Trois ans « d’état de grâce » pour le pape François : stop ou encore ?

Il est salué dans le monde entier comme le pape de la rencontre, mais il agace aussi une frange de l’Eglise… Trois ans après son élection, le 13 mars 2013, l’état de grâce de François est-il en train de passer ?

Trois ans, c'est déjà beaucoup et à la fois pas assez. Plus de 1000 jours de pontificat. Le temps suffisant pour diffuser un message quasi-unique répété en style direct, parfois mordant, parfois déroutant, aux quatre coins de la planète : le chrétien doit être à côté de ceux qui souffrent des maux contemporains. Mais passés trois ans ? « C'est sûr que l'effet de surprise est passé, reconnaît Jean-Louis de la Vaissière, correspondant de l'Agence France Presse à Rome, vaticaniste et auteur de François, un combat pour la joie (Le Passeur). Sur ce registre, François ne devrait plus beaucoup innover. »

« En trois ans, ce pape a eu le temps d'opérer un sacré tremblement de terre, estime Michel Cool, ancien rédacteur en chef de La Vie et auteur de Tango à Rome, mon plaidoyer pour le pape François (Salvator). Et en même temps, trois ans, ce n'est rien au regard de la réforme qu'il mène au sein d'une Église aux traditions séculaires ». Réforme qui, au-delà du « structurel », vise la profondeur : pousser l’Église à « quitter ses habitudes mondaines, son intellectualisme, ses petits arrangements, en l'appelant aussi à se détacher des réalités matérielles », analyse Jean-Louis de la Vaissière. Et François, selon lui, fera tout ce qu'il peut pour continuer d'avancer de façon à rendre les changements « irréversibles ». « Il veut que cela soit un de ses héritages, précise le vaticaniste. On peut penser qu'aujourd'hui, il est allé assez loin en ce sens pour que l’Église ne revienne pas en arrière après lui. »

Homme exigeant avec lui-même comme avec le clergé, le pape argentin veut une Église « pure, engagée, sincère, explique Jean-Louis de la Vaissière, sans pour autant être prêt à faire n'importe quoi ». « Il ne fait pas de la stratégie boutiquière » abonde Michel Cool. Car celui qui multiplie les gestes forts – pour les plus récents, rencontre historique avec le patriarche Cyrille, visite apostolique à Bangui, accueil du président iranien Hassan Rohani au Vatican –, s'inscrit dans la droite ligne de ses prédécesseurs et du concile Vatican II. Avec son style : sa morgue parfois, son ironie, souvent... qui en agace certains et qui fait parler d'un « essoufflement » de la cause du pape chez les siens.

À l'image, relevée récemment par le vaticaniste John Allen Jr. sur le site cruxnow.com, de l'archevêque de Mexico, Norberto Rivera Carrera. Ce dernier, écrit John Allen, « a mené le pape au bûcher, suggérant (…) que la critique des évêques locaux par le pape durant son récent voyage, comme quoi ils se comporteraient parfois en "princes", était injustifiée et que le pontife était victime de mauvais conseils ». Rien de nouveau sous le soleil, plaide le chroniqueur dans sa tribune, qui assure qu'« il n'y a absolument rien de nouveau sur le fait que tous les évêques ne chantent pas « Alleluia » à tout ce que dit ou fait le pape (…). Il n'y a aucune réelle indication que le contrecoup subi par François soit plus fort que celui expérimenté par ses prédécesseurs. »

Une certaine lassitude ?

Pour autant, une certaine « lassitude » peut poindre à l'aube de la quatrième année de son pontificat, constate Jean-Louis de la Vaissière. « Il y a d'une part son message qu'il répète sans cesse ». En trois ans, le pape a prononcé plus de 800 discours ou homélies et publié 153 messages, a récemment pointé l'agence I.Média. Outre la bulle d’indiction du Jubilé de la miséricorde, il a publié deux encycliques, Lumen Fidei et Laudato Si', ainsi qu’une exhortation apostolique, Evangelii Gaudium, dans laquelle il plaide pour « une Eglise en sortie », pour sa « transformation missionnaire ».

Ensuite, « il y a toujours ces catégories que François énerve. Il y a les choses qui gênent, notamment ses brusques improvisations avec les membres de la curie, qui lui ont fait beaucoup d'ennemis. La réforme tarde à se concrétiser et a donné lieu à des mécontentements. Ce qui ne signifie pas qu'il va être "renversé" mais cela génère des frustrations et des inquiétudes au sein du Vatican. »

Alors que la prochaine exhortation post-synodale du pape doit être publiée incessamment, on peut s'attendre à ce qu'elle déçoive, quelles que soient les sensibilités, estime le vaticaniste : « Pour le cas des divorcés remariés, les conclusions du synode se dirigent vers une réintégration dans l’Église mais pas forcément vers un accès aux sacrements. » Et de poursuivre : « Ce qui est assez symptomatique du langage du pape François, c'est que par la manière dont il parle et sa stratégie du compromis, il peut parfois générer de la confusion dans les interprétations – ce qui n'empêche pas pour autant que les choses restent très claires pour lui. »

Sa méthode de dialogue au prix de certains compromis n'a récemment pas convaincu non plus du côté des gréco-catholiques d'Ukraine, très critiques après sa rencontre avec le patriarche Cyrille, le 12 février dernier. « Dans un autre domaine, il a déçu aussi sur le dossier de la pédophilie, remarque Jean-Louis de la Vaissière. Pour les associations, il n'en fait pas assez. Selon elles, il a beaucoup parlé mais pas assez agi. »

La lune de miel continuera

Pour autant, selon les spécialistes, la lune de miel de François et des croyants comme non-croyants, n'est pas terminée. « Fondamentalement, il ne va pas y avoir de rupture [après ces trois ans, ndlr] », estime Jean-Louis de la Vaissière. Sur le fond, juge encore le spécialiste, le pape est totalement respectueux de l'essentiel de la doctrine de l’Église et de l'Evangile. « Il reste très aimé par les non-croyants et les catholiques, notamment parce qu'il ne ferme jamais la porte. La plupart des catholiques dans le monde (un peu moins ceux d'Europe), restent très contents car ils comprennent mieux l'Evangile grâce à lui. Son langage est plus accessible, sans être simpliste. »

« C'est quelqu'un qui pourrait se tuer à la tâche », glisse-t-il encore, chassant l'éventualité d'une démission et pointant plutôt le rythme dense auquel il s'astreint et sa santé physique fragile (le pape a subi l'ablation d'une partie d'un de ses poumons en 1957).

« Le pape est toujours en état de grâce, ajoute Michel Cool, et cela va continuer. Ce n'est pas un pape de la rupture, c'est plutôt le pape de la conversion permanente, poursuivant l'oeuvre de ses prédécesseurs, avec des accents nouveaux, précise l'auteur. Jean XXIII avait déjà créé une révolution en convoquant le concile. Paul VI a ouvert la voie du dialogue pour créer des liens avec des gens exclus jusque-là du champ visuel de l’Église. Jean-Paul II a été un « pape pèlerin » portant son message "N'ayez pas peur !" aux quatre coins de la terre. Benoît XVI a rappelé, lui, qu'il fallait savoir argumenter sa foi et développer son intériorité… François, fort de tout cela, pousse les chrétiens à rayonner de la joie de l'évangile. »

Les critiques ? François les entend. « Il est à l'écoute, c'est un jésuite, reprend Michel Cool. Mais il est aussi très soutenu. C'est rare qu'un leader mondial ait sa popularité. Il touche un public très large. Le pape est d'une certaine manière convaincu de son analyse : il appelle sans cesse à une conversion interne de l’Église. C'est quelqu'un qui croit aux vertus du mouvement : si on ne fait rien, on meurt. »

Fin politique ou amateur ? « Il est plus fin politique que certains ne peuvent penser, plaide encore Michel Cool, et a le mérite d'entrer en dialogue et d'investir le champ politique, qui souffre actuellement d'un vide abyssal. Il va au coeur des préoccupations des gens. » Un petit péché d'orgueil peut-être ? « François est sûr qu'à force de le répéter, son message va finir par passer.

Laurence Faure

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