Gilets jaunes…. Alerte Orange !

On ne bâtira pas l’avenir de ce pays sur la désespérance d’une partie de son peuple. 

On a tout dit, tout écrit, depuis dix jours, sur les gilets jaunes. Tout et son contraire. Ce qui, j’en conviens, est une expression absurde car les contraires sont précisément constitutifs du tout. Mais il fallait bien relever les dissensus qui, ici, voient dans les gilets jaunes rien moins que la liberté guidant le peuple et là de purs égoïstes fossoyeurs de l’alternative écologique. Alors pourquoi en rajouter ? Parce qu’il appartient à chacun (e) de nous de se mettre au clair avec lui-même sur ce phénomène. Et qu’on ne peut le faire qu’avec ses mots, sa sensibilité propre, son histoire personnelle.

Que la question de l’augmentation de la taxation du carburant n’ait été que pur prétexte, la goutte de pétrole qui fait déborder le vase est une évidence. Mais on sait bien, d’expérience, qu’acculer une personne sans lui ménager la moindre porte de sortie est la meilleure manière de nourrir chez elle l’exaspération ou la désespérance et de susciter la violence. Et nous en sommes là pour des millions de Français qui vivent à la périphérie des grandes agglomérations urbaines ou en zone rurale. Et, à leurs yeux, à la périphérie d’une société qui n’est plus la leur, qui ne les écoute plus, ne les voit plus…

Cette France rurale que nous évoquons parfois avec des trémolos dans la voix, au retour de vacances d’été, se meurt sous nos yeux dans la plus totale indifférence. De fermeture de bureau de poste en disparition des commerces de proximité, de non-remplacement du médecin généraliste en suppression de classe, de délocalisation des services hospitaliers en numérisation des démarches fiscales, de surenchérissement de l’immobilier urbain à l’éloignement des opportunités d’emploi… on contraint les citoyens à une mobilité, un « nomadisme du pauvre » dont on renchérit le coût au motif de préserver l’avenir de la planète. De cette souffrance là je suis témoin, comme bien d’autres, chaque fois que je “descends“ dans mon sud-Aveyron natal.

Le culte universel de la consommation de masse

Les théoriciens de la collapsologie (1), aiment à rappeler les cinq stades de l’effondrement des sociétés définis par l’ingénieur russo-américain Dimitry Orlov : financier, économique, politique, social puis culturel. Ce qui n’est pas encore avéré au niveau collectif se vérifie individuellement ici et là pour des millions d’exclus de la mondialisation : la pauvreté financière qui compromet jusqu’à la recherche d’emploi et l’intégration économique, le sentiment d’injustice sociale qui fait douter de la démocratie libérale et de valeurs de civilisations incapables d’atteindre leur objet : contenir la violence. Et l’on s’étonne ou se scandalise à peu de frais de possibles dérapages de ces “desperados“, interprétés comme autant de preuves d’incivilité. Et l’on pointe du doigt leur inexpérience coupable, leur incapacité à organiser des manifestations qui ne feraient pas de victimes ! Comme s’il ne mourrait pas chaque jour dix personnes sur les routes de France où plus de deux-cents autres sont également blessées, malgré l’existence de dispositifs de sécurité particulièrement contraignants. 

Maintenir un haut niveau de taxation sur les carburants, mais …

Comprenons nous bien : le gouvernement d’Emmanuel Macron a parfaitement raison de vouloir maintenir un haut niveau de taxation sur les carburants comme moyen de contenir puis réduire la consommation d’énergies fossiles source première du réchauffement climatique. Mais pas au détriment des seuls citoyens condamnés à user jusqu’à la panne finale leur vieux diésel alors qu’ailleurs cargos et avions de ligne bénéficient d’une exonération du fuel lourd et du kérosène… Pas en l’absence de toute alternative en matière de transports en commun longtemps négligés ou sacrifiés au « dieu automobile ». Pas sans pédagogie, sans vision d’avenir, sans justice, sans soutien, sans invitation à imaginer d’autres solutions. Et surtout pas sans un minimum d’estime et de prise en considération de ce que sont et vivent les gens au quotidien. 

On s’alarme ici ou là, avec raison, de la possible récupération politicienne de ce mouvement surgi de la base, au bénéfice de formations politiques ouvertement populistes. Comme ailleurs d’autres mécontentements non pris en compte ont conduit au Brexit, à l’élection de Trump, de Bolsonaro et de tant d’autres… Bref : amené au pouvoir des dirigeants bien décidés à remettre en cause les accords internationaux sur le climat, pour satisfaire leurs opinions publiques qui seront à terme les premières victimes de cette démagogie criminelle. Après eux le déluge ? Hélas, c’est possible ! Et il ne sera contenu ni aux frontières de l’Hexagone ni à celles de l’Union européenne. Comment ne pas s’alarmer ce la montée de ces égoïsmes nationaux, déconstruisant systématiquement les solidarités forgées par réaction aux hécatombes du siècle dernier ?

Comment attendre de l’économie libérale la solution de problèmes dont elle est la cause ? 

Plus profondément, Emmanuel Macron se trouve confronté, comme d’autres dirigeants, aux contradictions et désormais aux limites mêmes du capitaliste mondial qui se nourrit de la consommation/destruction effrénée de produits, bien souvent futiles,  fabriqués par prélèvement inconsidéré sur les ressources non renouvelables de la planète. Souvent au prix de l’exploitation des peuples dont elles contituent les seules richesses. Comment espérer de l’économie libérale la solution de problèmes dont elle est la cause ? A l’heure de la crise écologique comment continuer à courir, à l’aveugle, après une croissance qui repose pour l’essentiel sur la combustion suicidaire d’énergie fossile ? Plus ponctuellement – et l’on rejoint là l’incompréhension légitime des gilets jaunes –  comment justifier une augmentation de la pression fiscale sur les carburants, au nom de la nécessaire transition énergétique sans lui affecter, a minima, le revenu de ces taxes ? (2)

« Il ne suffit pas d’inclure des considérations écologiques superficielles… »

Je sais combien ces réflexions pourront paraître à certains « politiquement orientées ». Et combien notre tempérament national nous porte spontanément à transiger sur un entre deux très macronien de libéralisme économique mâtiné de préoccupations environnementales. L’urgence économique devant toujours prévaloir sur l’urgence écologique. Au nom du combat pour l’emploi dont pourtant nombre d’économistes plaident aujourd’hui qu’il serait sans doute mieux assuré à l’abri des folies du commerce international.

Dans ce soupçon d’arrières pensées politiques, figure bien sûr le pape François et son encyclique Laudato si’ où il nous rappelle qu’il « ne suffit pas d’inclure des considérations écologiques superficielles, pendant qu’on ne remet pas en cause la logique sous-jacente à la culturel actuelle » (n° 197) faite de gaspillage, d’exploitation et d’exclusion. Est-il à ce point insupportable aux catholiques de ce pays d’entendre le pape les appeler à une conversion qui ne soit pas que pieuse inclination de l’âme ? Est-il scandaleux et non-chrétien de plaider pour un mode de vie plus frugal où le développement de l’être prévale sur l’accumulation de l’avoir ? Alors que tel bien est au fond notre désir et l’intuition que nous portons d’un possible bonheur. 

La bonne santé de notre peuple et de sa jeunesse

On me dira que je suis loin des « gilets jaunes » et de leur revendication à accéder à un niveau de consommation dont ils s’estiment injustement sevrés, comme ailleurs des centaines de millions d’hommes et de femmes sur la planète. Nous sommes là au cœur de nos contradictions. Que nous ne dépasserons que par l’imagination, la solidarité et le partage. Ou nous en crèverons. J’ignore comment se terminera l’épisode « gilet jaune ». Mais je le sens symptomatique d’un mal profond qui touche à la dignité même de l’être et à l’avenir de notre communauté humaine.

Si, avec d’autres, je suis témoin de la montée de la précarité et d’une certaine désespérance qui aujourd’hui me rendent sensible le cri des gilets jaunes, j’observe tout autant – ici ou ailleurs – un foisonnement de créativité, un déploiement de courage, une capacité de résilience qui témoignent de la bonne santé de notre peuple et de sa jeunesse. Car le futur s’invente chaque jour, en monde rural comme à la périphérie de nos agglomérations urbaines. Notre classe politique, majorité et oppositions, sera-t-elle à la hauteur du défi  ?

René POUJOL

Journaliste Catholique

Lien à la Source

 

(1) La collapsologie est l’étude, pluridisciplinaire, de l’effondrement de la civilisation industrielle et de ce qui pourrait lui succéder. La parution récente du livre « Une autre fin du monde est possible » (Ed. du Seuil), vient de relancer l’intérêt pour cette discipline, contestée par certains courants écologistes.

 

(2) A cela on objecte à juste titre un principe du droit français qui est la non affectation des ressources fiscales. C’est-à-dire l’interdiction de prélever un impôt ou une taxe qui seraient automatiquement et exclusivement affectées à une dépense précise. Sauf que rien n’interdit au Parlement lors du débat budgétaire de voter une dépense affectée à la transition énergétique, calculée sur la base d’une estimation des rentrées fiscales sur les carburants. 

 

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