Homélie du Père Hervé Giraud, évêque de la Mission de France, lors de l’ordination presbytérale de Guillaume Roudier

Ce dimanche 17 juillet, en clôture de l’Université d’été de la Mission de France, nous vivons une ordination presbytérale, celle de Guillaume. Après les « mains plongés » de nos frères et sœurs engagés avec la Mission de France jeudi soir, voici qu’approchent les « mains imposés » sur la tête de notre frère, Guillaume. C’est ensemble que nous devrons, en corps du Christ, pour la multitude… servir, annoncer, célébrer.

Nous retrouvons ces trois exigences pour tous les fidèles du Christ : servir le monde blessé, écouter pour annoncer, célébrer pour rendre grâce au Père. Cet épisode de l’évangile se situe entre la parabole du Bon Samaritain et le Notre Père. Se faire le prochain, écouter la Parole de Dieu, prier le Père.

Servir. Chrétiens, diacres, prêtres, évêque nous devons servir le Christ. Le concile Vatican II le mentionne explicitement comme une priorité pour les prêtres : « Par l’ordination et la mission reçues des évêques, les prêtres sont mis au service du Christ… ». Mais, comme l’indiquait dimanche dernier la parabole du Bon Samaritain, nous servons le Christ dans l’homme blessé. Ce service du Christ devient aussi pour le prêtre le service du peuple de Dieu comme le demandera la liturgie : « Veux-tu devenir prêtre… pour servir… sans relâche le peuple de Dieu sous la conduite de l’Esprit Saint ? » Si l’Église a maintenu l’ordination diaconale avant celle du presbytérat ce n’est pas pour en faire un marche pied ou une étape hiérarchique, mais pour que les prêtres n’oublient jamais qu’ils sont et demeurent au service du Christ et de son Peuple, peuple qui dépasse infiniment les limites visibles de l’Église.

Guillaume, on exigera parfois de toi ce pour quoi tu n’es pas fait. N’oublie pas, comme il a été dit dans cette Université d’été, que la fragilité révèle notre solidité fondamentale. Seuls l’amour du Christ peut nous faire tenir. Le rocher c’est lui. Tu seras prêtre, ministre du Christ Tête, non pas d’abord pour exercer l’autorité de la Tête sur le Corps, mais pour assurer la croissance organique du Corps vers la Tête.

Annoncer. « Jésus entra… Marthe le reçut… Marie écoutait sa parole. » (Lc 10,38). Beaucoup de gens aspirent à être reçus, à être écoutés. Avant toute annonce et réciprocité il y a une attitude fondamentale pour tous les fidèles du Christ, celle de recevoir et d’écouter. Nous avons d’abord à écouter avant d’annoncer. On le dit souvent : nous avons deux oreilles pour écouter et une seul bouche pour parler. Il faut donc écouter deux fois plus. Nous sommes encore loin de savoir écouter l’autre comme autre, à écouter des victimes, à écouter les autres jusqu’au bout d’une phrase. C’est un travail.

Guillaume, tu as souhaité entrer dans la Mission de France, à y être reçu comme tu es avec ce que tu es, à y être écouté pour toi-même. Cela demande une réciprocité : faire entrer les autres dans ta vie, les recevoir pour eux-mêmes, les écouter patiemment.

Plus particulièrement, l’évangile nous invite à écouter la Parole de Dieu : c’est la première exigence pour des chrétiens et donc aussi pour des prêtres. Se couper un peu du monde pour méditer la Parole de Dieu conduit à mieux le servir. L’écho de l’évangile en nous aura un développement durable pour la multitude. Écouter le Seigneur est une priorité supérieure à beaucoup de nos priorités. On ne perd ni son temps ni le sens du service en lisant de plus près l’évangile. Écouter est une action. Une action difficile car elle oblige à une sortie de soi, un décentrement.

Enfin célébrer. « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses ». Le Seigneur nous invite à nous asseoir et à rendre grâce. Car si tout est grâce, tout doit surtout devenir action de grâce, merci, reconnaissance. Reconnaissons que nous sommes en déficit d’action de grâce. Or c’est elle qui nous propulse vers l’espérance, c’est elle qui fait devenir ce que nous avons reçu. Par nos actions de grâce nous sommes en un sens nos propres parents. Nous devenons ce que nous voulons être selon le modèle qui nous a choisis : le Christ lui-même. C’est tout le sens des célébrations liturgiques.

Guillaume, tu auras à célébrer des mariages, des baptêmes – c’est déjà le cas – mais aussi l’Eucharistie et le sacrement du pardon. Ne t’habitue jamais aux rites, aux formes. Tente de les habiter en pensant à partir des plus pauvres ou des plus fracturés de ce monde.

Servir, annoncer, célébrer… tout nous tourne vers la multitude. Ordonner un prêtre dans la Mission de France ce n’est pas ordonner un aumônier d’équipe de mission. Ce n’est pas lui offrir une mission bien définie comme celle du curé de paroisse. Ce n’est pas vouloir être une force d’appoint mais, si possible, une force de pointe, non au sens mondain mais au sens de cette pointe qui cloue le mal, la violence aveugle, le mal en nous et autour de nous.

Guillaume, en t’ordonnant prêtre dans la Mission de France je t’invite à une liberté exigeante, à une créativité audacieuse… mais avec des frères prêtres, avec des diacres, avec des frères et sœurs engagés, tous envoyés, portant de façon spécifique la responsabilité apostolique confiée à la Mission de France. Nous ne devons jamais être missionnaires seuls, mais toujours avec un cœur immensément habité. La présence de prêtres venant d’autres pays rappelle que la Mission de France ouvre plus qu’à l’universel.

La contribution à l’effort missionnaire que la Mission de France veut offrir dans un diocèse est à la fois passionnante… et passionnante ! Elle exige une passion faite de fidélité, de patience, de pertes, de traversées, d’aridités, de morts à soi-même, de joies nouvelles.

Guillaume, je ne te promets pas un long fleuve tranquille, mais le bonheur paradoxal des béatitudes. La Mission de France propose à ses prêtres une attitude qui est celle d’une présence par un travail en plein monde, comme « une présence originale dans les milieux sociaux et culturels les plus étrangers à la foi en Jésus-Christ ». Le ministère presbytéral est engagé dans le travail. Quand on me demande : « Pourquoi ces prêtres travaillent-ils ? », je réponds : « Ce n’est pas pour avoir une sécurité, pas pour avoir de l’argent, pas pour vivre égoïstement, pas pour avoir un équilibre de vie, pas pour se faire plaisir, mais pour être dans des lieux où l’évangile n’est apparemment pas attendu, mais prêt à être révélé pleinement. » Oui, c’est le registre de la gratuité et de la réciprocité. Pour donner et recevoir. Pour écouter et pour parler. On va vers les autres, en sachant que l’Esprit nous précède, que les autres nous apportent quelque chose, que la relecture théologique fait progresser la mission de l’Église.

Avec l’évolution du monde du travail, l’éducation dans les quartiers populaires, la montée des migrations, le changement créé par la civilisation numérique, la sauvegarde de la création, l’Europe et les cultures… les champs et priorités ne manqueront jamais. Quand j’entends les mots : identitaire, sectaire, repli, j’entends aussitôt la Mission de France qui en renvoie de plus justes : sortir, rencontrer, écouter, comprendre, dialoguer, partager, réfléchir, donner sens, collaborer, lutter, résister et finalement aimer… Un prêtre a aussi le droit de dire qu’il aime les gens, qu’il aime le Christ et que c’est une belle aventure ! Si un jeune, ce matin, veut vivre cette passion, alors je dis simplement : « viens et vois ». Des plus jeunes aux plus anciens, chacun témoignera de sa propre voie.

Guillaume, chers amis, soyez là où on ne nous attend pas… car c’est précisément là aussi que la multitude nous attend le plus. Amen.

+ Hervé GIRAUD
Prélat de la Mission de France
Archevêque de Sens & Auxerre

Lyon le dimanche 17 juillet 2016

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