Appel à l'aide de Serge Baqué prêtre de la Mission de France en Guyane

Prêtre de la Communauté Mission de France, Serge Baqué, psychologue, vit à Saint-Laurent du Maroni (Guyane). Après six ans au service de l’Aide sociale à l’enfance, il œuvre depuis trois ans en milieu scolaire. L’essentiel de son ministère s’exerce en lien étroit avec les populations amérindiennes et bushinenguées.

Il nous alerte sur l’épidémie de COVID-19 en Guyane :

« La France (réduite à sa dimension égoïstement hexagonale) a "retrouvé les jours heureux" selon les mots de son Président, lors de sa dernière allocution. En Guyane, nous nous en réjouissons, après avoir été pendant près de 2 mois saturés d'informations sur la crise sanitaire que vous traversiez ... et qui ne touchait pas notre département. En effet, bien que confinés à la même date que la métropole, la circulation du virus était quasi inexistante sur notre territoire durant toute cette période.  Aujourd'hui, la situation s'est inversée : l'essentiel de la crise est derrière vous en métropole mais en Guyane l'épidémie a pris des proportions dramatiques ("hors de contrôle" avouent certains responsables). Elle est arrivée d'abord par l'Est, là où nous avons une frontière-passoire-passerelle avec l'un des pays les plus touchés au monde actuellement, c'est à dire le Brésil.  Elle est remontée vers Cayenne puis a gagné l'Ouest où la frontière tout aussi poreuse avec le Surinam est source aussi de gros problèmes. Aujourd'hui, le virus est présent dans toutes les communautés du fleuve, y compris en pays amérindien. Depuis une semaine, le nombre de cas déclarés positifs s’accroit tous les jours (230 nouveaux cas sur 500 tests réalisés pour une population de 300 000 habitants. Le nombre de décès en milieu hospitalier est passé de 1 à 15 en une 2 semaine et les admissions en réanimation suivent la même courbe. )

 Et le pic n'est attendu que pour la mi-juillet.

A ces éléments purement épidémiologiques s’ajoutent plusieurs paramètres aggravant en Guyane :

-La grande précarité d’une partie de la population qui ne peut respecter les gestes barrières du fait de ses conditions de vie. L’espace public ici est le prolongement naturel de l’habitat qui ne comprend souvent qu’une seule pièce, surpeuplée et très sommairement équipée. Les femmes et les enfants se retrouvent autour des bornes d’eau pour remplir les bidons, faire la vaisselle et la lessive. Les hommes et les jeunes se retrouvent autour des débits de boissons pour faire une autre sorte de plein !  (il faut bien s’occuper depuis que les patinoires, les théâtres, les cinémas et  les musées  ne sont plus accessibles !). D’autre part, la plupart des familles vivent de l’économie informelle :  tu manges ce que tu as gagné dans la journée. Entre la faim bien palpable et la peur d’un virus invisible et parfois dénié, le choix est vite fait ! Beaucoup de jeunes ados de mon quartier, livrés à eux-mêmes depuis la fermeture des écoles et conscients des difficultés de leurs parents, se sont engagés dans toute sorte de trafic. Il sera très difficile de leur faire reprendre le chemin du collège. C’est un terrible gâchis. Dans ces quartiers, les conséquences économiques et sociales sont déjà considérables et l’arrivée du rouleau compresseur de l’épidémie risque d’être fatal.

-La très grande dispersion de la population, en particulier le long du fleuve Maroni, avec des villages difficiles d’accès (plusieurs jours de pirogue – et pas faciles à médicaliser, les pirogues amérindiennes !-  avant le premier hôpital).Et  la Guyane ne dispose que de deux hélicoptères (deux autres  nous ont été promis mais cela fait encore très peu et il ne s’agit que de promesses … ) . Le petit reste d’amérindiens qui a survécu (entre autres) aux virus de la grippe, de la rougeole et de la variole importés par les colonisateurs au 19ième siècle, va-t-il succomber au Covid 19 au 21éme siècle ?  Triste ironie de l’histoire …

-Et enfin, dernier handicap, « le retard structurel de la Guyane en matière d’offre sanitaire » pour parler comme les politiques. Pour exemple, l’hôpital de Saint Laurent du Maroni, seule offre hospitalière pour l’Ouest (plus de 93 000 habitants) dispose actuellement de seulement 10 lits Covid et de 5 lits de réanimation. Aucun lit de réanimation à Kourou (le personnel soignant menace d’ailleurs de se mettre en grève) et 15 lits à Cayenne que la ministre a promis de doubler : mais deux fois presque rien ne font toujours pas grand-chose ! Avec la flambée du nombre de malades, les hôpitaux sont déjà saturés et il a fallu avoir recours à des transferts sanitaires de malades Covid graves aux Antilles et en métropole (la porte à côté, quoi !)  Je ne vous dis rien du manque en masques, tests, réactifs, respirateurs et surtout du manque de personnel … vous connaissez la musique !  C’est une musique sur laquelle les autorités essayent de nous faire danser une deuxième fois ! C’est Coluche qui disait déjà à propos de l’administration « Dites-nous ce dont vous avez besoin, on vous dira comment vous en passer ! ». 

Actuellement, certains services publics sont au bord de la rupture du fait de la contamination massive de leur personnel : en particulier la poste, la prison, EDF . Beaucoup de difficultés aussi dans l’approvisionnement ( par exemple, trouver une bouteille de gaz est devenu plus difficile que de trouver une paire de skis à Saint Laurent, une ville qui n’a jamais été pourtant un haut lieu de sport d’hiver ! Je n’en ai plus moi-même depuis 15 jours.) Le risque d’une implosion de la société guyanaise n’est donc pas à exclure. Une déchirure profonde de notre  tissu républicain  non plus. Et je pense aussi à Mayotte où la situation est assez proche de celle de la Guyane et tout aussi passée sous silence…

Je crains très fort que  les plus fragiles en Guyane (et ils sont une majorité) ne soient traités un peu comme on a traité les résidents de nos EHPAD au début de l’épidémie : « Isolons les,  laissons les entre eux mijoter dans leur jus (de coronavirus) , Dieu reconnaîtra les siens « 

Mais alors, c’est nous  que Dieu ne reconnaîtra pas !

Dans mon  quartier de la Charbonière, un quartier très populaire de Saint Laurent du Maroni,  beaucoup d’enfants et d’adolescents participent à la (sur)vie matérielle de leur famille. Ils sont nombreux  à stationner au port piroguier ou à sillonner les rues du quartier avec leur brouette en proposant  toutes sortes de services : transport de marchandises, de bidons d’essence, de moteur de pirogue ou bien vente au porte à porte de galettes, de bananpeze , de pastèques ou de wassaï..

 Avec le confinement, beaucoup de familles  ont vu diminuer leurs revenus et les enfants, qui n’ont plus la contrainte de l’école,  sont encore plus sollicités.  Bien que particulièrement exposés (contacts avec un grand nombre de personnes, manipulation de marchandises et d’argent) ils sont le plus souvent sans masques et n’ont pas de gel hydroalcoolique.  Or les enfants et adolescents sont sévèrement touchés par le Covid  en Guyane , c’est une autre particularité de ce pays ! (la majorité des patients en réanimation a entre 15 et 44 ans et plusieurs enfants de moins de 10 ans sont hospitalisés pour des formes graves. ) Et même asymptomatiques, ils participent à la propagation du virus et risquent de contaminer leurs proches, de retour chez eux.  

            J’ai commencé à fournir des masques et du gel hydroalcoolique aux » enfants de la brouette » que je connais le mieux et dont je connais la famille mais mes finances ne sont pas inépuisables et elles ont déjà été pas mal mises à contribution depuis le début du confinement...

            Plusieurs d’entre vous m’ont demandé ce qu’ils pouvaient faire pour aider la Guyane dans la crise qu’elle traverse.  Certes, nous avons besoin de soignants supplémentaires (300 selon la déclaration de la Ministre des outre mers) mais les remèdes à cette crise sanitaire ne sont pas d’abord médicales mais sociales, économiques et culturelles puisque l’épidémie dépend avant tout de nos comportements.   Je propose donc à ceux qui le peuvent et qui le veulent de soutenir une initiative modeste mais signifiante de prévention : équiper en masques et gel hydroalcoolique 20 enfants et adolescents du quartier « faisant la brouette » sur une période de 2 mois (le pic de l’épidémie est attendu pour fin juillet). Le coût par enfant et par semaine peut-être évalué à environ 8 (huit)  Euros. Si mon comptable est fiable, le cout total de l’opération s’élèverait donc à 1280 Euros.     J’ai bien sûr commencé par  démarcher  la préfecture, le Centre Hospitalier Guyanais, le Centre Communal d’Action Sociale de Saint Laurent, la Mairie et la Croix Rouge pour obtenir des masques  et du gel hydroalcoolique … mais il est clair que nous ne pourrons compter que sur nous-mêmes pour nous  protéger dans ce quartier …

            La contribution maximum par donateur est fixée à 20 (vingt euros) : il est préférable de récolter un grand nombre de petits dons que de peser sur le budget de quelques généreux donateurs, souvent sursollicités.   Il eut été préférable de constituer une association pour récolter et gérer ces dons. Mais cela prendrait du temps (Pour l’Association Frei-Buku-bibliothèque de rue dont je suis le président fondateur, nous avons dû attendre plus d’un an avant de pouvoir ouvrir un compte : la Guyane n’est pas un pays trépident ! Mais l’épidémie, elle, est galopante. ) Aussi, à défaut, je vous propose un virement sur mon compte personnel dont le RIB est un document joint ci-dessous

            Vous serez bien sûr informés de l’utilisation précise de vos dons : je compterai pour vous autant que je compte sur vous.

En vous remerciant chaleureusement pour eux.  

Très amicalement »

Serge Baqué

Le 3 juillet 2020 à  Saint Laurent du Maroni

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