L-ARBRE-QUI-PARLE

 

Ce jour nous a pris dans l’étau de sa lumière brûlante. Ce matin nous nous sommes mis en route avec le père et la sœur pour rendre visite à Suzanne dont le papa est décédé mercredi. C’est à lui que nous avions rendu visite et porté la communion il y a deux semaines. Ce sont ses mains que j’avais prises dans les miennes et son front que j’avais touché, faute de mots malgaches dans ma bouche. Lorsque nous arrivons chez elle, beaucoup de membres de la famille sont  là. Ils sont assis dehors. Le mort repose dans une petite pièce tapissée de nattes au rez-de-chaussée. Son cercueil aussi est tissé de nattes. Nous bénissons le corps et le Père commence à prier dans la petite pièce avec l’assemblée. Suzanne laisse éclater son chagrin. Un membre de la famille nous remercie de notre visite et du réconfort de la prière.

Ainsi va la vie, tissée d’imprévus cependant prévisibles mais que la volonté occulte afin d’en reculer l’échéance et les conséquences. La mort doit être envisagée, mais elle ne peut l’être que dans la vie : c’est le paradoxe auquel nous sommes astreints. Il faut compter sur la vie pour accueillir la mort, la nôtre et celle des autres, celle qui nous touche à cause des liens que nous avons tissés.

Le soleil absorbe tout ce chagrin, la solitude des montagnes et le vaste ciel pour nous restituer à sa façon cette vie qui ne se déploie qu’à sa lumière.

En chemin, sur ce bout de chemin que nous faisons à pied, un arbre me parle : « bonjour vaza ! » Ça faisait longtemps ! J’épie le feuillage immobile, surprise de cette parole arboricole. Un arbre qui me salue, quel honneur ! Il aurait même pu s’incliner sur mon passage, car je le vaux bien ! Je réponds donc à l’arbre, selon mon habitude : « salama gas ! » Les branches alors s’écartent pour me livrer la frimousse malicieuse d’un gamin aux yeux brillants, riant aux éclats, heureux de sa belle farce, heureux d’avoir prêté sa voix à l’arbre touffu dans lequel il avait trouvé asile pour ses jeux. Un arbre qui parle. Un arbre qui résiste au silence. Un arbre vivant sous cette chaleur haute et piquante. J’ai aimé cette rencontre alors que nous venions de rendre hommage à un mort. La vie utilise toutes sortes de canaux pour se dire et se propager de façon parfois incongrue. Un arbre avec une bouche et des yeux d’enfant : l’avenir de Madagascar est dans ce symbole. Sauront-ils le deviner ? 

Christelle Seguenot

Coopérante en Mission à Madagascar

Vendredi 19 octobre 2012

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