Qu’attend-on de notre police ?
25 janv. 2021Lors de la 3e marche pour le climat, à Paris, le 15 mars 2019, des lycéens et des étudiants entament un dialogue avec des CRS.MARIE BABEY/PINK/SAIF IMAGES
La majeure partie des Français affirme faire confiance à la police, mais cette relation a été mise à mal, ces derniers temps, par plusieurs interventions violentes.
Maintien de l’ordre, dépôt de plainte, contrôles… Pour améliorer le lien entre police et population, le « Beauvau de la sécurité » devra aboutir à des mesures permettant à l’institution de mieux prendre en compte les ressentis des usagers.
« La police est là pour aider la population, j’ai envie d’y croire », se répète Julie (1), au moment où s’ouvre le « Beauvau de la sécurité », la grande concertation consacrée à la police et à la gendarmerie qui doit aborder la question du lien entre citoyens et forces de l’ordre. Julie a envie d’y « croire » même si son premier contact avec la police, il y a plus de cinq ans, s’est mal passé. Même si, depuis, elle n’a « plus confiance ».
En se rendant chez une amie, la jeune femme a subi une tentative d’agression sexuelle, des faits punis par la loi au même titre que l’agression sexuelle elle-même. Après l’arrivée des policiers, l’étudiante, alors âgée de 19 ans, demande à porter plainte. Elle rejoue le dialogue : « Ça ne va pas être possible. » « Pourquoi ? » « Il vous a violée ? » « Non, il s’est jeté sur moi et a tenté de m’embrasser. »« Ils me répondent : ”Il y a trop de paperasse et de toute façon on ne le retrouvera jamais, des incidents comme ça, il y en a tous les jours.” Et m’invitent à déposer une simple main courante. » Alors même que le dépôt d’une plainte ne peut être refusé.
Si Julie pouvait s’asseoir à la table du Beauvau de la sécurité, elle défendrait des propositions concrètes : « Une meilleure sensibilisation des policiers aux violences sexuelles, via des rencontres avec des associations, des victimes » et aussi « une obligation pour les agents d’apporter des fiches sur les infractions et sur la loi lors de leurs interventions, pour que chacun puisse connaître ses droits ».
« La France fait partie des pays d’Europe les moins satisfaits du service fourni au moment du dépôt de plainte », appuie le chercheur Sebastian Roché, auteur de De la police en démocratie (Grasset, 2016). « Dans certains cas, il y a un mauvais accueil, reconnaît David Le Bars, secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale. Il faut des moyens pour former les agents à cette mission spécialisée. Et certains commissariats sont débordés, dans des villes où il y a beaucoup d’activité. » Si les forces de l’ordre sont régulièrement mises en cause pour des interventions controversées, et parfois même extrêmement violentes comme le tabassage du producteur Michel Zecler en novembre, la majeure partie de la population en a une bonne opinion, selon différentes enquêtes. Un sondage paru ce dimanche 24 janvier dans LeJournal du dimanche indiquait ainsi que pour 45 % des Français, la police inspire « de la confiance », devant « de l’inquiétude » (20 %).
Sur quel levier agir pour éviter que le lien ne se délite ? « La sécurité au quotidien est l’une des attentes de la population », pense David Le Bars, qui observe « une montée de la violence dans les villes de province et les territoires ruraux ». Pour y répondre, le commissaire estime qu’il faudrait parvenir à « une meilleure répartition des effectifs sur le territoire et une chaîne pénale qui fonctionne et traite les infractions ».
La police étant un service public, « il faut une possibilité de contester ce service, car l’usager ne peut en changer », ajoute Sebastian Roché. En clair, explique-t-il : « Un chef de police doit être redevable devant les citoyens, qui doivent pouvoir se plaindre des défauts de fonctionnement. » Un changement de paradigme qui pourrait passer par « l’élection d’une personnalité politique chargée d’orienter l’action de la police en fonction des besoins locaux ».
Le ressenti de la population est « laissé de côté », estime la Fondation Jean-Jaurès dans un rapport paru vendredi 22 janvier. « Les gouvernements français n’ont jamais réellement orienté l’attention et l’action de la police vers la satisfaction du public ou la construction d’un lien de confiance », disent ses auteurs, dénonçant « l’absence de lieux d’écoute et d’échange ».
Le dialogue pourrait permettre de trouver une solution aux contrôles d’identité parfois générateurs de tensions. En 2017, une étude du défenseur des droits mettait des chiffres sur le phénomène du « contrôle au faciès », montrant que les jeunes « perçus comme noirs ou arabes » avaient une probabilité vingt fois plus élevée de subir un contrôle que le reste de la population.
« La plupart des contrôles ne donnent rien », analyse Jacques de Maillard, directeur du Cesdip (Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales), qui perçoit des solutions chez les pays voisins : « Le Royaume-Uni a diminué leur nombre sans que ça n’ait d’effet massif sur l’augmentation de la délinquance. En Allemagne, les policiers ont un raisonnement réflexif, ils étudient les bénéfices et les risques à contrôler, car l’intervention peut tendre les relations. » Pour le professeur de science politique, il faut pouvoir faire accepter aux policiers d’autres modèles que « celui du chasseur », « un agent qui fait du travail d’initiative, qui a du flair et qui affirme son autorité ».
Éternelle faute à la politique du chiffre ? « On nous dit qu’elle n’existe plus, mais ce n’est pas vrai, du moins pas partout, dépeint Christophe Korell, ancien policier, président de l’association Agora des citoyens, de la police et de la justice. Le ministre incite à faire de la contravention sur l’usage de stupéfiants, donc les chefs de service en demandent un certain nombre. Si l’agent ne s’y plie pas, sa note est moins bonne. Avec le risque de faire primer le quantitatif sur le qualitatif. » D’où sa suggestion d’une « filière proximité », faite de « policiers tournés vers le contact, la connaissance du quartier, le tissu associatif… » Le « Beauvau » devra aussi se pencher sur le maintien de l’ordre. Yasmine, militante gilet jaune de 62 ans, ne s’attend pas vraiment à un changement de stratégie. Habituée des cortèges, elle a vu se développer l’emploi d’« unités non spécialisées, qui vont au contact ». « Envoyer la BAC (brigade anticriminalité) dans une manifestation, ça signifie que nous sommes des criminels ? On le ressent comme de la provocation. » Dans un rapport publié en mars 2020, l’Acat rappelait que des unités comme celles de la BRAV-M (brigade motorisée) « ne bénéficient pas de formations adéquates pour les opérations de maintien de l’ordre et sont régulièrement mises en cause dans des cas de violences illégitimes ».
Dans le viseur de l’ONG également, la technique de la nasse, qui consiste à encercler des manifestants : « C’est angoissant, énervant, ça déclenche souvent des violences car les manifestants veulent forcer le passage », regrette Élise (1), étudiante, elle aussi coutumière des manifestations.
Tant de sujets qui font dire à Jacques de Maillard qu’« il n’y a pas de baguette magique pour régler les problèmes de confiance ». Mais tout de même un principe majeur : l’autorité « doit s’accompagner d’impartialité, de discernement, de respect de la dignité et de capacité à écouter ». Des questions intimement liées à d’autres piliers de la concertation, dont la formation et le contrôle par l’IGPN.
Hippolyte Radisson
- Les prénoms ont été modifiés.