Abdoulaye Diara est embauché en CDI à ABC Jardins dès septembre. ©Cyrill Roy / La Dépêche d’Évreux

Abdoulaye Diara est embauché en CDI à ABC Jardins dès septembre. ©Cyrill Roy / La Dépêche d’Évreux

Parti du Mali à 14 ans Abdoulaye Diara vient tout juste de valider son CAP à Évreux et va être embauché chez ABC Jardins en septembre. Il nous raconte son itinéraire.
De l’avis de tous ceux qui l’ont côtoyé depuis son arrivée en France, et principalement à Évreux (Eure) Abdoulaye Diara est un être solaire. Souriant, avenant, il dégage une sérénité impressionnante malgré son jeune âge. Pourtant, du haut de ses 18 ans, il a déjà traversé une série d’épreuves qui ne laissent pas indemne.
Tout commence dans le village d’Aïté,  à l’ouest du Mali, en 2018. Abdoulaye Diara est alors âgé de 14 ans. Aîné de la famille (il a une sœur et un frère), il n’a jamais été à l’école. « Mes parents n’avaient pas les moyens », précise-t-il dans un très bon français, langue qu’il n’a apprise que très récemment.
Il travaille avec eux dans les champs de maïs depuis son plus jeune âge mais semble rêver plus grand. Dans son village, certains sont revenus de France « en ayant obtenu des choses ». Il n’en faut pas plus pour l’inciter à partir à son tour.
Un ami de son père paye les passeurs, un préalable incontournable pour traverser les frontières avant d’atteindre le Maroc. Abdoulaye Diara ne part pas seul, puisqu’il est accompagné d’un copain et d’autres villageois. Ensemble, ils mettent près d’un mois pour arriver au nord du Maghreb. Mais l’aventure est loin d’être terminée : avant de prendre le large, le groupe passe neuf jours à dormir dans la forêt.
54 dans un canot pneumatique
Puis vient le moment d’embarquer. Vers trois heures du matin, ils sont 54 dans un bateau pneumatique. « On a dû le gonfler avant de monter dedans », se souvient le jeune Malien. La voix d’Abdoulaye Diara est moins assurée à l’évocation de ce moment, comme s’il ne voulait pas se replonger dans l’angoisse de la traversée.
Car si le périple du Mali au Maroc n’a pas été une partie de plaisir, la suite du voyage est un véritable enfer : au moins 17 000 migrants sont décédés en tentant de traverser la Méditerranée depuis 2014 selon l’organisation internationale pour les migrations (OIM).
« C'était très dangereux. Le canot pouvait se percer facilement. »
Abdoulaye Diara
Et le pilote ne semble pas bien connaître la mer. Le groupe finit par être arrêté par la police après cinq heures passées dans l’embarcation. De retour au Maghreb, Abdoulaye Diara est mis en prison puis envoyé en bus dans un endroit dont il ignore le nom.
Une dernière chance
Le coup est dur, mais le mineur ne lâche rien. « J’ai repris du courage. Je me suis dit que c’était ma dernière chance. » Il prend de nouveau la direction du Maroc, tenaillé par la faim et sous un soleil ardent. Sur l’autoroute, alors qu’il est à pied, des automobilistes s’arrêtent pour lui donner de quoi manger. « C’est là que j’ai découvert que des gens étaient gentils. Ça m’a fait du bien », souffle le jeune homme.
De nouveau prêt à prendre la mer, il n’a plus le moindre sou en poche. Mais un passeur le laisse monter dans un canot pneumatique qui n’est pas aussi rempli que le premier : ils sont une trentaine à bord cette fois-ci. Très tôt dans la matinée, le bateau part vers l’Espagne. Mais à 16 h, la côte européenne est toujours loin et l’embarcation montre ses limites. Crevée, elle menace de se retourner à chaque vague. L’eau jusqu’à la taille, sans gilet de sauvetage, Abdoulaye Diara voit son heure arriver.
« Je me suis dit que j'avais quitté mes parents pour venir mourir ici. »
Abdoulaye Diara
C’est à ce moment-là qu’un hélicoptère passe juste au-dessus d’eux et un bateau de La Croix-Rouge vient les sauver in extremis. En montant à bord de l’embarcation de l’association humanitaire, Abdoulaye Diara pleure toutes les larmes de son corps : « À trente minutes près, on ne s’en serait pas sorti. »
Du métro parisien à Évreux
Le bateau emmène les migrants en Espagne où ils sont incarcérés. Le jeune Malien perd la trace de l’ami qui l’accompagnait. Sorti de la prison à ciel ouvert, il est transporté à Valence en bus, à l’est du pays. Il en profite pour appeler ses parents pour la première fois depuis son départ. S’il n’a pas de notion précise du temps écoulé, il sait qu’il ne leur a pas donné la moindre nouvelle depuis au moins trois mois.
« J’ai eu mon père au téléphone. Il ne croyait pas que c’était moi. Ma mère a pleuré. »
Abdoulaye Diara passe un peu de temps à Valence, mais son objectif reste d’atteindre la France. Il prend donc la route pour Paris, une nouvelle fois en bus. Dans la capitale, il dort dans le métro durant cinq jours. En suivant d’autres personnes dans le besoin, il obtient l’aide d’une association qui lui trouve une place dans un hôtel puis dans un foyer parisien. Il n’y reste qu’un mois avant de rejoindre Évreux.
Des cours pour apprendre le français
C’est dans la capitale euroise qu’il commence les cours d’alphabétisation avec RESF (Réseau d’éducation sans frontière) le mercredi à raison de deux à trois heures. Assidu, celui qui ne sait ni lire ni écrire va finir par acquérir des bases solides.
« C’était difficile, il y avait beaucoup de monde dans les salles », pointe Brigitte Boulat, ex-enseignante en maternelle à Nétreville et désormais retraitée. Avec Catherine Potreau, elle donnait une partie de son temps à RESF pour aider des groupes de jeunes. « On a tout de suite vu qu’Abdoulaye en voulait », assurent les deux femmes.
Il étudie ensuite au collège Politzer et obtient son Diplôme d’études en langue française (Delf) avec mention très bien. Il s’interroge sur son avenir et s’oriente vers la cuisine. Le restaurant La Gazette le prend en stage une semaine, puis il rejoint la cantine d’un collège. Dans le même temps, il fait du bénévolat aux Restos du cœur, soucieux de donner après avoir reçu.
« Tout le monde était content de ce qu’il faisait. Mais il cherchait un apprentissage pour septembre 2020 », développe Brigitte Boulat. Cette dernière va activer son réseau. Créateur d‘ABC Jardins et cogérant de l’entreprise paysagiste avec Ludovic Bussiere et Romain Dingreville, Stéphan Rouzier est d’accord pour le prendre.
Abdoulaye Diara est motivé, même s’il ne sait pas très bien ce qu’est un paysagiste.
« La première fois que je l'ai vu, je lui ai demandé pourquoi il venait travailler chez nous. Il m'a dit : "J'ai besoin de travail pour avoir mes papiers" »
En CDI en septembre
L’essai est concluant pour le jeune migrant. « Ça lui a plu tout de suite », lance Stéphan Rouzier. « Il a soif d’apprendre, est persévérant et a une très bonne éducation », complètent Brigitte Boulat et Catherine Potreau. Il s’intègre très vite et parvient à passer les obstacles. Au début du mois de juillet de cette année, il a validé son CAP aménagement paysager au CFA Hortipôle avec la mention assez bien.
Un exploit lorsque l’on sait qu’il n’avait jamais fait de mathématiques avant et qu’il ne comprenait pas le français à son arrivée. « Ça a été difficile au début. Il voulait tout gérer tout seul, mais ce n’était pas tenable », appuie l’enseignante retraitée.
S’il vient d’apprendre qu’il allait avoir une Carte vitale et un numéro de sécurité sociale, Abdoulaye Diara doit encore faire preuve de patience pour être naturalisé, face à une administration qui n’avance pas. Dans ses démarches, il peut compter sur le soutien de deux éducateurs de l’Aide sociale à l’enfance, qu’il surnomme affectueusement « tonton » et « tata ».
L’équipe d’ABC Jardins est aussi à ses côtés, notamment pour lui trouver un logement. « Il était en panique à l’idée de devoir quitter le foyer dès ses 18 ans, mais il peut y rester un peu », précise Ludovic Bussiere. L’entreprise l’embauche en CDI dès septembre.
« Ça peut l’aider à trouver un logement », espère Stéphan Rouzier. Tous ses proches tentent de lui trouver quelque chose, mais comme il n’a pas de papiers, seul le réseau privé peut fonctionner. « Il a une autorisation de travail mais il n’a pas de carte d’identité. Il n’a pas de permis, donc il lui faut un logement proche. »
Une fois cette étape passée, Abdoulaye Diara pourra écrire la suite de son histoire.


Cyrill Roy

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