« Obama président : un 11 septembre à l'envers » : éclairage de Antoine de Romanet
06 nov. 2008Le Père Antoine de Romanet est curé de Saint Louis de France, une paroisse catholique francophone à Washington. Pour le Français expatrié depuis huit ans dans la capitale américaine, la victoire de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis est « historique ». Interview.
« Ce que représente le 11 septembre 2001 pour les Etats-Unis est quelque chose qu'on sait de manière intellectuelle mais qu'on a du mal à réaliser quand on est en Europe » tente d'expliquer le Père Antoine de Romanet, ordonné prêtre pour le diocèse de Paris en 1995, responsable des JMJ 2000 dans la capitale, diplômé de Sciences Po et docteur en économie. Alors que le 11 septembre est associé à la guerre en Afghanistan et en Irak, aux lois d'exception (Patriot Act) et à la prison de Guantanamo, l'élection de Barack Obama suscite beaucoup d'espoirs aux Etats-Unis et dans le monde entier. Quelques clés pour nous aider à comprendre.
Quel est l'impact de la victoire de Barack Obama à la présidence américaine?
Ce qui s'est passé est un symbole extraordinairement fort. Barack Obama a employé lui-même dans son discours des expressions très fortes, en lien avec la première fois où un homme a marché sur la Lune et avec la chute du mur de Berlin. Je crois que c'est tout à fait de cet ordre-là. Cela a une valeur considérable pour les Etats-Unis parce que c'est le lieu d'une rédemption par rapport à ce qui est l'un des péchés originels de ce pays : l'esclavage. Barack Obama est une personnalité tout à fait exceptionnelle qui n'est pas descendant d'esclave : son père était Kényan et avait simplement fait ses études aux Etats-Unis. Barack Obama incarne le rêve américain, l'intégration multiculturelle, multiraciale. C'est à titre personnel un exemple absolument remarquable de ce que peuvent produire les Etats-Unis sur le mode de la promotion par le mérite, le travail et les qualités propres.
Que représente l'élection d'un Noir à la tête des Etats-Unis ?
C'est un signe extrêmement fort. Il faut rappeler qu'il y a quarante ans à Washington avaient lieu des émeutes interraciales dramatiques, à quelques « blocks » de la Maison Blanche ; qu'il y a à peine cinquante ans, une femme Noire (Rosa Parks, ndlr) a été condamnée pour avoir refusé de céder son siège dans un bus à un Blanc. Le chemin parcouru est absolument en quarante ans est considérable. Beaucoup redoutaient une mauvaise surprise le jour de l'élection : c'est tellement beau pour beaucoup que c'était difficile d'y croire avant que cela ne soit totalement acté. C'est un symbole pour les Etats-Unis et pour le monde entier : pour l'Afrique, pour l'Amérique latine, pour de nombreux peuples du Sud... C'est l'objet d'un espoir considérable. C'est lié à lié à la dimension multiculturelle que Barack Obama porte dans ses gènes puisqu'il réunit à la fois l'Afrique, les Etats-Unis et l'Asie, l'Islam et le Christianisme. Il est spontanément ouvert à la complexité du monde, ce que ne sont pas nécessairement spontanément tous les Américains. Et donc, c'est un très grand espoir de multilatéralisme, d'écoute et de prise en compte de la complexité des réalités contemporaines. Tout en sachant que le 20 janvier, il deviendra président des Etats-Unis d'Amérique et qu'il assumera les intérêts de son pays avant tout.
Dans son message adressé à Barack Obama, le pape parle de la construction d'« un monde de paix, de solidarité et de justice ». En quoi le nouveau président partage-t-il ces valeurs ?
Les catholiques américains ont voté pour les démocrates de manière constante jusque dans les années 80. A ce moment-là, le parti démocrate a pris une position plutôt libérale par rapport à la question de l'avortement. Beaucoup de catholiques ont quitté ce parti, d'autant plus qu'ils ont été fortement courtisés par le parti républicain sur ce sujet. Cela a assuré une bonne partie des victoires républicaines des années 80 et 90. Notamment grâce à la « Bible Belt », ces Etats du Sud des Etats-Unis, profondément marqués par un christianisme évangélique parfois un peu fondamentaliste. La question de l'avortement est une question centrale et majeure pour la société américaine depuis des décennies. Elle est quelque peu passée au second plan lors de cette élection. Barack Obama a mis en valeur le bien commun, la solidarité dans la santé et l'éducation. La grande question entre les deux candidats a été de savoir où chacun situait le curseur en terme de prélèvements d'impôts et de redistributions par l'Etat. Très clairement, Barack Obama est partisan de plus d'Etat au service des plus pauvres et des plus démunis. La dimension sociale de sa candidature est évidente.
Quelle a été la place de la dimension religieuse dans la campagne ?
Elle a été présente de manière emblématique par le choix des vice-présidents. Sarah Palin a été choisie pour ses positions éthiques et religieuses, de façon à rassurer et affermir la base la plus conservatrice du parti républicain. Le catholique Joe Biden assure une complémentarité particulièrement heureuse sur le « ticket » démocrate. Tous s'accordent à dire que la dimension strictement religieuse n'a pas été un facteur déterminant dans ce qui s'est joué hier aux Etats-Unis.
Obama, et McCain ont intégré cette dimension. Ils ont tous fait profession de foi, se sont affichés avec leur pasteur. Les Américains ne concevraient pas d'élire à la tête du pays quelqu'un qui n'a pas foi en Dieu, d'une manière ou d'une autre. Les racines du pays restent extraordinairement religieuses. Les Etats-Unis sont la Terre Promise de tous les damnés de la Terre. Je crois que l'élection d'Obama va raviver cela.