Giorgio Marengo : un cardinal dans les steppes de Mongolie
22 août 2022À 48 ans, Giorgio Marengo deviendra le 27 août 2022 le plus jeune cardinal de l'Église catholique. • COLLECTION PERSONNELLE
Le 27 août 2022, Giorgio Marengo deviendra le plus jeune cardinal de l’Église catholique. Ce prêtre missionnaire et évêque italien de 48 ans vit en Mongolie depuis une vingtaine d’années. Il a confié à La Vie son itinéraire atypique.
« Lorsque le pape a annoncé la liste des nouveaux cardinaux place Saint-Pierre en mai dernier, et que mon nom a été prononcé à mon plus grand étonnement, je me trouvais avec des amis bouddhistes à Rome, où j’étais venu pour une réunion de dialogue interreligieux. Ils ont été les premiers à me féliciter, et l’un d’eux m’a donné sa khatag (écharpe de soie) bleue pour me présenter ses vœux…
Les origines d’une vocation
Enfant, je ne rêvais pas de devenir missionnaire, mais la vocation s’est invitée naturellement dans ma vie. J’ai eu la grâce de grandir dans une famille où la foi était quelque chose de frais, de beau et de vivant. Cela a continué pendant mes années de lycée à Turin, grâce à un accompagnement spirituel avec un prêtre missionnaire de la Consolata, une congrégation fondée au début du XXe siècle et dédiée à l’évangélisation. Il m’a aidé à faire mûrir ce que je portais en moi. À cette époque, j’ai perçu que le Seigneur me voulait pour lui sous une forme exclusive, et j’ai mis mes pas sur le chemin de la vie consacrée.
L’été de mes 19 ans, j’ai décidé de rejoindre les Missionnaires de la Consolata, dont la maison mère était proche de mon quartier à Turin. La Mongolie, j’y ai été envoyé une dizaine d’années plus tard, avec un groupe de trois religieuses et un autre prêtre de la congrégation, avec l’accord de l’évêque de l’époque, Wenceslao Padilla, un missionnaire philippin.
Je n’avais rien imaginé de la vie qui m’attendait, car c’était ma première expérience missionnaire. En outre, j’ai eu la chance d’arriver à 29 ans, avec une élasticité mentale et une énergie qui m’ont permis de me jeter dans ce qui était vraiment un autre monde.
Premiers défis en Mongolie : de la capitale au désert de Gobi
Le premier défi a été d’apprendre la langue, mais aussi d’entrer dans la façon de penser, de voir la vie, un retournement copernicien que les Occidentaux doivent faire en particulier dans les pays asiatiques. Nous nous sommes immergés dans les traditions, et ces années ont été éprouvantes mais agréables. Il a aussi fallu s’habituer au climat, car c’est un pays très froid, voisin de la Sibérie, dont les températures peuvent descendre jusqu’à – 40 °C. Oulan-Bator est la capitale la plus froide du monde !
Après ces trois premières années dans la capitale, nous avons migré vers une zone rurale reculée, à Arvayheer, près du désert de Gobi, où il n’y avait jamais eu d’église. Pour la deuxième fois, tout était à construire, alors nous avons recommencé. Arvayheer est une ville de 30 000 habitants, chef-lieu d’une région faite de steppes, sans véritables villes.
Assez rapidement, les autorités locales nous ont donné l’autorisation d’utiliser un terrain où nous avons installé des yourtes, car c’est l’habitat le plus commun pour les gens de la région. Dans une yourte, il n’y a pas de salle de bains, et les latrines consistent généralement en un trou, à l’extérieur. Nous avons donc créé des douches publiques pour offrir ce service aux personnes qui ne pouvaient pas se laver chez elles.
Nomades et citadins occidentalisés
La Mongolie présente deux visages. D’un côté, un monde rural, très traditionnel, où paissent 60 millions de têtes de bétail pour environ 3 millions d’habitants, et où la vie s’écoule selon des rythmes transmis de génération en génération, entremêlés de croyances religieuses chamaniques et bouddhistes. Les enfants, par exemple, se font couper les cheveux pour la première fois à l’âge de 3 ans, lors d’une célébration rituelle pour laquelle on invite parfois un moine bouddhiste.
Quand on est missionnaire dans ces endroits, il faut apprendre à voir le monde du point de vue de quelqu’un qui a toujours vécu en suivant les bêtes dans les pâturages, en se déplaçant avec sa yourte. Et puis de l’autre côté, il y a le monde des villes, où les gens vivent en appartement et se déplacent en voiture.
Pourtant, au niveau le plus profond, il me semble que la vision de la vie est la même, que l’on vive à la campagne ou en ville. Peut-être les différences se manifestent-elles au niveau de l’éducation. Ceux qui ont reçu une éducation formelle, plus internationale et plus standardisée, ont une vision de la vie plus proche de celle que l’on trouve dans les grandes villes du reste du monde. Mais même les habitants de la capitale, qui conduisent une Toyota et s’habillent à l’occidentale, conservent au fond d’eux-mêmes des catégories mentales et spirituelles proches de celles des ruraux.
Beauté de la foi chrétienne
Ainsi, nous avons cherché à nous adapter à chaque fois, en suivant les rythmes des uns et des autres, tout en conservant des points fixes clairs qui, pour nous, sont la prière, la célébration de l’eucharistie, l’adoration silencieuse et le service : jardin d’enfants après l’école, atelier d’artisanat où des femmes fabriquent des objets en tissu que nous achetons puis revendons, catéchèse, lorsque quelques personnes ont commencé à s’intéresser à la foi…
Je me souviens d’une jeune femme rencontrée tout au début de notre arrivée dans le pays, à Oulan-Bator. Le soir de son baptême, nous la conduisions en voiture avec une amie qui ignorait que nous comprenions déjà un peu la langue. Nous l’avons donc entendue demander : « Es-tu bien sûre de ce que tu fais ? » Pour toute réponse, la jeune femme qui allait se faire baptiser lui a répondu : « Ne t’inquiète pas, car, dans cette foi que j’ai embrassée, il n’y a rien à craindre. »
Cela m’a profondément ému, parce que, de manière simple et spontanée, elle avait perçu cette beauté de la foi dans laquelle la peur n’a pas de place. Cela m’a d’autant plus marqué que parmi les différentes traditions qui existent ici, les superstitions demeurent assez fortes et charrient leur lot d’appréhensions. La jeune femme dont je parle était née sans mains et sans pieds, elle avait peu reçu de la nature, elle aurait pu se laisser écraser par le fatalisme, mais elle a pris un grand élan dans la foi et découvert un sentiment de libération.
Devenir chrétien en Mongolie : le parcours du combattant
Un jour encore, à l’époque où nous vivions dans la steppe, deux jeunes mariés sont arrivés, curieux de comprendre ce que nous faisions. Ils vivaient dans une yourte. Nous les avons accompagnés dans la foi, adaptant le parcours de formation à leurs besoins, et cette année à Pâques, ils ont reçu leur baptême tous les deux, après six années de cheminement. La première fois qu’il était venu, l’homme m’avait dit : « Dans ma famille, on dit que les chrétiens sont une légion étrangère, et que nous devons être bouddhistes… » Dans un sourire, il avait fait remarquer aussi que le bouddhisme était une importation de l’étranger !
Ce n’est pas un choix évident de devenir chrétien dans ce pays, c’est même assez exigeant parce que cela veut dire être le seul de sa famille, et être une exception dans la société. Même si c’est un pays démocratique, qui a une histoire particulière de tolérance religieuse, le catholicisme est une religion peu connue.
Par conséquent, quand nous parlons de notre foi, il faut tenir compte de cela, et il est nécessaire de faire preuve de beaucoup de délicatesse et de prudence, car l’excès d’enthousiasme que l’on voit, par exemple, chez certains groupes évangéliques, peut susciter des réactions d’agacement et de fermeture, tant de la part des autorités que des personnes qui se sentent offensées par cette manière de faire.
Importance du dialogue interreligieux
Le dialogue entre croyants est également un enjeu très important, car le pays sort de 70 ans de communisme, et la religion est encore perçue comme quelque chose de suspect, dans la mesure où l’on craint que les différentes traditions entrent dans des logiques de concurrence et créent des tensions dans la société. Ainsi, nous avons le devoir de montrer et de témoigner, par le biais de notre coopération, que les religions en elles-mêmes ne sont pas une source de désaccord, mais bien de richesse.
On comprend à l’aune de cette perspective, comme le répète le Vatican depuis des années, que le dialogue interreligieux n’est pas une alternative à la mission, ni une manière de transiger avec elle, mais bien l’un des chemins de la mission.
Car ce n’est que dans la mesure où nous nous donnons les conditions d’un dialogue sincère que nous pouvons présenter notre foi et comprendre celle de l’autre comme une chose sérieuse et profonde, et témoigner que nous sommes des artisans de paix pour les sociétés.
« Murmurer l’Évangile au cœur de la Mongolie. »
C’est ainsi que je perçois la mission, et c’est le titre de ma thèse en missiologie. J’ai emprunté l’expression à un archevêque indien, Thomas Menamparampil, qui l’avait inventée dans les années du Synode pour l’Asie, en 1998. Le murmure est une modalité d’empathie, de proximité et de confiance qui se construit dans la durée et dans l’espace laissé à l’autre pour faire place au silence, à la réflexion, à l’attente et à la contemplation.
Le murmure ne fait pas de bruit, mais il touche le cœur. Le cœur d’un peuple est sédimenté en de nombreuses couches historiques, culturelles, religieuses, culinaires, musicales, territoriales, linguistiques. Pour murmurer l’Évangile, et dire la centralité du Christ, il faut donc chercher à décrypter l’identité culturelle des peuples en allant contre les généralisations faciles. Trouver leur cœur. Coller son oreille contre eux pour percevoir là où il vibre le plus. »
Les étapes de sa vie
1974 Naît à Cuneo, dans le Piémont (Italie).
2000 Prononce ses vœux chez les Missionnaires de la Consolata.
2001 Est ordonné prêtre.
2003 Arrive en Mongolie.
2016 Obtient son doctorat en missiologie de l’université pontificale urbanienne de Rome.
2020 Nommé évêque par le pape François et préfet apostolique de Oulan-Bator, capitale de la Mongolie.
2022 Le 27 août, il devient le plus jeune cardinal de l’Église catholique.
Créés cardinaux
Le 27 août 2022, vingt nouveaux cardinaux seront créés par le pape François. Seize pourront élire le prochain pape en cas de conclave, et quatre sont nommés à titre honorifique, ayant dépassé la limite d’âge de 80 ans. Parmi les électeurs, trois travaillent à la Curie, au Vatican, et les autres sont évêques sur plusieurs continents : deux en Europe, dont l’archevêque de Marseille, Jean-Marc Aveline, un aux États-Unis, trois en Amérique latine et cinq en Asie, dont le cardinal Marengo, d’origine italienne, et le plus jeune du collège cardinalice.
Interview Marie-Lucile Kubacki