Chaque vendredi depuis deux ans, Gilles Rousselet sillonne la paroisse Saint-Jean-en-Limousin, accompagné de quelques fidèles, à la rencontre des habitants. • VALÉRIE TEPPE/HANS LUCAS POUR LA VIE

Chaque vendredi depuis deux ans, Gilles Rousselet sillonne la paroisse Saint-Jean-en-Limousin, accompagné de quelques fidèles, à la rencontre des habitants. • VALÉRIE TEPPE/HANS LUCAS POUR LA VIE

Le père Gilles Rousselet organise des tournées hebdomadaires en camping-car à travers sa vaste paroisse de paroisse Saint-Jean-en-Limousin pour recréer du lien entre l’Église et une population qui en est particulièrement éloignée. Une réponse à l’appel du pape François d’aller aux périphéries.
Personne ne se souvient vraiment de la dernière fois que les cloches ont sonné à Bosmoreau-les-Mines. Dans ce petit village de l’ouest de la Creuse, la façade en pierre de l’église de la Décollation-de-Saint-Jean-Baptiste est ornée de fleurs grimpantes. Le père Gilles Rousselet, large sourire, sort de l'édifice et vient à notre rencontre en lançant : « Et voilà ! Je vous présente la bête ! » Il pointe le camping-car Fiat des années 1990 stationné devant.

On imagine à l’allure du véhicule les dizaines de milliers de kilomètres avalés sur les routes. Il n’empêche que l’engin a encore du tonus pour assurer une virée hebdomadaire dans les environs. « Celui que nous appelons le “camping-cœur” est le cadeau de mes précédents paroissiens du Loiret. Je voulais quelque chose qui se remarque. »
« Je crois en une Église qui renaît »
Le prêtre n’a pas débarqué dans le département qu’avec son super bolide, il y a deux ans. « En choisissant un diocèse tel que celui-ci, que je qualifie de pauvre tant ce territoire est presque déchristianisé, j’avais une idée en tête. Celle d’aller à la périphérie, comme le pape François nous y invite. Je ne crois pas en une Église morte, mais en une Église qui renaît, et pour cela, il faut aller au-devant de la population. Attendre qu’elle vienne à la messe ne suffit plus. »
Alors, chaque vendredi, le curé accompagné de quelques fidèles sillonne une partie des 27 communes de sa paroisse Saint-Jean-en-Limousin – 9000 habitants seulement. Après un temps de prière, commence le porte-à-porte.
« Parfois, un bout de rue nous prend un après-midi. On vit des moments cocasses », s’amuse Marie-Anne, 55 ans, assistante pastorale habituée à l’exercice. À Bosmoreau, de nombreuses maisons conservent leurs volets clos. « Nous sommes à peine 200 habitants à l’année… Un peu plus, si l’on compte les vaches », plaisante le maire Daniel Boueyre, occupé à traiter des factures d’eau lorsque le groupe vient le saluer.
La plupart des résidents sont des retraités isolés. Ceux-là se disent « sauvages » mais ouvrent facilement leur porte à six inconnus pour discuter. « Je ne m’attendais pas à voir autant de monde aujourd’hui », s’étonne Keloc, en leur proposant de se mettre à l’abri de la pluie. Deux règles encadrent les rencontres : ne pas refuser d’entrer si l’on y est invité et ne pas limiter le temps de l’échange.

« Dieu, la foi ? Pas pour moi »
La visite dure une demi-heure chez ce Breton d’origine, tandis que le feuilleton télé continue de tourner en fond. Celui-ci veut bien causer mais surtout pas de la foi, ni de Dieu. « Je n’ai rien contre mais je n’y crois pas. Ce n’est pas pour moi », balaie-t-il de la main, préférant parler de sa petite-fille qu’il voit peu ou de sa chienne qui grogne à ses pieds.
Les conversations tournent principalement autour de la vie du village, des soucis de santé, des souvenirs de jeunesse et lorsqu’il est question de religion, les non-croyants évoquent d’abord les guerres ou les scandales dans l’Église. « Certaines paroles sont dures à entendre. Parfois, on ne se sent pas compris et on aurait envie de leur dire que ce n’est pas que ça. On écoute leur histoire et on essaie de leur faire comprendre que l’on se soucie d’eux », indique la paroissienne Béata.

« Revenez quand vous voulez ! »
La première fois, certains habitants laissent carillonner la sonnette jusqu’à ce que les visiteurs passent leur chemin. Ils se laissent apprivoiser au fil des rencontres, et les membres du “camping-cœur” finissent par être conviés à prendre le thé. « Qu’est-ce que vous faites ? Vous vous promenez ? », les interpelle Hervé dans son tee-shirt maître Yoda, en les voyant passer devant sa clôture.
Cet employé d’hôpital leur raconte comment la quête de tranquillité l’a conduit dans ce coin de campagne. « Revenez quand vous voulez ! », conclut-il, conseillant d’aller voir chez sa voisine Zara. L’Écossaise de 69 ans préside la Women’s International Motorcycle Association (WIMA, « Association internationale des femmes qui roulent à moto »). Dans un anglais hésitant, le père Gilles demande à essayer son imposant deux-roues, moment que les paroissiens capturent avec leur smartphone.
« Ce sont des rencontres humaines qui nous nourrissent profondément. Quand on repasse par hasard devant leur maison, on pense à eux. On se dit “Tiens, c’est allumé, Suzanne doit être chez elle” », relate Marie-Anne, qui tient le livre d’or des sorties. Elle note méticuleusement les prénoms de toutes les personnes croisées pour qui le groupe priera en fin de journée durant la messe.
Sur la page du 4 mai 2023 : « Pour Julie qui rentrait des urgences », « Bobie, ancienne du squat, qui a retrouvé du travail » ou encore « Hugues, touché par un cancer de la gorge ». En novembre 2021, Christian est le premier paroissien à avoir suivi le prêtre dans cette aventure. « Au début, j’étais réticent parce que j’avais peur que ça fasse un peu sectaire. Maintenant, les gens nous repèrent quand on arrive, et nous, on ne se voit plus faire sans cette mission », témoigne le retraité de 67 ans.

« Retrouver de l'enthousiasme »
Gilles Rousselet a longtemps eu « des fourmis dans les jambes ». Né aux États-Unis, il a souvent déménagé pour suivre son père, militaire, et a fait de grands voyages avec les scouts. « Avant ma vocation, j’ai été éducateur pour toxicomanes pendant plusieurs années. Grâce à cela, j’ai été confronté à deux réalités : la quête de sens et la dignité humaine, auxquelles Dieu pouvait être la réponse. Ce fut une expérience fondatrice pour moi. J’ai été ordonné prêtre sur le tard, à l’âge de 33 ans », détaille celui qui a choisi de rejoindre la congrégation de Jésus et Marie il y a 30 ans cette année.
À 60 ans, après avoir été curé à Paris, Orléans, dans la Nièvre ou encore en Bretagne, l’ecclésiastique a été nommé directeur du centre spirituel Notre-Dame-du-Moulin en Creuse – qui reste sa mission principale dans le département.
« J’avais envie d’autre chose avec, parallèlement, ce projet de “camping-cœur” pour la paroisse de Bourganeuf qui n’avait plus de curé résident depuis deux ans. Consacrer une demi-journée par semaine à aller à la rencontre des personnes et notamment des laïcs, je n’aurais pas pu le faire ailleurs. J’avais la trouille au départ, mais cette expérience me transforme et fait grandir en moi de l'enthousiasme… Même si l’on ne sait pas encore quelle sera la fécondité de cette aventure, puisqu’il faut du temps pour faire pousser des graines. » Lui se voit bien rester un moment ici et s’enraciner, maintenant que les fourmis se sont calmées.

Qui sont les eudistes ?
Les prêtres de la congrégation de Jésus et Marie, appelés eudistes, sont fidèles au charisme de saint Jean Eudes (1601-1680) qui vise à « former des bons ouvriers de l’Évangile et des disciples-missionnaires ». Présents dans huit communautés en France, ils sont accompagnés par des laïcs dans toutes leurs missions apostoliques.

Lisa Douard

Lavie.fr

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