Une visite très Lourdes de sens

"Notre Eglise n’est pas une grande malade, elle est même assez sérieusement vivante." Alors que Benoît XVI arrive ce matin à Paris pour une visite de trois jours en France, le cardinal André Vingt-Trois veut y croire. Certes, «l’Eglise a des difficultés qui sont assez visibles pour tout le monde». Mais certains indicateurs le rendent optimiste. Comme la réunion, en novembre 2007 de «plus de 7 000 catéchistes», à Lourdes ou la participation en juillet 2008 de «5 000 Français» aux Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) de Sydney. Ainsi, la célèbre apostrophe de Jean Paul II à la foule réunie, en juin 1980, au Bourget (Seine-Saint-Denis), lors de sa première visite en tant que pape : «France, fille aînée de l’Eglise, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ?», ne serait plus d’actualité ? Certes, elle n’est pas dans le style du nouveau pape. «Je n’imagine pas Benoît XVI venant en visite apostolique dans un pays, retroussant ses manches, et disant: "Je vais remettre les pendules à l’heure"», affirme André Vingt-Trois. Sur le fond, le cardinal retient surtout les indices positifs. Comme l’augmentation de 55 % du nombre de pèlerins à Lourdes par rapport à 2007.


Sanctuaires.
Ce chiffre ne contredit pas la tendance globale d’un affaiblissement du catholicisme français. Le nombre des séminaristes, comme celui des baptêmes et des mariages religieux, continue de s’effriter. Mais, si les églises se vident, pèlerinages, retraites spirituelles et sanctuaires connaissent un certain succès. Selon l’association des recteurs de sanctuaires, le nombre des visiteurs est passé, pour la France, de 40 millions en 2005 à plus de 45 millions en 2007, dont «une large majorité de Français».


Dans un ouvrage sur Lourdes (1), Michel Cool et Bernadette Sauvaget s’interrogent : «Au-delà de l’histoire et du religieux, la cité mariale et son pèlerinage constituent des phénomènes de société […]. Pourquoi donc, à l’orée du troisième millénaire, 6 millions de personnes [dont 3 millions de Français, ndlr] viennent-elles, chaque année, à Lourdes ? Qu’y vivent-elles ? Qu’y cherchent-elles ?» Réponse la plus évidente : une présence religieuse. «Dans les diocèses ruraux comme le mien, la diminution du nombre de prêtres fait qu’il y a moins de célébrations dans les églises, confirme Jean-Michel di Falco, évêque de Gap. A contrario, les fidèles savent que dans les sanctuaires, il y aura toujours quelqu’un pour les accueillir.» Depuis quelques années, l’église y renforce donc sa présence. C’est ainsi qu’en 2005, un jeune prêtre, Ronan de Gouvello, a été nommé curé de Rocamadour. Objectif : rappeler aux 900 000 visiteurs les racines spirituelles de ce haut lieu de la chrétienté au Moyen Age.

L’attrait de Lourdes sur les fidèles a d’autres explications. Pour Bernadette Sauvaget et Michel Cool, l’image «démodée et surannée» de ce pèlerinage est largement dépassée. «Ce qui se passe dans la cité mariale est bel et bien de plain-pied avec la modernité religieuse», affirment-ils. La place du corps souffrant y est particulièrement importante. L’individualisation des pratiques et des croyances y est partout manifeste. Enfin, «à Lourdes, se vit déjà une préfiguration de la globalisation du religieux, voire, ce qui ne manque pas d’inquiéter quelques responsables catholiques, une sorte de melting-pot spirituel et de syncrétisme». Des musulmans viennent y prier, et aussi des hindous, de plus en plus nombreux.

«Laïcité positive». Malgré ces réticences, l’Eglise s’est fait une raison. Elle va à la rencontre des fidèles là où ils se trouvent. Jean-Michel di Falco soutient ainsi le procès en béatification de Benoîte Rencurel, bergère à qui la Vierge est apparue en 1664. Un sanctuaire lui a été élevé, Notre Dame de Laus, qui attire bon an mal an 230 000 visiteurs. Le 4 mai, Jean-Michel di Falco a reconnu «le caractère surnaturel» de ces apparitions, étape obligatoire de la béatification. Y croit-il lui-même ? En tout cas, «ces apparitions n’ont pas de caractère dogmatique, prévient-il. Nous, on dit "on pense qu’il s’est passé ici des événements surnaturels", mais on accepte que des gens puissent dire : "je n’y crois pas", cela ne met pas en cause leur croyance en Dieu».

Logiquement, Benoît XVI consacrera à Lourdes, où l’on célèbre les 150 ans des apparitions de la Vierge à Bernadette Soubirous, l’essentiel de sa visite. Les autres temps forts seront sa rencontre, ce midi, avec Sarkozy. Le discours que prononcera le chef de l’Etat est très attendu après ses déclarations, en 2007, à Rome, sur la «laïcité positive», bien accueillies au Vatican mais critiquées en France. Autre discours dont chaque mot sera pesé, celui que le pape prononcera en fin d’après-midi (lire ci-contre) au couvent des Bernardins.

(1) Le mystère Lourdes d’hier à aujourd’hui, éd. Desclée de Brouwer, août 2008.

Catherine COROLLER

Vendredi 12 septembre 2008

Libération

 

http://www.liberation.fr/actualite/societe/351568.FR.php

 

 

 

 

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