

Je ne sais pas si j’ai réussi à transformer cette violence… Et je peux toujours réagir avec violence. Mais je crois qu’aujourd’hui, j’en reconnais mieux les signes avant-coureurs. Par exemple, quand on m’accuse de quelque chose, je réalise que la seule réponse, c’est d’accepter et d’aimer l’autre. Ce n’est pas facile, à cause de notre système de défense. C’est seulement possible avec Jésus. Ou à la manière de Gandhi, qui a su comment accueillir l’humiliation. Cela suppose un désir d’être plus humain. Etty Hillesum disait : "Je découvre que je suis un puits, et qu’au fond du puits, il y a Dieu." Mais il y a des saletés, des rochers qui bloquent le puits et qui m’empêchent de rejoindre Dieu. Ces blocages, ce sont nos peurs, nos refus d'aimer. Ne pas se défendre, être non-violent. Cela demande d’accepter d’être humilié. C’est un chemin. Dans l’Evangile, c’est la seule réponse.

La violence n’est-elle pas désespérante ?

Je crois que oui, l’homme très vite peut être violent. Mais on commence à mieux connaître le système de la violence, ce qui permet de la déjouer. Il y a des années, j’ai été attaqué une fois dans la rue, dans le village de Trosly (Oise) où je vis, par un homme qui en voulait à l’Arche. J’avais tellement peur que je ne pouvais pas bouger. Il m’a frappé. Je lui ai dit : si tu veux, tu peux me frapper encore. Alors le pauvre homme m’a tendu la main et m’a proposé de boire un verre… Quelque chose s’est passé. Je ne pouvais pas bouger mais j’ai trouvé les mots. Jésus m'a donné une force pour ne pas bouger.

La violence, c’est l’histoire de ce chef d’usine qui crie sur l’ouvrier injustement ; cet ouvrier rentre chez lui, crie sur sa femme, qui crie sur son enfant, lequel donne un coup de pied au chien… Comment arrêter la chaîne ? Si l’on regarde l’Histoire, de fait, ce sont les martyrs qui l’ont arrêtée. Parce qu’ils ont été tués, alors qu’ils étaient bons, et que ça se voyait. Ça a obligé des gens à ouvrir les yeux, à percevoir qu’il y a quelque chose qui dépasse la violence.

Je crois aussi que par sa mort, Jésus a ouvert les portes à l’Esprit saint. Il a représenté toute l’humanité en allant vers le Père. Pour demander pardon pour toute l’humanité.

Ces derniers temps, vous insistez sur la tendresse…

Le psychiatre de notre communauté, Patrick Mathias, disait : "L’opposé de la violence, ce n’est pas la non-violence, c’est la tendresse." Et la tendresse, c’est une façon d’écouter, une façon d’être, de manifester un immense respect devant l’autre, de lui montrer qu’il est important. C’est une façon d’aborder l’être humain.

La vision de Dieu est une vision de tendresse. On en parle souvent dans les psaumes : Dieu est tendresse et bonté… Elle est un signe de Dieu. Dans la tendresse, il y a une crainte, celle d’abîmer ou de faire du mal à un pauvre.

Ce n’est pas d’abord une manifestation physique ?

Une mère qui prend son enfant dans les bras, c’est beaucoup plus que cela : la tendresse est révélation, elle est une façon de toucher qui donne sécurité. C’est tellement proche de ce que saint Paul dit de l’Amour dans l'épître aux Corinthiens (13,4) : l’amour est patience ; il excuse et supporte tout. La manifestation physique, c’est le pôle extérieur d’un pôle intérieur, qui est mon respect de l'autre. La tendresse est un don de l’Esprit saint.

Propos recueillis par Cyril Douillet

Ombres et Lumière n°197

 

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