Déchéance de nationalité, faux arguments et petits calculs

Le débat sur la déchéance de nationalité qui occupe l’essentiel de la vie politique en cette fin d’année est surréaliste. Partisans et adversaires de la mesure s’accordent à reconnaître son caractère uniquement symbolique. Une façon ronflante de reconnaître qu’elle est inutile. Ceux qui envisagent de se faire exploser ne reculeront évidemment pas devant la menace de perdre leur passeport français. Qu’en est-il sur le fond ?

Les arguments des opposants à la déchéance ne sont pas très bons. A gauche, on rappelle qu’elle est réclamée par le Front national et une partie de la droite. Mais ce n’est pas pour cela qu’elle est mauvaise. Si, par exemple, l’extrême droite brandit le drapeau français, on ne va pas pour autant en changer. Si l’opposition dit qu’il pleut, il est puéril de dire qu’il fait soleil lorsque tombent des trombes d’eau, même si l’on est dans la majorité.

On dit aussi qu’elle est créatrice d’inégalités, puisque l’on ne pourra déchoir que des binationaux. Mais ce déséquilibre existe déjà, puisque des personnes naturalisées françaises mais ayant la double nationalité peuvent se la voir retirer dans certains cas, tandis que celles qui sont nées françaises en sont préservées.

On dit qu’il s’agit d’une mesure contraire à la tradition de la gauche. Mais la première grande salve de déchéance de nationalité a été pratiquée par la Révolution française, contre les Émigrés qui, eux, n’avaient qu’une seule nationalité. La seconde en 1848, contre les esclavagistes.

On dit qu’il s’agit d’une atteinte au droit du sol, le fait de devenir français parce qu’on est né en France. Mais l’équilibre entre droit du sol et droit du sang a souvent été modifié dans notre histoire, et cette mesure ne devrait concerner au maximum que quelques personnes chaque année, et des personnes qui auront prouvé par le sang leur peu d’attachement à notre sol.

On le voit, tous ces arguments « contre » sont fragiles. Le problème, c’est que les arguments « pour » sont à peu près inexistants. La mesure est symbolique, nous répète-t-on en boucle, sans que l’on sache exactement en quoi consiste le symbole. Elle est ultra-populaire, ajoute-t-on, comme si le fait d’être approuvée par 94 % des Français ne devait pas plutôt inciter à se demander si la question est bien posée. L’unanimité sondagière cache toujours quelque chose de louche.

Je regrette de me montrer terre à terre, mais il me semble que la proposition est avant tout politicienne. François Hollande a voulu jeter le trouble à droite en coupant l’herbe sous le pied de Nicolas Sarkozy. Il l’a semé dans son propre camp. Manuel Valls a voulu montrer qu’il était réaliste, il s’est pris les pieds dans les « grandes valeurs » qu’il a semblé brocarder.

La déchéance de nationalité est en réalité un chiffon que l’on agite, une mesure de diversion, destinée à occuper le terrain politico-médiatique, à surfer sur une fausse demande populaire et à montrer que le gouvernement s’affaire. De ce point de vue et de ce point de vue seulement, elle est à la fois efficace, puisqu’on ne parle que de ça, et déplorable, puisqu’elle nous distrait d’un sujet grave, qui est la lutte effective contre le terrorisme.

JEAN-PIERRE DENIS, DIRECTEUR DE LA RÉDACTION DE LA VIE

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