Nos voisins, les "ROMS" !
20 avr. 2016Voilà quelques temps que je me disais : « tu ne fais pas grand-chose pour les pauvres. Ceux qui sont vraiment dans le besoin. » Une sorte de mauvaise conscience latente. En même temps je souhaitais un pauvre, pas trop loin de chez moi, qui ait vraiment envie de s’en sortir, à qui je puisse être vraiment utile, un pauvre sur mesure quoi.
Quelques semaines plus tard, je rencontrais Philippe, un prêtre de la Mission de France, très engagé avec les ROMS. « Dites Père, j’ai une caravane qui ne me sert pas pour l’instant, si vous en avez besoin pour une famille ROM ? » « Alors là, tu m’intéresses ! Je passe te voir demain.» Je pensais faire d’une pierre deux coups : faire une bonne action et me débarrasser d’une caravane qui ne me servirait probablement plus. Le lendemain, je montrais donc « la chose » au Père. « Elle est superbe ! » « Vous trouvez ? » « Oui, oui ! J’ai une famille qui pourrait emménager dedans. Il faudrait la déplacer. Tu as de la place de l’autre côté de ta maison ? En élargissant le passage ça pourrait aller. » « ??? » Pour être tout à fait honnête, notre brave Père n’avait pas eu besoin d’insister. Nous nous étions, mon épouse et moi, préparés au pire.
Nous nous sommes retrouvés avec une famille ROM de quatre personnes, dont les parents ont l’âge de nos propres enfants et leurs enfants, ceux de nos petits-enfants. Pourtant, il me restait une sourde angoisse sur la propreté de (MON terrain). On veut bien être généreux, mais-pas vivre sur des immondices quand même. Il n’y a qu’à voir les camps sur les bords des autoroutes pour comprendre mes craintes… Nous avions mis aussi à leur disposition une cabane de jardin, que j’avais, depuis longtemps, abandonné aux araignées. En un tour de balais Tatiana, la Maman, avait repris possession du lieu et y installait ses bagages. « J’aime bien que ma maison soit propre, » me fit-elle comprendre. Aujourd’hui, je suis obligé d’admettre que notre propriété n’a jamais été aussi propre. Nous avons convenu que je leur laissais le balai de cantonnier à disposition. Ils le passent au moins une fois par semaine. J’ai eu des remerciements de la part du facteur. Il ne dérape plus sur les feuilles.
Ils cherchent vraiment à s’en sortir. Étant à la retraite, je les ai accompagné pour les inscriptions des enfants à l’école, inscription des parents au centre social où ils apprennent le Français, au Secours Populaire et au Resto du Cœur, pour l’aide alimentaire, à la Maison du Rhône pour l’assistante sociale, à Pole Emploi, chez le médecin et le dentiste du quartier. Nous avons la chance d’avoir une voisine dont le Roumain est la langue maternelle et qui fait partie du conseil municipale. Une amie, ancienne institutrice, vient deux fois par semaine donner des cours de lecture à Florin, le garçon de 10 ans. Ils font aussi des démarches de leur côté, que je découvre par hasard. Si je n’avais pas eu ce temps pour les accompagner, d’autres l’aurait eu à ma place. La Ligue des Droits de l’Homme, l’Association CLASSES et le Père Philippe, nous accompagnent.
Financièrement j’en suis d’une bouteille de gaz par mois, de l’électricité et de l’eau. Avec l’hiver et le gel, il a fallut passer à un WC sec, ce qui diminue encore la consommation. Ils viennent prendre l’eau dans le garage. Pour l’électricité, ils n’allument que la nuit tombée. Ils font tout pour faire des économies, comme si c’était eux qui devaient payer. Un investissement de 250 euros pour l’isolation de la caravane nous a permis de gagner sur le chauffage électrique. Pour des raisons de sécurité, je n’ai pas voulu qu’ils utilisent le vieux chauffage à gaz.
Nous n’avons changé aucune de nos habitudes de vie. Je laisse mes outils de jardinage dehors. Seule différence, comme Francesca, 4 ans, est là en permanence, la piscine reste fermée, ce que nous ne faisions pas en l’absence de nos petits-enfants. Je ne ramasse que ce qui pourrait être dangereux pour cette adorable petit « bougeons ». Un peu d’ordre ne fait pas de mal.
Il a fallu trouver un équilibre entre ce qu’ils reçoivent de nous et ce qu’ils voudraient nous rendre. Nous ne pouvions accepter qu’ils nous redonnent une partie de l’aide alimentaire. Nous ne voulions pas profiter de la situation et en même temps, il fallait qu’ils puissent garder leur fierté.
Si l’on ne doit pas élever ses enfants pour soi, de même il faut tout faire pour que ces gens puissent voler de leurs propres ailes le plus vite possible, même si nos relations affectives se sont renforcés : Tatiana m’appelle : Papa, et la petite : Papy.
Nous n’avons pas l’impression d’avoir fait grand-chose pour Ion (le Papa) et sa famille. Une adresse fixe, un nom de plus sur notre boite aux lettres, une vielle caravane de 4m un peu fatiguée et un saut vers l’inconnu. Mais quelle belle aventure humaine nous vivons là.
Jean-Luc Séjourné
Paroisse de Saint Fons et Feyzin, Diocèse de Lyon