Qui est Olivier LEBORGNE Évêque d'Arras ?
17 déc. 2023Mgr Olivier Leborgne, évêque d’Arras, dans les jardins de la maison diocésaine, à Arras. David Pauwels
Olivier Leborgne, évêque d'Arras : « Est-ce qu’il est possible de sauver l’amour ? »
Évêque d’Arras, monseigneur Olivier Leborgne est mû par une foi qui n’exclut personne. Attentif au
sort des exilés et des plus démunis, il saisit chaque occasion pour délivrer un message d’inclusion et
d’apaisement. C’est dans cet esprit qu’il a présidé, en octobre, les obsèques de Dominique Bernard.
Né à Nantes il y a soixante ans, Olivier Leborgne a grandi dans les Yvelines, entre Vaux-sur-Seine,
Meulan et Les Mureaux. Ce fils d’un père cadre dans l’informatique et d’une mère au foyer en charge
de cinq enfants se décrit comme un « pur produit de l’école républicaine ». Marqué par des années de
scoutisme, il finit par entrer au séminaire après avoir terminé ses études secondaires et intégré une
école de commerce à Rouen. Ordonné prêtre en 1991 pour le diocèse de Versailles, dont il devient
vicaire général en 2004, il ne quitte la région qu’en 2014, lorsqu’il est nommé évêque d’Amiens par le
pape François. Six ans plus tard, monseigneur Leborgne prend ses fonctions à Arras. Il ne tarde pas à
aller à la rencontre des exilés de Calais et célèbre une messe de Noël avec quelques-uns d’entre eux
l’année qui suit son installation. Dans son ouvrage Prière pour les temps présents (Seuil, 2022), il est
revenu sur les enseignements des rencontres faites à Calais et livrait une vision humaniste du monde,
portée par sa foi.
Quelles sont les racines de votre engagement ?
Mes parents se sont profondément aimés, ce qui est une des grandes chances de ma vie. Mon père,
Jean-Noël, était amoureux de Dieu comme il était amoureux de sa femme Françoise, sans les
confondre, ni qu’aucun ne fasse d’ombre à l’autre. Au collège et au lycée, j’ai vécu des relations de
profonde camaraderie avec des élèves chrétiens comme non chrétiens et j’ai passé douze années
merveilleuses avec les scouts à Aubergenville, dont beaucoup étaient originaires de familles ouvrières.
En début de première, à l’aube de mes 16 ans, un camarade m’a invité à un week-end de trois jours à
l’abbaye Notre-Dame de la Trappe à Soligny, où une vingtaine de jeunes de toute l’Île-de-France
étaient invités à réfléchir à l’engagement sacerdotal. J’y suis allé pour lui faire plaisir, convaincu que
je ne serais jamais prêtre. Or, ce 1er novembre 1979, j’y ai vécu une expérience mystique, une
rencontre directe avec Dieu qui m’a transformé et me porte encore aujourd’hui.
Seulement, à l’époque, je ne pensais pas être destiné à la prêtrise. Je ne me voyais absolument pas
célibataire et je suis même tombé amoureux l’année suivante. Autre choc, durant mon année de
terminale : j’ai été confronté à une idéologie radicale qui me paraissait opposée à l’Évangile. Ma
première réaction a été le rejet en bloc d’une institution qui tolérait cela en son sein et parfois s’y
confondait. Mais j’ai vite compris que je ne devais pas aimer les gens tels que je les rêvais mais tels
qu’ils étaient. Cela a été un moment fort dans ma vie, quand j’ai appris à accueillir le réel. J’ai donc
choisi l’Église en connaissance de cause.
Dès votre arrivée au diocèse d’Arras, vous avez souhaité vous rendre à la rencontre des exilés bloqués
à Calais en attendant de rejoindre l’Angleterre…
J’avais de longue date une sensibilité à la question des migrations car mon père a tout le temps amené
des gens d’ailleurs à la maison. Je me souviens d’un Africain qui, ne sachant où dormir, a passé une
dizaine de jours chez nous, cette rencontre a façonné l’adolescent que j’étais. Juste après ma
nomination à Arras, en novembre 2020, j’ai pu, grâce à un prêtre d’Hénin-Beaumont qui est très en
lien avec le Secours catholique sur place, me rendre à Calais. Cela a été pour moi l’occasion
d’échanger avec des personnes migrantes, dont les visages ont été un appel vers notre humanité
commune.
Cela m’a ouvert sur des problématiques que je ne soupçonnais pas, tant sur la question migratoire que
sur celle de la dignité humaine. Et cela m’a fait réfléchir au sens politique de l’Évangile. « Aimez-vous
les uns les autres », cela engage, politiquement. Il ne s’agit pas là d’amour gazeux ou romantique,
mais d’être capable d’engager sa liberté pour le bien de l’autre. Et je pense qu’on ne peut regarder la
situation de ces personnes en détournant le regard des causes de leur venue en Europe.
Je cite souvent la phrase de Dom Hélder Câmara, l’ancien archevêque brésilien de Recife : « Quand je
m’occupe des pauvres, on me traite de saint ; quand je demande pourquoi ils sont pauvres, on me
traite de communiste. » M’engager à Calais est devenu pour moi essentiel, même si je savais bien que
je risquais de me prendre des coups. Mais être aux côtés des migrants s’est imposé comme le seul
réalisme possible en cohérence avec ma foi. La mort et la violence n’auront jamais le dernier mot.
Donnez-vous un sens politique à cela ?
La politique au sens du service de la cité est « la plus haute forme de la charité ». Certes, le mot
charité est aujourd’hui connoté négativement, mais moi, je l’aime bien car il vient du latin caritas, qui
lui-même traduit le grec agapè, et prend ensuite le sens de « don » : l’agapè, dans le Nouveau
Testament, désigne l’amour de Dieu pour l’homme invité à se déployer dans l’amour fraternel entre
les hommes, et constitue une exhortation à aimer son prochain jusqu’à son ennemi. Je trouve d’ailleurs
que le mot « amour » est lui aussi très galvaudé. Pour ma part, quand j’en parle il ne s’agit pas de
sentimentalisme, mais d’un engagement de sa liberté pour le bien de tous. Je n’ai rien contre les
sentiments qui sont parfois de bons indicateurs, mais on ne peut pas s’y limiter, car la peur, par
exemple, peut, en l’absence d’analyse et de réflexion, conduire à des catastrophes. L’amour au sens de
l’Évangile, c’est la plus haute possibilité de servir le bien commun, celui de la société.
Eugénie Barbezat (L’Humanité, 15 décembre 2023)