Homélie du dimanche 5 août 2019

Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 12,13-21. 

« En ce temps-là, du milieu de la foule, quelqu’un demanda à Jésus : « Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage. »
Jésus lui répondit : « Homme, qui donc m’a établi pour être votre juge ou l’arbitre de vos partages ? »
Puis, s’adressant à tous : « Gardez-vous bien de toute avidité, car la vie de quelqu’un, même dans l’abondance, ne dépend pas de ce qu’il possède. »
Et il leur dit cette parabole : « Il y avait un homme riche, dont le domaine avait bien rapporté.
Il se demandait : “Que vais-je faire ? Car je n’ai pas de place pour mettre ma récolte.”
Puis il se dit : “Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j’en construirai de plus grands et j’y mettrai tout mon blé et tous mes biens.
Alors je me dirai à moi-même : Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence.”
Mais Dieu lui dit : “Tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ?”
Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu. »

 

Homélie

Pour comprendre l’évangile, un mot sur la législation à l’époque de Jésus. Pour sauvegarder le patrimoine familial, le droit juif prévoyait que la totalité des propriétés immobilières revenait au fils aîné, ainsi qu’une double part des biens mobiliers. C’était le droit d’aînesse. Ce qui est raconté ici c’est sans doute qu’un aîné s’est emparé de tout l’héritage et refuse de remettre à son cadet la petite part qui lui revient. Et on demande l’arbitrage de Jésus.

« Ah les affaires d’héritages ! dit Gabriel Ringlet. On sait comme elles peuvent empoisonner l’existence quand le partage des biens ravive les jalousies et réveille des blessures d’enfance. Ici, un homme en appelle à l’intervention de Jésus auprès d’un frère qui préfère, semble-t-il, laisser l’héritage indivis. Cette demande d’arbitrage devrait honorer Jésus. L’homme qui l’interpelle « du milieu de la foule » montre en effet la considération dont jouissait le jeune maître. Mais Jésus refuse de jouer ce rôle. Il n’est pas notaire. Il ne dit pas le droit. Sa mission est d’une autre nature : il donne sens, il interpelle, il avertit.

L’Évangile de Thomas, un texte poétique découvert en Égypte en 1945, vient souvent jeter sur les Évangiles canoniques une lumière subtile qui élargit parfois l’interprétation. Comme ici, justement, quand Jésus réplique un peu durement : “Qui m’a établi pour être votre juge ou l’arbitre de vos partages ?”Dans L’Évangile de Thomas, cela devient : “ô homme, qui a fait de moi un diviseur ? Il se retourna vers ses disciples et leur dit : vraiment, suis-je un diviseur? ”Bouleversante question, si proche de ce que pouvait ressentir Jésus à ce moment-là. Car il est vrai que les autorités religieuses l’accusent de diviser le peuple. Et manifestement cette accusation le blesse. »

C’est une tentation permanente des hommes de demander à la religion de sacraliser leurs options ou leurs intérêts. Jésus ne veut pas entrer dans ce que l’homme doit résoudre lui-même. Mais il indique où est l’essentiel. Il invite à prendre de la hauteur : “Gardez-vous bien de toute avidité, car la vie de quelqu’un… ne dépend pas de ce qu’il possède.” C’est la vie de l’homme   qui est première, pas la richesse ! Et il raconte sa parabole du riche propriétaire. Le gars avec sa récolte et ses greniers est totalement préoccupé par l’en-bas. En fait, il est déjà mort : “Cette nuit-même, on va te redemander ta vie. ”Évident puisque tu n’en fais rien. Dans certains rites funéraires antiques on mettait une pièce d’or dans la bouche du mort, pour payer son passage sur le fleuve obscur. Mais les archéologues retrouvent les monnaies : elles n’ont pas servi, elles n’ont pas cours en ce pays si lointain et si proche.

Saint Paul disait : “Pensez aux réalités d’en-haut, non à celles de la terre.” Il y a le monde des apparences, le visible, le concret. Mais il ne peut donner un sens à notre vie. Et puis ce monde est traversé par un nouveau monde en train de germer au-delà des apparences. Ne vous enchaînez pas au service du faux-dieu-argent qui déshumanise. La vie de l’homme ne s’achève pas ici-bas. Le coffre fort ne suit pas le cercueil ! Dieu est la seule valeur stable. Tout le reste est passager, “vanité des vanités” disait la 1èrelecture. La richesse n’est pas mauvaise pour autant. Mais la bonne question est de savoir pour qui elle est dépensée. Jamais on ne s’est assuré autant que de nos jours : accidents, incendie, intempéries. Tout ça est du progrès et on le voudrait pour tous. Mais quelle compagnie, quel groupe nous assurera contre la sécheresse du cœur et l’anémie du goût de vivre ? Ce serait ça la véritable Assurance-Vie, celle qui nous garderait fervents et joyeux jusqu’au jour où l’on part, les mains ouvertes, sans rien, pour le plus grand des voyages.

Et si tout ça était une invitation à comprendre que les réalités d’en-haut sont une manière de vivre l’en-bas, une manière de prendre de la hauteur. Le chemin est bien celui de l’incarnation et de la résurrection, celui de Jésus qui s’est immergé dans le quotidien humain, tout en y prenant sa hauteur de ressuscité. J’aime bien ce petit mot de Pierre Schaeffer, intitulé performance : “Tous nous sommes des encombrés. Nos voitures se touchent, nos pare-chocs se frôlent et font du mieux qu’ils peuvent pour ne pas se choquer. Nos journaux foisonnent, nos dialogues se superposent. Aussi, faut-il continuer, ne pas se taire, parler encore, fabriquer un message, un discours, un véhicule, une fusée, tirer, viser, aller plus haut, plus vite, plus loin, établir un nouveau score, une performance jamais atteinte : par exemple dire un mot à son voisin, un mot qui serait compris.”

 

Robert Tireau

Prêtre du Diocèse e Rennes

 

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