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Pour les deux prochaines semaines, nous revenons au soir du Jeudi Saint, où Jésus, dans l’évangile de Jean, nous laisse son testament. Celui-ci se résume en un mot : Amour! Cette semaine, à Joliette, les prêtres ont eu une journée de ressourcement avec Jacky Stinchens, un prêtre belge flamand qui vit au Québec depuis 30 ans, et qui nous a dit que c’est dans l’expérience humaine, dans la chair, que surgit la manifestation de Dieu, la révélation de Dieu… Et chaque expérience est unique; elle ne peut être imitée. Donc, lorsque le Jésus de Jean nous dit : « Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres » (Jn 13,34), ça veut dire que nous devons aimer, non pas comme Jésus a aimé, mais bien comme chacun peut aimer, à la manière de chacun, dans le même but que Jésus… C’est-à-dire pour que l’Amour se répande. Le comme n’est pas comparatif; je dirais qu’il est multiplicatif.

Quelqu’un m’a dit un jour, après la célébration de funérailles : « Raymond, continue d’aimer avec compassion; nous en avons tellement besoin ». Ça m’a fait comprendre le sens de l’évangile d’aujourd’hui : l’Amour fait des petits; il fait ressusciter; il donne la vie; il nous fait ressembler au Christ de Pâques et il crée un monde nouveau.

1.       L’Amour fait ressusciter. Dans l’évangile d’aujourd’hui, saint Jean parle de gloire : « Quand Judas fut sorti, Jésus déclara : ‘’Maintenant, le Fils de l’homme est glorifié et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu en retour lui donnera sa propre gloire; et il la lui donnera bientôt’’ » (Jn 13,31-32). L’évangéliste Jean s’adresse à l’Église de la fin du 1er siècle, une communauté de croyants qui, malgré les persécutions, vit déjà dans le monde de la gloire, de la résurrection, le monde nouveau d’après Pâques, fondé sur l’Amour. N’est-ce pas la réalité décrite par l’Apocalypse que nous lisons également aujourd’hui? « Moi Jean, j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et il n’y avait plus de mer » (Ap 21,1). Ça fait drôle ce paysage décrit par l’auteur du livre de l’Apocalypse, mais en même temps, on peut y reconnaître un paysage pascal, car on sait que la mer, dans la Bible, était le lieu où résident les forces du mal; donc, dans ce monde nouveau, le monde de la Résurrection, il ne peut plus y avoir de mer, car le mal a été vaincu. Et plus encore : dans ce monde nouveau, il n’y a plus de souffrances et de mort :« Dieu lui-même essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort n’existera plus; il n’y aura plus de pleurs, de cris, ni de tristesse; car la première création aura disparu » (Ap 21,4).

2.       L’Amour est contagieux. Comment peut-on vérifier si, comme Église, nous sommes déjà  entrés dans la gloire, dans la Résurrection, dans le temps pascal? La réponse est simple : c’est par l’Amour avec un grand A, donné gratuitement, généreusement, sans restriction aucune. Ça fait longtemps qu’on répète cette phrase de l’évangile de saint Jean : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés! » C’est un Amour gratuit, généreux, qui doit contaminer l’autre, les autres. L’Amour qui se répand, se multiplie; l’Amour qui se transmet.

Que de temps perdu à ignorer, à faire semblant, à haïr, à refuser, à entretenir, à démontrer de l’indifférence, au lieu d’aimer, simplement, gratuitement, sincèrement, honnêtement, généreusement, inconditionnellement. Et pourtant, la vie est si courte! Refuser d’aimer, c’est d’abord à nous que ça fait le plus mal : on développe de la rancœur, de l’angoisse, de l’amertume; on vit de la peine, du désarroi, de la souffrance, de l’indifférence et un mal-être qui peut même affecter notre santé physiologique et psychologique. Alors, pourquoi ne pas aimer véritablement?

3.       L’Amour est désintéressé. Nous sommes capables d’aimer : un amour sélectif, intéressé, calculé, contrôlé. Un amour qui est plus tourné vers soi que vers les autres. Un amour qui s’arrête à nos limites et à nos pauvretés. Mais l’Amour évangélique, l’Amour chrétien, n’a aucune limite et il exprime qui nous sommes véritablement : « Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’Amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13,35). L’exégète français Jean Debruynne écrit : « Désormais ce n’est pas à la croix qu’ils portent autour du cou que l’on reconnaît les disciples du Christ, c’est à l’Amour qu’ils ont les uns pour les autres ».

Rappelons-nous les trois étapes de l’Amour présentées par saint Augustin, au 4ème siècle :

1)        Aimer être aimé. Tout le monde aime ça; il n’y a rien de particulier ou d’extraordinaire dans ça. L’Amour véritable est sûrement plus que ça.

2)        Aimer aimer. Deux infinitifs… C’est déjà mieux, mais c’est dangereux. Ça peut devenir une sorte de narcissisme, pour bien paraître en faisant un excès de générosité dans l’Amour.

3)        Aimer. Aimer tout court, sans plus; non pas pour faire plaisir ou pour faire du bien… Non! Aimer simplement, par amour, sans rien attendre en retour.

N’est-ce pas de cette façon que le Christ nous a aimés : inconditionnellement, gratuitement, simplement. Non pas pour faire plaisir ou pour bien paraître. Non! Simplement par Amour! Pour incarner ce Dieu qui n’est qu’Amour. Et même si l’Amour l’a conduit jusqu’à la croix, il a aimé jusqu’au bout, sans rien exiger en retour de son Amour. L’évangile ne dit pas : « Aimez-moi comme je vous ai aimés! », mais bien : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés! » (Jn 13,34b). C’est le summum de l’Amour; c’est l’Amour dans sa perfection. C’est l’Amour qui nous fait ressembler à Dieu; c’est l’Amour qui nous identifie au Christ ressuscité.

Finalement, pourquoi saint Jean dit-il que le commandement de l’Amour de son évangile est un commandement nouveau? Écoutons saint Augustin nous dire pourquoi : « Est-ce que ce commandement n’existait pas déjà dans la loi ancienne puisqu’il est écrit : ‘’Tu aimeras ton prochain comme toi-même?’’ Pourquoi donc le Seigneur appelle-t-il nouveau un commandement qui est à l’évidence si ancien? Est-ce un commandement nouveau parce qu’en nous dépouillant de l’homme ancien il nous revêt de l’homme nouveau? Certes, l’homme qui écoute ce commandement, ou plutôt qui y obéit, est renouvelé non par n’importe quel amour, mais par celui que le Seigneur nous donne : ‘’Comme je vous ai aimés’’. C’est cet Amour qui nous renouvelle, pour que nous soyons les héritiers de l’Alliance nouvelle. Voilà pourquoi il nous a aimés : afin qu’à notre tour nous nous aimions les uns les autres. Il nous en a rendus capables en nous aimant, afin que par l’Amour mutuel nous soyons liés entre nous et que, par l’union très douce qui lie ses membres, nous soyons son corps, le corps d’une seule Tête, le Christ de Pâques ».

Voilà la gloire de Dieu! L’Homme debout! Rendu capable d’aimer comme le Christ, à sa suite, à la manière de chacun, même si on doit le payer de sa propre vie…

Raymond Gravel

Prêtre du Diocèse de Joliette (Quebec) 

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