Prêtres, Paroisses et Nouvelle Evangélisation par Emmanuel PIC Curé à Dijon
21 sept. 2012
Les personnes qui fréquentent occasionnellement ou régulièrement l’Église ont une caractéristique : elles estiment que la foi est une démarche éminemment personnelle.
Entendons-nous bien. Il ne s'agit pas seulement d'affirmer l'importance de la liberté dans l'acte de croire - il n'y aurait là rien de nouveau. La vraie nouveauté est que cette foi va s'exprimer,
dans le domaine liturgique en particulier, de manière à affirmer l'originalité d'une quête de Dieu qui appartient à chacun. Il y a là une question de sincérité, de vérité : appliquer platement
les rites de l’Église pour un mariage, un baptême, des funérailles, est compris comme quelque chose d'hypocrite. D'où une inflation considérable de l'importance accordée à la préparation de ces
célébrations, qui a pris dans l'emploi du temps des prêtres et de leurs collaborateurs une place qu'elle n'avait pas auparavant. Il y a un demi-siècle, lorsque mes parents se sont mariés, il leur
avait suffi de rencontrer l'organiste pour choisir les pièces musicales qui seraient jouées lors de la messe. Aujourd'hui, chaque célébration est le fruit d'un long marchandage entre le prêtre et
les personnes concernées, au cours de laquelle les uns s'efforcent d'introduire le plus possible d'éléments personnels (musiques, interventions diverses, parfois réécriture d'une partie du
rituel), tandis que l'autre rappelle que l’Église ne s'invente pas purement et simplement au gré des humeurs de chacun. Celles et ceux qui choisissent de se couler dans le rituel le font
également par conviction, et non par esprit d'obéissance, ce qui montre bien que tout le monde raisonne de la même manière.
Il est aisé de comprendre les difficultés rencontrées. Les prêtres sont désorientés devant certaines demandes. Le nombre important de rencontres, l'individualisation des parcours, oblige à une
attention aux personnes qui encombre les agendas et donne souvent l'impression de succomber à la réunionnite. Quant aux chrétiens, ils n'acceptent pas facilement les exigences (souvent minimales)
posées par leur curé, alors perçu comme autoritaire ou clérical.
Cette évolution est liée à une vague de fond, à un désir profond que nul ne songe à remettre en cause tant il est étroitement lié à nos modes de vie et semble plein de promesses d'un avenir
meilleur. La vie bonne, c'est celle que l'on construit comme on l'entend, en fonction de ce que l'on ressent au fond de soi, la seule limite admise étant la gêne que l'on impose à autrui. C'est
ainsi que s'explique l'évolution de nos sociétés, soucieuses de permettre à chacun de vivre cet idéal : aucune loi ne saurait être un obstacle au bonheur compris de cette manière ; la loi n'a
pour but que de favoriser cet épanouissement de soi-même. La vie de foi, la vie "spirituelle" dit-on souvent, ne fait pas exception à la règle : chacun la construit, en fonction de rencontres, de
lectures, d'expériences qui lui sont propres. En matière de foi, il n'est pas de loi qui compte.
Dans un tel contexte, qu'est-ce qu'évangéliser ?
C'est d'abord prendre en compte le caractère irréversible, au moins à court et moyen terme, de cette manière d'être. S'y opposer frontalement ne sert à rien, c'est même contre-productif et
conduit inévitablement à des conflits destructeurs et stériles.
Mais cela ne signifie pas qu'il faille tout accepter sans discernement : il faut plutôt entrer dans une négociation, ce à quoi les prêtres ne sont pas préparés. Dans ce monde-là en effet,
l'autorité donnée par l'ordination n'a pas beaucoup de poids ; chacun se situe sur un pied d'égalité, et les arguments avancés le sont au nom de la raison commune, et non de la tradition ou de
l’Écriture. Un prêtre qui ne serait pas capable de justifier ses positions n'aurait d'audience qu'auprès des convaincus, ce qui serait l'exact contraire de l'évangélisation.
Évangéliser, c'est aussi éveiller à une attitude critique vis-à-vis de cette vulgate "hyper-moderne". La liberté, la possibilité d'être acteur de sa propre vie, sont certes de bonnes choses. Mais
cette manière de voir, lorsqu'elle est poussée à l'extrême, devient une idéologie, qui occulte des réalités bien plus fondamentales. Est-il exact de prétendre que la vie est pure construction
subjective, alors qu'elle est en réalité reçue d'autrui, dès la naissance et jusqu'à son terme ? La naissance d'un enfant est l'un des moments où l'on expérimente le plus fortement que nul ne
choisit d'entrer dans l'existence. Au moment de leurs noces, les époux sont tous capables de comprendre que l'amour est un don, même s'ils ont l'impression de "construire leur couple", pour
reprendre une expression malheureuse souvent utilisée par les équipes de préparation au mariage. Enfin, la mort d'un proche permet évidemment de mesurer la vanité d'un projet de vie qui s'est
trouvé mis à l'épreuve par la vie elle-même et ses inévitables aléas. Ces trois remarques font apparaître toute l'importance de la célébration des temps forts de l'existence par les rites de
l’Église : baptêmes, mariages, obsèques sont des moments irremplaçables au cours desquels doit être dite une parole sur le sens de la vie et l'ouverture à Dieu. Ils sont par là même des lieux
essentiels de l'évangélisation. Et ce, d'autant plus qu'ils permettent également au plus grand nombre de découvrir la foi pour ce qu'elle est : une expérience de Dieu, une rencontre avec le Dieu
de Jésus-Christ, qui transforme la vie de ceux qui en sont l'objet.
Emmanuel PIC
Prêtre à Dijon (France), à la paroisse Saint-Pierre. Il enseigne également la théologie au Grand Séminaire de Mayidi (République Démocratique du Congo), et au Centre universitaire catholique de Bourgogne (CUCDB).