Mathilde Imberty dans l'avion papal le 31 mai 2019• Crédits : Radio France

Mathilde Imberty dans l'avion papal le 31 mai 2019• Crédits : Radio France

Récit | Radio France m’a chargée entre 2015 et 2019 de couvrir l’actualité du Vatican et du pape François. Sans prétendre à l’exhaustivité, voici un aperçu de quelques scènes et anecdotes pour raconter par petites touches ce dirigeant unique aux prises avec une Eglise en crise.

En mars 2013, Jorge Bergoglio se présente au balcon de la basilique Saint-Pierre et d’un simple "buonasera" salue la foule. Ce pape du bout du monde souhaite une Eglise pauvre pour les pauvres, moins centrée autour de Rome et des dérives du pouvoir, afin de faire de la place aux périphéries. En six ans de pontificat, les polémiques se sont accumulées, les affaires de mœurs, ou les scandales financiers. Dans le même temps, par ses prises de position sur les migrants ou les divorcés remariés, le pape s’est attiré les foudres de la frange la plus conservatrice du catholicisme et s’est constitué un groupe d’ennemis prêts à le faire remplacer. A 82 ans, il sait son temps compté. Pour Radio France, je l'ai suivi de 2015 à cet été.

Des "coups" médiatiques

Nous sommes le 16 avril 2016, sur le tarmac de l’aéroport de Lesbos en Grèce. Le pape a réalisé un aller-retour en l’espace d’une journée sur l’île grecque, au chevet des réfugiés bloqués dans le camp de Moria, sur leur route vers l’Europe. Le voyage a été programmé dans le plus grand secret, les journalistes accrédités auprès du Vatican n’en ont été informés que quelques jours avant. Le pape à Lesbos ? Pas question de ne pas faire partie du voyage. Passons les détails logistiques, les vacances scolaires à la trappe, etc. J’aurai qui plus est la chance d’être admise sur le pool très restreint (trois journalistes) qui accompagne le pape à l’intérieur du centre de réfugiés. Il y avait en soi matière à reportages… il y en  eut encore plus au retour car le pape François nous réservait une surprise. Du tarmac de l’aéroport de Lesbos, alors que nous allions embarquer, nous vîmes une file de personnes, dont des femmes voilées et des enfants, grimper à l’intérieur de l’avion papal…  Ahuris, nous nous dévisageons : "Il n’a pas fait ça !" Le pape avait décidé de ramener à Rome douze réfugiés syriens et de les accueillir au Vatican. L’opération a été montée, nous l’apprendrons ensuite, par la Communité de Sant’Egidio, classiquement qualifiée de "diplomatie parallèle" du Vatican, avec l’aval du ministère de l'lntérieur italien (à l’époque l’Italie est gouvernée par le Parti Démocrate, héritier d’une démocratie chrétienne, très en lien avec l’Eglise). J’ai tout juste le temps d’enregistrer un papier à l’arrière de l’avion décrivant cette situation invraisemblable. L’avion décolle et nous nous retrouvons face au pape… Je sais, nous savons que son geste va faire la Une de la presse. Pour l’instant, aucun réseau ne passe et il est seul face à nous, la soixantaine de journalistes du monde  entier accrédités sur ce vol. Il fait défiler les dessins des enfants rescapés de la noyade ("c’est à pleurer") et reprend cette phrase de Mère Teresa : "Ce geste est une petite goutte dans l’océan, mais après cela, l’océan ne sera plus tout à fait le même." Il faut se rappeler qu’en 2016 la crise migratoire est à son comble, l’Italie sauve des vies en Méditerranée, accueille cette année-là jusqu’à 180 000 personnes sur ses côtes et l’Europe balbutie sur les solutions à apporter… Le pape François vient de frapper un grand coup médiatique. 

Le coup médiatique de Lesbos est la séquence d’ouverture de "François, le diplo-Pape". Magazine 'Interception' diffusé sur France Inter le 25 février 2018

 

Un temps compté

Avec le pape François, les choses se déroulent rarement comme prévu. Il jette les textes qu’on lui a préparés et qui l’ennuient. Comme en ce dernier jour des Journées Mondiales de la Jeunesse à Cracovie en  2016 : "Je devais vous lire ça" – il montre une photocopie à la foule des jeunes – "Je ne vais pas le faire, je vais plutôt vous parler." Et nous voilà partis pour de longues minutes de dialogue que le pape ponctue de blagues et de clins d’œil. Il harangue la foule des jeunes : "Plus fort, je ne vous entends pas !" Chercher du réseau wifi, brancher le micro, réécrire le reportage en toute hâte, courir au check-in... Le rythme des voyages apostoliques est très soutenu, le pape François veut faire le tour du monde, témoigner de l'évangile (c’est son rôle premier), rencontrer les petites Eglises (Afrique, Asie, Europe Orientale, Scandinavie), sans quitter Rome trop longtemps. 

Alors, sur place, il enchaîne célébrations, rendez-vous officiels, visites de prison ou de centres d’accueil pour personnes défavorisées, bains de foule… faisant fi des décalages horaires et des kilomètres à avaler. A titre d’illustration, nous prendrons dix vols en une semaine de voyage officiel au Chili et au Pérou (janvier 2018), traversant la chaleur du désert d'Atacama, la moiteur d’Amazonie, les altitudes de la Cordillère des Andes. 

Le temps de François est compté. Il évoque malicieusement la démission du pape Benoît XVI et fait planer le doute sur ses intentions. Le précédent créé par le pontife allemand laisse toutes les hypothèses ouvertes. Cependant, à ce jour, il semble bien plus probable que le pape François poursuive à cette cadence effrénée, sans se ménager. Une amie vaticaniste de longue date, ayant suivi Jean-Paul II, Benoît XVI et François me donne cette image : "Tu vois la  machine à laver en fin de cycle ? Elle tourne à toute vitesse à toute vitesse, elle donne toute son énergie, et puis seulement après elle s’arrête…"

François s’active face à une opposition prête à montrer les dents. L’Eglise catholique américaine, en particulier, dont la frange traditionaliste ne l’épargne pas. A ce titre, en août 2018, la lettre de l’ultra - conservateur Carlo Maria Viganò secoue le Vatican. Elle nous parvient alors que nous sommes en Irlande avec le pape, visite délicate dans un pays traumatisé par les scandales sexuels et qui se détourne de l’église. L’archevêque italien, ancien nonce aux Etats-Unis, accuse le pape de fermer les yeux face à certains signalements et préconise d’éradiquer les réseaux homosexuels jusqu’au sommet de l’institution. Il est rejoint sur ce thème par les cardinaux traditionalistes Brandmüller allemand, et Burke, l’Américain qui déjà sur le thème de la famille mène une fronde contre le pape François l’accusant de brader les enseignements de l’Eglise. L’ouverture de la communion aux divorcés-remariés, au cas et par cas, crispe au plus haut point ces prélats intransigeants, qui rêveraient de voir le pape François démissionner.

 

Une communication plus ou moins maîtrisée

A vouloir faire vite et répondre sans filtre aux questions des journalistes, le pape François brouille parfois son message. A propos des orientations sexuelles, il déclare au cours du vol retour d’Irlande : "Quand cela se manifeste dès l'enfance, il y a beaucoup de choses à faire par la psychiatrie, pour voir comment sont les choses." La psychiatrie associée à l’homosexualité, nos matinales radio ouvrent sur cette déclaration. La salle de presse s’empresse de se lancer  dans un rétropédalage. Elle retranscrit l’interview du pape sur les médias officiels, en réécrivant le passage controversé. Le pape n’associait pas l’homosexualité à une maladie, tente de déminer son entourage. Le mal est fait, les réactions en France, en particulier, sont outrées. 

Le pape François ne consulte pas toujours ses équipes avant de se tourner vers les journalistes. Il peut accorder des interviews sans en informer son équipe de communication. Il favorise le contact direct; charge à ses équipes de décrypter ensuite.
Des équipes très sollicitées qui ont connu un grand turn-over ces derniers temps. En quatre ans de mandat, j’ai travaillé avec trois directeurs de la salle de presse, et deux Préfets du Dicastère de la Communication, une structure unique souhaitée par le pape François pour optimiser l’offre éditoriale et les différents supports médiatiques officiels. 

A l’heure où je quitte Rome, la salle de presse est dirigée par Matteo Bruni, un laïc de 42 ans, proche de la Communauté de Sant’Egidio, et fidèle de la ligne François.

Un pontificat assombri par les affaires de pédophilie

La bombe explose au Chili. M’exfiltrant du cortège papal à Santiago, je passe du temps avec les victimes de prêtres pédophiles, le Britannique Peter Saunders, les Chiliens Juan Carlos Cruz et Jose Murillo. Ils sont en train de s’organiser en réseau, baptisé Ending Clergy Abuse, pour faire porter leur voix au Vatican. Ils ont expérimenté chacun dans leur coin le mépris de la hiérarchie de l’Eglise, les portes qui se claquent, les déplacements de prêtres de diocèse en diocèse pour faire taire le scandale. 

Au Chili, en l’occurrence, le pape commet une erreur, qu’il va reconnaître ensuite. Il défend l’évêque Monseigneur Barros pourtant accusé d’avoir couvert les agissements du prédateur Karadima. Il le défend sur place quand les journalistes locaux l’interrogent mais aussi dans le vol retour, lors de la traditionnelle conférence de presse.

La contestation monte face à ce manque évident de clairvoyance. De retour à Rome, le pape décide de revoir sa copie et dépêche sur place le cardinal maltais Mgr Scicluna, l’un de ses proches, pour une enquête  approfondie. Ce dernier reviendra du Chili avec un dossier accablant. Le pape en tire les conséquences, convoque à Rome les évêques du pays et obtiendra la démission de plusieurs d’entre eux. L’Eglise tangue sous le poids des révélations. Le pape convoque pour février 2019 un Sommet extraordinaire sur la question. Je recueille à cette occasion les témoignages de religieux et de laïcs d’Afrique en particulier ; l’abus de pouvoir est généralisé dans certaines régions de la part du clergé, et les affaires sur ce continent ne sortent pas encore. De ce Sommet va naître un motu proprio qui renforce les normes en vigueur, acte la fin de l’immunité des évêques, l’obligation de signaler les agressions sexuelles. Reste à savoir comment ce droit canon revisité sera appliqué sur le terrain, dans une Eglise universelle, guidée par le pape François. Lui joue en partie la crédibilité de son pontificat sur la gestion des abus.

 

Le pape François en France ? « Speriamo »

En France, c’est l’affaire Preynat qui symbolise les manquements de l’Eglise et la démission ou non du cardinal Barbarin va animer mes derniers mois d’antenne romaine. Six mois de prison avec sursis ont été prononcés à son encontre le 7 mars 2018 pour avoir choisi de protéger l’institution plutôt que de dénoncer le père Preynat. Le cardinal lyonnais, suite à cette première condamnation, est venu présenter sa démission au pape, qui l’a refusée car il préfère attendre la fin du parcours judiciaire (le procès en appel devrait se dérouler en novembre 2019 à Lyon). Le pape François a-t-il bien pris la mesure de la portée de l’affaire en France, du malaise ressenti au sein du diocèse de Lyon ? En France, sa position n’est pas comprise de tous. 

Cet été, le pape devait aussi trouver une solution au cas Ventura, le nonce Luigi Ventura, l’ambassadeur du Saint-Siège en France, soupçonné d’attouchements sexuels par de jeunes hommes. Le Vatican a levé son immunité diplomatique début juillet, ouvrant la voie à un procès en France.  

De mon côté, avant de repartir en France, j’ai fait mes adieux au pape François. L’occasion s’est présentée pendant le vol qui nous transportait en Roumanie fin mai, mon 21e et dernier voyage apostolique à ses côtés en tant que correspondante de Radio France. Nous échangeons quelques mots, il se montre très avenant et souriant. J’en profite pour lui demander s’il a l’intention de venir en France. "Speriamo", me répond le Pape. "Espérons". Une réponse polie, sans engagement. 

Le voyage en France ne fait pas partie de ses projets à court ou moyen terme. Sa priorité reste les périphéries. En septembre, il se rendra au Mozambique et à Madagascar. En novembre, au Japon. 

Je le suivrai, mais de plus loin. 

 

Avec la collaboration d'Éric Chaverou 

Mathilde Imberty

 

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