La place de la France dans le monde par Edwy PLENEL
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Interview d’Edwy PLENEL dans la « Lettre du Libraire » en 2011, interview dont l’actualité demeure évidente (voir la vidéo ci-dessous d’Edwy PLENEL chez Jean-Jacques BOURDIN sur BFMTV ce 15 septembre 2014)
« De quoi manquons-nous ? Il y a des programmes politiques et il y a plein d’idées. (…) il y a plein de bonnes idées.
Ce n’est pas de programmes politiques que nous manquons. Nous manquons d’un nouvel imaginaire politique qui nous unifie, qui nous rassemble, qui nous transporte. Pour avoir ce nouvel imaginaire politique, il faut que nous osions un imaginaire de ce qu’est notre pays. Il nous faut assumer notre pays.
Assumer notre pays, c’est assumer la longue durée de son histoire, non pas pour la juger, non pas pour la condamner mais pour l’assumer telle qu’elle nous a fait. En l’occurrence, la France a une spécificité en Europe, qui est sa chance dans le monde globalisé d’aujourd’hui. La France est, au niveau de son peuple, une Amérique de l’Europe. Elle est faite, profondément, des courants migratoires internes - le Breton que je suis peut en témoigner et longuement et expliquer cette histoire par rapport à comment ce pays s’est unifié et, profondément, c’est l’immigration belge, l’immigration polonaise, l’immigration d’Europe centrale à l’immigration espagnole, italienne, portugaise et, évidemment, la très longue durée de notre histoire coloniale.
Aujourd’hui, la France a une chance inouïe, c’est la fille aînée de l’Église, c’est le pays de l’Édit de Nantes donc du protestantisme, c’est le pays de la première communauté juive d’Europe, c’est le premier pays musulman – en proportion- d’Europe, c’est le pays de la créolisation. Je parle beaucoup des outremers dans ce livre. C’est aussi le pays de la Laïcité ce qui, je le rappelle, en 1905, n’est pas une déclaration de guerre aux croyances mais, au contraire, une façon d’inventer une laïcisation dans l’espace public, de la présence dans l’espace public de ceux qui, par ailleurs, ont des croyances.
Sans la loi de 1905, il n’y aurait pas eu cet évènement formidable pour le catholicisme qu’est le catholicisme social militant, les prêtres ouvriers, les jeunesses ouvrières chrétiennes, les jeunesses étudiantes chrétiennes. Tout cela a permis à des gens de se rassembler autour de ce qu’ils ont en commun, par-delà leurs croyances, leurs sensibilités, leurs communautés, etc.
Je crois profondément à cette vitalité de notre histoire, à cette vitalité de l’horizon républicain, de cette espérance démocratique. Je pense que pour arriver aujourd'hui à nous sortir de l’ornière, il faut prendre cette ligne de crête. Nous l’avons senti dans un moment – vous parliez de Georges Bush Junior - quand, sous la présidence de Jacques Chirac et avec Dominique de Villepin, toute la France s’est reconnue dans cette position. Et cette façon de se projeter sur le monde, de parler de la fragilité du monde, de parler d’un petit pays qui néanmoins avait de grandes ambitions pour le monde. Je crois profondément que la France n’est elle-même – et c’est un discours de patriote quelque part – que dans une relation avec le monde. Et que la France est en crise, qu'elle est en régression quand elle décroche du monde. »
Edwy PLENEL
Président de Médiapart