Photo d’Edouard Caupeil / Pasco

Photo d’Edouard Caupeil / Pasco

Longtemps éducateur en prison, puis exorciste du diocèse de Coutances (Manche), le père Henri Gesmier a souvent été confronté à la question du pardon. Un mot qu'il trouve parfois trop galvaudé tant il témoigne de l’amour infini de Dieu

Pardon, réconciliation, voilà des mots du vocabulaire chrétien que l'on emploie très souvent de nos jours. Qu'ont-ils en commun ?  Relèvent-ils de la même démarche ?
La réconciliation est très différente du pardon. Dans l'Évangile, Jésus est très clair : « Lorsque tu vas présenter ton offrande à l'autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l'autel, va d'abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande » (Matthieu 5, 23-24). Le Christ laisse entendre qu'il y a une raison tangible à la division, et cette raison peut prendre tous les noms. Ce peut être une rupture, un objet volé, une parole qui « tue ». Et dans la démarche de réconciliation qu'il évoque, il y a comme un accord entre celui qui doit quelque chose et celui à qui c'est dû. C'est pour cela qu'il dit : « Laisse ton offrande. » L'offrande est la figure du litige. Elle rappelle qu'il y a quelque chose qui brouille la relation, et qu'il s'agit de réparer, rendre la justice, partager, rendre ce qui a été volé, etc. C'est en prenant conscience de ce que j'ai fait ou que je n'ai pas fait que je vais penser à l'autre et lui rendre ce que je lui dois. La démarche de réconciliation passe par cette prise de conscience, indispensable, qui est propre à chacun. 
Le pardon n'est donc pas du même ordre ?
Non. Dans le pardon, il n'y a pas cette prise de conscience. Le pardon est inconditionnel et entier. Dire « je te pardonne », c'est comme dire « je t’aime ». Le pardon ne met ni condition, ni objet, il est complet, presque insaisissable. Et c'est pour cette raison qu'il est si difficile de pardonner ! Dans le monde catholique, il m'arrive d'ailleurs de penser que l'on parle de pardon trop rapidement, avec trop de légèreté, alors que c'est une parole forte que l'on ne peut pas dire sans en avoir mesuré toutes les conséquences. Aujourd'hui, si une personne condamnée ne demande pas pardon, elle est considérée comme insensible. Est-ce que la demande de pardon n'est pas devenue une sorte d’obligation ? Parfois, je me pose la question.
II est donc plus difficile de pardonner que de se réconcilier ?
Le pardon résonne dans les paroles que Jésus prononce sur la Croix : « Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font. » Que font-ils les « ils » à ce moment-là ? Et qui sont-ils ? Pilate ? les grands prêtres ? les disciples ?
La question est ouverte. Il ne s'agit plus reconnaitre un objet de litige, un motif de désaccord, mais de restaurer la relation pleine et entière entre deux personnes. Il y a une forme de gratuité complète dans le pardon. Et nous avons aussi à vivre ce pardon entier, inconditionnel, qui n'a aucune finalité et qui reste un horizon vers lequel tendent tous ceux qui tentent de vivre de la vie de Jésus.
Peut-on dire, alors, que le pardon est le fruit de la réconciliation ?
Oui, la vraie réconciliation conduit au pardon. Chaque réconciliation constitue les prémices du pardon. Mais c'est parfois bien difficile. Il y a des réconciliations impossibles, des événements du passé qui reviennent en mémoire et qu'on n'arrive pas à effacer. Il faudrait passer à autre chose, mais parfois, pour plein de raisons, bonnes ou mauvaises, on n'y arrive pas. Mais une réconciliation impossible, parce qu'on ne peut pas nier le mal commis, ni l'oublier, ne veut pas dire un pardon impossible. Comme croyant, il me semble que c'est le pardon absolument Gratuit du Christ qui fonde tous nos pardons, y compris maladroits, incomplets, mal ajustés.
Devant une réconciliation impossible, désirer pardonner, c'est déjà du pardon.
À l'inverse, avez-vous rencontré de belles réconciliations ?
Oui, les réconciliations que j'ai pu rencontrer ont été des moments magnifiques. Dans les années 1975-1976, on ne parlait pas de pardonner au tribunal. Or, je me souviens d'un détenu qui a demandé pardon à la famille de la victime. Il avait appris son texte par cœur pour ne pas se tromper dans ce qu'il voulait dire, et je l'avais aidé à cela. Chaque mot était pesé, et cela avait surpris le tribunal à tel point qu'il y avait eu une demi-page dans le journal sur cette demande de pardon. Il n'était pas sûr de l'obtenir, mais je crois que ce qu'il recherchait avant tout c'était cette réconciliation avec lui-même.
Le pardon et la réconciliation seraient donc un désir inscrit en tout homme ? 
Le désir de tout homme est de vivre en paix. Pendant mes nombreuses années de présence en prison, j'ai découvert qu'au fond de son coeur tout détenu qui prend conscience du mal commis désire être pardonné et se réconcilier. Mais la grande question subsiste : « Le pardon me sera-t-il donné ?» C'est alors qu'intervient le prêtre, successeur des Apôtres, à qui le Christ a confié un rôle de médiateur. Par sa parole, sa présence, son écoute, son ministère, il invite à ne pas se laisser enfermer dans le mal, à poser un autre regard sur soi. Il apporte la certitude qu'il est possible de continuer à vivre. La réconciliation avec soi-même, avec Dieu, puis avec les autres est possible.
Propos recueillis par
Sophie de Villeneuve
Prions en Eglise 
Hors-Série Pâques 2022

Pages 62 – 64

Quelques dates :
1985 Ordonné prêtre de la Mission de France
Pendant 35 ans Henri Gesmier est éducateur, puis conseiller d'insertion et de probation à la prison de Fleury-Mérogis, dans l'Essonne.
2012 Chapelain puis recteur du sanctuaire du Mont-Saint-Michel
2015 Exorciste du diocèse de Coutances. 
2021 Publication de "L'exorcisme au quotidien" : entretiens avec Anne Lécu.


 

Retour à l'accueil