François, le rusé Jésuite

Promulgués le 8 septembre, l’un s’appliquant aux catholiques latins, l’autre aux catholiques d’Orient, et affublés de noms latins imprononçables, les deux motu proprio sur les conditions juridiques d’une décision de nullité de mariage sont passés quasiment inaperçus.

Ces motu proprio sont, comme leur nom l’indique, des actes propres du pape. Ils appartiennent juridiquement au régime du « magistère ordinaire ». Ils réforment les conditions du procès canonique sur « les causes de déclaration de nullité du mariage dans le Code de droit canonique ». A priori, pour le commun des mortels, des obscurités juridiques. Les catholiques, il faut le dire, ont une piètre opinion de la loi et du droit, convaincus qu’ils sont que l’amour prévaut... Fatale erreur. D’abord parce qu’il n’est pas de société humaine qui ne soit régie par le droit et que, précisément, le catholicisme romain est une institution hautement juridique, pour le meilleur et pour le pire. Alors, ces motu proprio, ressortissent-ils du meilleur ou du pire ?

Le mariage catholique, outre son fondement théologique, est un régime juridique. Il suppose, afin d’être valide, que les époux s’engagent librement et sans contrainte, qu’ils acceptent la responsabilité d’époux et de parents et donc désirent avoir des enfants (du moins si leur âge le leur permet) et s’engagent à s’aimer dans un lien exclusif et fidèle « jusqu’à ce que la mort les sépare ». Une fois cet engagement pris, le mariage est indissoluble en vertu de la parole de Jésus en Matthieu 19 : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. » Dès lors, nulle possibilité de divorce chez les catholiques. La séparation de corps est permise en cas de lourdes difficultés dans la vie commune, mais toute nouvelle union est impossible. En effet, comme les seuls actes sexuels autorisés le sont dans le cadre d’un mariage ouvert à la possibilité de procréation, tout nouveau lien, aventure ou remariage, est considéré comme un adultère, un péché d’une grande gravité qui écarte de la réception des sacrements dès lors que le pénitent ou la pénitente ne peut pas prendre l’engagement de cesser de « pécher ». Les secondes noces en cas de divorce civil sont un cas de « péché obstiné ».

Le Synode sur la famille, convoqué par le pape François, a tenté de traiter la question des divorcés remariés ; une situation de plus en plus courante, eut égard, d’abord et principalement, à l’augmentation sans précédent de l’espérance de vie. La mort ne sépare plus les époux qu’au bout de nombreuses décennies. Pour mémoire, la durée moyenne d’un mariage en France entre les XVIe et XIXe siècles oscille entre douze et quinze ans ! En conséquence, le divorce est le lot commun de tous et toutes, catholiques ou pas, notre lot, celui de nos frères et sœurs, de nos enfants, de nos parents... Et de nouvelles unions se forment et tentent de réussir ce que la précédente avait raté.

La loi du catholicisme doit-elle continuer à vouer au péché obstiné d’adultère ces innombrables personnes ? C’est toute la question.

Les théologiens, ecclésiologues, moralistes et biblistes, cherchent des moyens de sortir de l’impasse. On citera le cardinal Kasper, Mgr Bonny ou Mgr Vesco, pour les contributions les plus intéressantes. Tandis que d’autres, tout aussi théologiens, ecclésiologues, moralistes et biblistes, rappellent « la doctrine de toujours » et s’émeuvent que l’on puisse brader un ordre venu, prétendent-ils, de Jésus lui-même. Là, on trouve l’inénarrable cardinal Burke ou le puissant cardinal Müller, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, gardien du Temple par excellence... par éminence, devrait-on dire.

Et voilà que François dribble tout le monde, motu proprio au pied. Normal pour un passionné de foot. Il déplace la question du champ théologique au champ juridique. Il est vrai que lorsque François était encore Mgr Bergoglio, il considérait que la moitié au moins des mariages étaient invalides, les époux ne sachant en fait pas bien ce qu’ils faisaient au moment où ils s’engageaient. Les nouveaux textes ouvrent largement les causes de nullité : défaut de foi, ou enfants nés avant le mariage... Là où l’identité de jugement de deux juges était nécessaire, un seul juge va suffire. L’évêque peut même, si les circonstances sont claires, juger lui-même en moins de 45 jours. Les parties seront considérées comme de bonne foi et leur seule déclaration pourra être prise en compte. Une procédure simplifiée, rapide et gratuite... Les conservateurs hurlent : « C’est un divorce catholique. » Les libéraux sont déçus : cette idée de nullité les rebute. À raison : comment dire que des années de vie commune sont annihilées... Surtout quand des enfants sont nés ? Mais le jésuite est rusé et il sait que de bonnes pratiques valent mieux qu’une grande dispute théologique. Qui osera prétendre qu’au jour de leur mariage, les deux époux étaient pleinement, totalement, conscients de l’engagement qu’ils prenaient... Rien moins qu’être l’image de l’amour de Dieu pour son peuple.

Allons, qui oserait ! Le pape a ouvert une petite porte, mais le courant d’air va s’engouffrer. Bien vite, on prendra l’habitude de divorcer au civil et, si l’on est assez croyant et motivé, de faire constater la nullité de l’engagement religieux. Sans doute n’est-ce pas idéal mais, ne nous y trompons pas, le pape François sait où il va et il vient de sérieusement déminer les débats du Synode qui commence le 3 octobre.

Christine Pedotti, Témoignage Chrétien

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