« Si on a la foi, on la vit partout, pas seulement dans les églises » réaffirme l’évêque Christian Nourrichard, fermement opposé aux prières de rue ! (archives ©La Dépêche)

« Si on a la foi, on la vit partout, pas seulement dans les églises » réaffirme l’évêque Christian Nourrichard, fermement opposé aux prières de rue ! (archives ©La Dépêche)

Nombre de chrétiens vivent leur foi hors les murs, et prient sur le parvis des églises. Ces grands-messes à ciel ouvert indisposent Christian Nourrichard, évêque d'Évreux.

« Si on a la foi, on la vit partout, pas seulement dans les églises » réaffirme l’évêque Christian Nourrichard, fermement opposé aux prières de rue !
Actu : Au même titre que les commerces dits non essentiels, les lieux de culte ne peuvent recevoir de public ou, à tout le moins, abriter la messe. Comment réagissez-vous à ces restrictions ?

Christian Nourrichard : En tant qu’évêque, je suis profondément triste, je partage le désarroi des chrétiens. L’interdiction de célébrer la messe est durement ressentie, car c’est un acte essentiel dans l’expression de notre foi. Pour autant, je ne vais pas partir en guerre contre le gouvernement qui a pris cette décision par mesure sanitaire.

Mais on l’a encore vu le week-end dernier, certains chrétiens contournent l’interdiction et “improvisent” des prières de rue.

CN : Ces mouvements, je ne les vois pas d’un bon œil. Se réunir et s’agenouiller devant un édifice religieux, c’est un moyen de vouloir faire pression, c’est détourner le sens de la prière et des sacrements. En agissant de la sorte, on donne un caractère politique à la foi chrétienne. Bien sûr, l’Église a besoin de visibilité. Mais pas sous cette forme…

La communauté chrétienne espère la réouverture des églises, le 1er décembre. C’est également votre souhait ?

CN : Les évêques de France ont présenté un protocole pour garantir la tenue du catéchisme et des réunions paroissiales. Encore une fois, nous avons la volonté de dialoguer, et non de nous opposer aux responsables politiques. J’aime me référer à cette devise pastorale : « le fils de Dieu a vécu notre condition humaine ». En cela, il accepte sans sourciller. Ce devrait être le leitmotiv de tous les chrétiens à l’heure où les contraintes sanitaires rendent l’expression de la foi plus complexe.

L’exemple viendrait-il d’en haut ?

CN : Tout à fait. Ainsi, le jour de Noël, Marie et Joseph ont dû se déplacer pour le recensement. Mais pour se rendre dans leur ville d’origine, ils ne disposaient pas des moyens de locomotion modernes. Ils sont partis à dos d’âne, sans prendre à contre-courant les dirigeants politiques de l’époque.

Faut-il y voir une analogie avec ce que ne font pas les catholiques les plus rétifs ?

CN : Leur attitude me gêne profondément, ils n’ont pas vocation à passer au-dessus des lois. Je les invite, plutôt, à se rapprocher des personnes atteintes dans leur façon de vivre. Je pense, par exemple, aux commerçants pour qui, aujourd’hui, c’est une question de vie ou de mort.

« Analphabétisme spirituel », « cléricalisme », « foi immature » : dans un long entretien accordé à la Civiltà Cattolica, Mgr Mario Grech - nouveau secrétaire général du Synode des évêques - porte un regard très critique sur l’attitude de nombreux catholiques durant la crise du Covid-19. Partagez-vous son point de vue ?

CN : J’ai lu avec plaisir et intérêt ses prises de position, je loue son regard critique. Certes, Mgr Grech emploie des mots très durs pour qualifier la position de certains chrétiens. Mais je ne peux que le rejoindre dans son analyse, tant l’attitude de mes congénères me laisse, parfois, pantois. Le secrétaire général pointe du doigt un “analphabétisme spirituel”. Je complète le propos en évoquant un exhibitionnisme et un piétisme qui relèvent de la magie !

Qu’entendez-vous par là ?

CN : L’eucharistie constitue, toujours, le point essentiel. Mais on peut rejoindre Jésus de multiples manières, notamment avec ceux qui souffrent. À travers son fils, Dieu indique le chemin et nous rappelle qu’on n’est pas simplement un corps ou une âme, mais les deux à la fois.

Peut-on concevoir la foi en distanciel ?

CN : L’évêque n’est pas seul dans sa mission, il est accompagné de nombreux prêtres et laïcs. Et tous sont en télétravail. Pour répondre à la question, j’estime que si on a vraiment la foi, on la vit partout, en relation avec Dieu, en relation avec les hommes. Je me souviens, alors jeune étudiant à Paris, avoir pris le métro, serré contre les autres. C’était l’occasion de prier pour ces personnes que je ne connaissais pas, mais qui appartenaient à la même maison commune : l’humanité.

Une humanité en souffrance !

CN : À notre petit niveau, nous agissons. En accord avec le conseil épiscopal, j’ai décidé de remettre en état l’un de nos appartements pour héberger des femmes et leurs enfants privés de toit. Dans le même ordre d’idée, l’Évêché met à disposition, rue des Cheminots, l’un de ses ensembles immobiliers pour accueillir des associations qui œuvrent dans le domaine de l’accompagnement social. Je pense, notamment, à l’Étincelle. Comme quoi, on ne se contente pas de faire de belles prières, il faut qu’elles soient incarnées !

N’avez-vous pas l’impression que d’un confinement à l’autre, la solidarité a perdu de sa superbe ?

CN : La Covid-19 est un mal terrible. Mais j’ose espérer que la pandémie va permettre aux Français de retrouver le sens de la fraternité, je leur demande d’applaudir les professionnels de santé. Je fréquente des médecins et infirmières, il faut voir ce qu’ils vivent au quotidien. Dans le diocèse, un diacre et son épouse ont contracté le virus. Ils ont été profondément atteints, et m’ont dit à quel point il était important de respecter les consignes sanitaires.

Au grand dam, encore une fois, des pratiquants les plus virulents !

CN : L’essentiel, c’est d’être relié à Dieu et à ses frères, qu’importe le lieu. Je suis aussi motivé à l’idée de célébrer l’eucharistie en pleine nature, avec quelques scouts, que dans la cathédrale d’Évreux archi-pleine. Je connais plusieurs familles qui prient en petit comité, chez elles, en regardant une icône. C’est plus difficile pour ceux qui ne veulent pas modifier leur comportement, leur façon d’être.

Début novembre, s’est tenue l’Assemblée plénière des évêques de France. Êtes-vous tous sur la même ligne ?

CN : D’un point de vue général, on peut évoquer un fort sentiment d’unité. Chacun, dans son diocèse, prend très au sérieux ces terribles conditions de vie qui sont les nôtres. N’en déplaise, encore une fois, aux rébarbatifs qui ont du mal à changer de monde, de société. Pendant mes études, j’ai vécu le concile Vatican II (1962-1965) et je ne l’ai jamais renié. Seulement, au fil des années, je me suis adapté. À l’instar de la culture ou de la politique, la religion s’inscrit dans le temps et dans l’espace…


Alain Guillard

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