Jean-Louis Bianco : "La laïcité est un trésor à défendre"

Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la laïcité et ancien secrétaire général de l'Élysée, était invité vendredi par la rédaction à donner son sentiment sur des sujets de société et les réponses à y apporter. - (Photo NR)

Le président de l’Observatoire de la laïcité appelle à défendre cette valeur fondamentale de la République. Au cours d’un long entretien, il en précise les contours et les dangers qui la guettent.

C'est sûrement le reproche qui l'agace le plus en ce moment. Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la laïcité, est souvent brocardé par les détracteurs qui l'accusent de dire qu'il n'y a pas de problème autour de la laïcité en France. « Dans beaucoup de domaines, nous constatons – ce qui fait parfois débat (à l'Observatoire) – qu'il y a moins de problèmes difficiles qu'on ne le croit, détaille-t-il. Ça ne veut pas dire qu'il n'y en a pas, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas parfois des formes agressives et du communautarisme, mais ça veut dire que par rapport à l'image qu'on en peut avoir dans les grands médias, la laïcité se porte bien. »

"Une conquête historique"

Pilier de la République, le principe est sur toutes les lèvres politiques, ou presque, depuis des semaines. « Je me réjouis qu'on parle beaucoup de laïcité, mais on met le mot à toutes les sauces. Certains s'agitent comme un cabri – comme aurait dit le général de Gaulle – sur leur chaise en criant " laïcité ", " laïcité ". » Sa définition, en trois points, sera donc précise et elle se place dans le contexte français actuel miné par les questions sur le fondamentalisme religieux et la perte de repères pour certains dans la société. Le premier point – « et on l'oublie toujours » – est que la laïcité est une « liberté ».

C'est « une conquête historique » et « la liberté de croire ou de ne pas croire, de changer de religion, de manifester ses convictions y compris en dehors de chez soi. Vous avez le droit d'afficher vos convictions syndicales, politiques, le club de football que vous soutenez… et y compris vos convictions religieuses. La neutralité ne s'impose pas aux gens dans la rue. » Seulement aux agents de l'État. Les limites étant la décence, la sécurité ou le trouble de l'ordre public.

"Pas de liberté d'expression sans liberté religieuse. Et inversement."

Le deuxième pan « c'est la séparation des Églises et de l'État, l'indépendance de l'État par rapport aux prescriptions religieuses quelles qu'elles soient. La loi est la loi faite par la démocratie et la République. » Enfin, « certains pensent que la laïcité est quelque chose qui permet de vivre ensemble, c'est vrai. Mais ce qui fait la spécificité de la laïcité française est que nous sommes tous des citoyens à égalité de droits et de devoirs. C'est cette identité qui transcende les autres et qui nous rassemble. »

C'est sur ces questions que l'Observatoire de la laïcité (qui dépend du Premier ministre) peut-être saisi. Le dernier exemple était lié à un projet de loi du Parti radical de gauche sur l'encadrement des mineurs, en lien avec l'affaire de la crèche privée Baby Loup où un contentieux a opposé une salariée voilée et la structure. L'instance s'était prononcée contre toute nouvelle législation estimant que l'arsenal juridique existant était suffisant. La loi de 1905 « vit mieux que jamais » selon Jean-Louis Bianco qui craint qu'une nouvelle législation fondée sur des interdictions n'ait à terme des effets contre-productifs. C'est le spectre d'une société totalement normée et neutre « à la 1984 de George Orwell » où toutes les singularités sont effacées.

L'Observatoire peut également s'autosaisir, comme après les attentats de janvier, pour inciter le gouvernement à agir. « Le vrai combat pour la laïcité ne peut être gagné que si on avance aussi sur l'égalité et sur les discriminations », insiste-t-il. « C'est un trésor qu'il faut défendre, préserver, consolider, promouvoir et faire vivre ».

"La liberté de caricature n'est pas absolue"

Parmi les recommandations, le recrutement d'aumôniers musulmans en milieu carcéral s'impose. Tout comme le développement de l'enseignement laïque du fait religieux dans les établissements scolaires. Face à la menace des prédicateurs intégristes venus de l'étranger, Jean-Louis Bianco plaide pour la création d'instituts privés de théologie musulmane. « Il n'est pas question pour l'État de financer ces instituts », mais il doit « les encourager » afin que les musulmans puissent avoir un lien avec des imams « qui parlent français » et « qui connaissent l'histoire de la République et la laïcité. Je ne dis pas que ça n'existe pas, mais il faut que ça existe pour tous. » Une règle qui s'applique aussi aux autres religions.

Enfin, le débat actuel révèle des carences dans l'intégration et pourquoi certains ne distinguent pas les nuances entre « Je suis Charlie » et les propos de Dieudonné. « La laïcité ne peut aller sans la liberté d'expression et la liberté d'expression ne peut exister sans liberté religieuse. Mais la liberté de caricature n'est pas absolue. Il y a les limites, comme l'incitation à la haine, mais c'est à la justice de trancher au cas par cas. »

L'Observatoire de la laïcité sur Internet : www.gouvernement.fr/observatoire-de-la-laicite. Trois guides pratique sur la laïcité dans les structures socio-éducatives, dans les collectivités locales et dans l'entreprise privée sont à télécharger.

bio express

Jean-Louis Bianco est né le 12 janvier 1943. Il est diplômé de l'IEP de Paris, de l'École nationale supérieure des mines de Paris et de l'ÉNA.

Secrétaire général de la présidence de la République de 1982 à 1991 puis ministre des Affaires sociales et de l'Intégration de 1991 à 1992 dans le gouvernement d'Édith Cresson, il devient ministre de l'Équipement, du Transport et du Logement de 1992 à 1993 dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy.

Directeur de campagne. Il a été – au côté du maire de Dijon François Rebsamen – directeur de la campagne présidentielle de Ségolène Royal en 2007.

Élu local. Jean-Louis Bianco se présente pour la première fois à une élection en 1992, aux cantonales, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Des élections qu'il perd. Il est ensuite élu maire de Digne-les-Bains de 1995 à 2001 ; député des Alpes-de-Haute-Provence de 1997 à 2012 et président du conseil général Alpes-de-Haute-Provence de 1998 à 2012.

Conseiller. Missionné en 2013 par le gouvernement sur la réforme du secteur ferroviaire, il est nommé en 2014 conseiller spécial de Ségolène Royal, ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie et représentant spécial du ministre des Affaires étrangères pour les relations avec l'Algérie.

repères

Jean-Louis Bianco est le détenteur de deux « records » de la vie politique de la Ve République. Et ils risquent de tenir un moment. Il fut en effet le secrétaire général de l'Élysée le plus jeune – il avait 39 ans – lorsqu'il a été nommé, mais aussi celui qui est resté le plus longtemps en fonction – 9neuf ans – avant de devenir ministre.

C'est « un ami de lycée » de Jacques Attali, qui avait parlé de lui à François Mitterrand. Quand il arrive à l'Élysée en 1981, le président de la République s'entoure notamment d'une équipe de trois personnes chargée de lui rédiger des notes techniques. Jean-Louis Bianco l'intègre et il y rencontre… Ségolène Royal et François Hollande. Deux « jeunes formidables » que Jacques Attali a vu émerger lors de la campagne présidentielle. Mais Jean-Louis Bianco n'accède aux responsabilités de secrétaire général qu'en 1982 suite à la place laissée par Pierre Bérégovoy, entré au gouvernement. Il se souvient alors que François Mitterrand lui avait fait passer un long « entretien d'embauche » où il devait exposer sa vision du poste.

Si le temps médiatique a bouleversé le rythme politique, il estime que le rôle du secrétaire général de l'Élysée – « une sorte d'ingénieur mécanicien » – est fondamentalement resté le même. « Il y a des constantes », explique-t-il. La première est « de diversifier les sources d'information » du président de la République afin de lui éviter de n'entendre « qu'un seul son de cloche ». « Il faut aussi être à l'écoute de ceux qui ne pensent pas comme la majorité. Neuf fois sur dix l'intérêt est limité, mais parfois ça vaut le coup ». Il doit aussi veiller à ce qu'il n'y ait « l'ombre d'une feuille de papier » entre l'Élysée et Matignon. Enfin, il doit accompagner le chef de l'État sur le « cap à tenir » et les visions « à long terme » autres que purement électorales.

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