L’ouverture de l’Eglise « aux païens » : Lecture du Livre des Actes des Apôtres du dimanche 5 mai
05 mai 2013
Il y a toujours eu un Christianisme de protestation
Plutôt que de voir dans ces divorces sporadiques une catastrophe, mieux vaut comprendre qu'ils structurent toute l'histoire du christianisme. À côté d'un christianisme de la puissance et de l'institution, il y a toujours eu un christianisme de la protestation, lequel n'épargna jamais l'institution elle-même. Or, c'est pourtant de l'Église que les protestataires étaient les enfants, c'est d'elle qu'ils procédaient. Pendant des siècles, l'histoire du christianisme s'est organisée autour de cette étrange - et magnifique -synergie entre « protestation évangélique » et « organisation ecclésiale ».
La parole vive, celle qui entretient le « feu » évangélique, a le plus souvent circulé dans les marges de l'Église, quand ce n'est pas en réaction contre le conservatisme ou la sclérose de cette dernière. Ce sont les protestataires et les mystiques qui ont transmis le feu de la Parole. Ils furent parfois tenus en lisière. Leur prophétisme incandescent risquait, il est vrai, d'incendier le bel ordonnancement clérical. Mais ces témoins essentiels auraient-ils pu exister sans l'institution ? Bien sûr que non. C'est à la table commune qu'ils s'étaient d'abord nourris. C'est au sein de l'Église, et par elle, qu'ils avaient accédé à la parole évangélique. Leur révolte - celle de François d'Assise ou celle de Thérèse d'Avila - était celle d'un enfant rétif à l'autorité de sa mère.
L'extraordinaire longévité du christianisme trouve là son origine : une institution périodiquement réveillée par ses propres dissidents. Sans la protestation venue des marges, le message se serait affadi ou même éteint. Mais sans l'Église, il n'aurait pas été transmis. Dissidence et institution sont comme l'avers et le revers d'une même vérité en mouvement.
L'Eglise reste notre maison commune
Une institution, quelle qu'elle soit, est toujours tentée d'obéir à un syndrome de rigidité et de « persévérer dans son être ». Sa pente naturelle consiste à opposer sa propre immobilité au mouvement, à préférer le souci de conservation au progrès et l'ordre social à la liberté. Dans le même temps, l'Église reste pourtant notre maison commune. Fût-elle rébarbative, disciplinaire, elle est aussi une académie où s'apprivoise et s'éduque notre foi. Elle a été mille fois confrontée aux tentations sectaires, hérétiques ou intolérantes. Elles a engrangé, au fil des siècles, un corpus de réflexions, d'argumentations et d'expériences qu'on serait fou de jeter dans l'oubli. Elle propose ainsi, d'un siècle à l'autre, une propédeutique (du grec paideuein : enseigner) de la foi.
Notre foi a besoin d'elle. Faute de cela, le croire n'est plus qu'une passion incertaine qui sautille et batifole avant de courir vers l'abri d'une secte, d'une tribu ou d'un groupuscule. « Le verbe croire, écrivait Emmanuel Levinas, ne se conjugue pas à la première personne du singulier mais du pluriel. »
L'Église, parfois, nous déconcerte ou nous révolte, mais nous restons ses enfants.
Lettres aux catholiques troublés
Jean-Claude Guillebaud,
La Croix 3-4-2009